Path to War de John Frankenheimer (2002).
L'engrenage.
Path to War est le dernier film de John Frankenheimer, un téléfilm en fait, qui avec le précédent, George Wallace, forme un diptyque passionnant, et même essentiel, sur la vie politique américaine des années 60, vue du côté démocrate, une politique marquée par les errements populistes (George Wallace est une sorte de proto-Trump, joué par Gary Sinise, qui n'hésite pas, pour des raisons purement électoralistes, à défendre la ségrégation) et l'engrenage vietnamien, dont fut à la fois victime et responsable Lyndon Johnson, brillamment incarné par Michael Gambon. En un sens, Path to War prolonge Seven Days in May (1964), du même Frankenheimer, avec Fredric March, dans le rôle du président Jordan Lyman — le nom fait écho à Lyndon Johnson — et Burt Lancaster dans celui du général Scott qui, lui, préfigure Westmoreland. A la question, brûlante à l'époque, de la guerre froide, répond quarante plus tard le regard lucide de Frankenheimer, et de son scénariste Daniel Giat, sur ce que fut le mandat de Johnson, lui qui rêvait au départ de "Grande Société" (rêve rooseveltien) mais fut rapidement ramené à la réalité, celle de la guerre du Vietnam dont il ne put/ne sut/ne voulut enrayer l'escalade quant à l'engagement américain, les troupes passant sous sa présidence de 16000 hommes à un demi-million! Le film est remarquable à plus d'un titre. D'abord par la tension dramaturgique qu'il maintient sans relâche durant 2h40, tension égale à celle des meilleurs thrillers. Mais aussi, et surtout, par l'intelligence dont fait montre Frankenheimer dans sa mise en scène, plus précisément le découpage de ses scènes, servies par l'efficacité des dialogues et le talent de ses interprètes. Où s'équilibrent parfaitement didactisme (le savoir sur cette période finalement mal connue de l'Histoire, pour ce qui est des coulisses, celles du Pentagone) et pédagogie (la manière dont Frankenheimer le transmet au spectateur). Il s'ensuit une véritable dialectique entre:
— d'un côté, ce qui relève du politikè, les décisions que doit prendre Johnson, qui tiennent compte des avis contradictoires de chacun, McNamara (Alec Baldwin), le secrétaire d'Etat à la Défense, vs. George Ball, opposé à la guerre, faucons vs. colombes, etc.
— et de l'autre, technè et praxis, la guerre et sa pratique, incarnée ici par le général Westmoreland, réclamant invariablement plus d'hommes et de bombardements pour mener à bien sa mission...
Autant d'éléments qui, à mesure que le film avance, témoignent de l'impasse (et du bourbier, faute de sortie) que va être la guerre du Vietnam pour les Américains, impasse illustrée aussi bien par les conseillers du Président, qui n'ont aucune connaissance du terrain, que par l'armée, méconnaissant, elle, la détermination du peuple vietnamien... des éléments qui ne peuvent que favoriser (et entretenir) le doute, à l'image de McNamara, remplacé par Clifford (Donald Sutherland), l'éminence grise dont le côté obséquieux (ah, le conclusif: "on vous conseillait mais c'est vous qui décidiez"...) traduit admirablement l'espèce de brouillard intellectuel dans lequel s'est trouvé plongé Johnson, découvrant au final, effaré, le nombre d'Américains engagés là-bas, mais incapable de trouver une solution au conflit, se contentant de mettre fin à la surenchère militariste, comme s'il déclarait "match nul" entre partisans et opposants de la guerre... Cette pensée brouillée, le doute qui l'a accompagnée, le film en rend compte de façon magistrale. C'est tout l'art de la dramatique chez Frankenheimer qui trouve ici sa plus belle expression. Et fait de Path to War un grand film politique.
Comme vous le soulignez, en dehors des qualités de mise en scène, Path to War est à la fois instructif sur la période considérée, et aussi doté d'assez de recul sur les événements pour que la qualité de sa réflexion lui donne une portée plus large, plus abstraite. En tournant son film dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, Frankenheimer avait certainement à l'esprit le projet des Républicains de déclencher une guerre contre l'Irak (déclenchement début 2003, donc postérieur à la mort de Frankenheimer), Path to War est donc un rappel et une mise en garde. Vu aujourd'hui, maintenant que les Etats-Unis ont retiré leurs militaires d'Afghanistan (après avoir dépensé en pure perte 1000 milliards de dollars en vingt ans pour former et équiper les soldats de l'armée régulière afghane), on peut imaginer Joe Biden s'organisant une petite projection privée de Path to War avant son élection (ou plus probablement il se souvient très bien de la présidence Lyndon Johnson - à l'époque il était étudiant en droit - et en a tiré quelques enseignements pour lui-même).
RépondreSupprimerEh bien finalement Joe Biden aurait-il des conseillers aussi flous que ceux de Lyndon Johnson ? Le mois dernier, imprudent malgré sa longue expérience, il déclarait : "The Taliban is not the North Vietnamese army. They’re not remotely comparable in terms of capability. There’s going to be no circumstance where you see people being lifted off the roof of the embassy of the United States from Afghanistan." Et c'est pourtant ce qui se passe aujourd'hui.
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