jeudi 31 décembre 2020

Rétro 2020: Grandaddy




Attention, et là je m'adresse aux inconditionnels (comme moi) de Grandaddy... Pour apprécier pleinement cette réédition de The Sophtware Slump, à l'occasion du vingtième anniversaire de l'album, et pour l'occasion, en version acoustique (wooden piano), il faut oublier la version originale, du moins essayer, ce qui n'est pas/ne sera pas tâche facile si on a pris (comme moi depuis 20 ans) l'habitude de réécouter régulièrement l'album. Car, c'est un fait, si on compare les deux versions on risque de se montrer un poil déçu par celle réinterprétée au piano par Jason Lytle, tant la première avait atteint des sommets, en partie grâce à ce qui manquera nécessairement à la seconde: tous ces bidouillages électroniques auxquels s'était livré Lytle, dont il s'était même enivré (l'ivresse du néophyte), faisant de son album un mixte génial de grandiloquence (au niveau des arrangements) et d'intimisme (au niveau des textes), de sorte que privilégier l'intimité d'une version acoustique ne pouvait qu'altérer l'alchimie de la version d'origine. Oublier donc l'ancienne, en tout cas la maintenir suffisamment à distance pour qu'elle ne vienne pas parasiter l'écoute de la nouvelle (ce qui passera peut-être par plusieurs écoutes)... Et à ce prix, découvrir un autre Sophtware Slump. Non pas l'équivalent d'une démo, non pas l'équivalent d'une version naked (au sens de "nettoyée de ses effets"), mais bien une re-création qui, par le biais de l'acoustique, viserait à retrouver la trace originelle de l'album, d'avant la version d'origine, et ce — au-delà même des nouvelles formes qu'a su donner Jason Lytle à ses chansons — par un vrai plus, que l'artiste, aujourd'hui quinquagénaire, ne possédait pas à l'époque et qu'il a acquis avec le temps: une qualité de voix, permettant ainsi de reproduire par d'autres moyens ce qui faisait la beauté déchirante de The Sophtware Slump

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Immensità, Andrea Laszlo De Simone, 2020.

Une découverte. Les premières notes, on se croirait chez Mercury Rev, celui de Deserter's Songs, mais non, c'est de la belle italo-pop qui s'y révèle, ouvrant merveilleusement le maxi 4-titres du même nom.

En prime, un peu de French pop:

Le sens du sens de Ricky Hollywood
Shocked de Lesneu
Vous êtes ici de Bertrand Burgalat (paroles: Marie Möör)

mercredi 30 décembre 2020

Grande est la maison


Take Me Home Pt. 2, Cabane, 2020.

Cabane c'est le nom du projet, l'auteur, lui, s'appelle Thomas Jean Henri — à lire comme l'anagramme (très approximatif) de Henry David Thoreau, qui ferait de Cabane et de l'album Grande est la maison un projet "thoreauiste" (comme on dit "rousseauiste")... Bon, je n'insiste pas, tout le monde a fait le rapprochement en cette année de confinement. Je me contente seulement, puisqu'on y entend Will Oldham (aka Bonnie 'Prince' Billy), d'évoquer Kelly Reichardt et son film Old Joy:



Old Joy de Kelly Reichardt (2006).

"I miss my pre-Internet brain"
(Douglas Coupland)

"J'espère qu'il y a encore Facebook après la mort
parce que sinon, bonjour l'angoisse"
(Sing Sing)

"Ne serait-ce pas délicieux de rester plongé jusqu'au cou dans un marais solitaire pendant tout un jour d'été, embaumé par les fleurs du myrica et de l'airelle?(Henry David Thoreau)

[...] Si les personnages font l'expérience de leur différence et du déclin inexorable de leur amitié, expérience au demeurant plus douloureuse pour Kurt (Will Oldham), le marginal, souffrant manifestement de sa solitude - étudiant en physique, il a sa propre théorie de l'univers qu'il assimile à "une larme tombant depuis l'éternité dans l'espace" -, que pour Mark (Daniel London), le névrosé, s'accommodant sans entrain de sa future vie de père de famille, le film refait, lui, à sa manière, l'expérience originelle de Thoreau: dépasser la démarche purement intellectuelle (penser, chercher) pour atteindre, au contact de la nature, ce que Thoreau appelait le "grand rapport", un rapport plus profond aux faits observés, qui touche pleinement à la vie. C'est pourquoi on parle si peu dans le film de Kelly Reichardt. Certes, les personnages n'ont plus grand-chose à partager, et n'osent pas se l'avouer, mais c'est aussi parce qu'avant de parler des faits, il faut, par une activité accrue des sens, être totalement imprégné de cette "connaissance substantielle" dont parlait Thoreau: cette "intuition des choses qui surgit quand nous nous trouvons unis au tout"; quand on "se dissout dans la brume ensoleillée", que l'on s'imagine "amphibie", nageant "avec la tanche et la brème", perdant non seulement son identité mais également son humanité, de sorte que la vérité exprimée, langage vivant devenu poésie, s'exhale "aussi naturellement que l'odeur du rat musqué des vêtements du trappeur" (1). Il serait exagéré de dire que c'est ce type de connaissance que les personnages atteignent dans Old Joy, lorsqu'ils se baignent dans les sources chaudes de Bagby. Le site n'est pas superposable à la cabane de Walden. Mais l'esprit de Thoreau y rôde, une présence s'y fait sentir... Si déserter le monde, en se perdant dans la forêt (2), pour retrouver le "Monde", suppose l'acquisition d'une certaine sagesse - à l'indienne pour Thoreau - dont les clés semblent aujourd'hui perdues, quelque chose demeure, qui ne passe pas nécessairement par l'ésotérisme ou le parareligieux: le sentiment de plénitude, l'impression, qui échappe à l'analyse, de se trouver au cœur d'un grand système, ouvert à l'infini et dans lequel toute chose agirait avec son contraire. C'est ce qui donne au film son côté taoïste (Thoreau était lui-même considéré comme "le plus chinois des auteurs américains"). Le Yin et le Yang. La Tristesse et la Joie. Car si "la tristesse n'est qu'une joie passée", comme il est dit dans le rêve de Kurt, elle peut-être aussi, à l'inverse, promesse de bonheur.

(1) Kenneth White, L'esprit nomade, 1987. White parle du Journal de Thoreau comme d'un "livre lichen", en référence à ce que Thoreau avait lui-même écrit: "un vrai bon livre est quelque chose d'aussi naturel, primitif, sauvage, d'aussi mystérieux et merveilleux, d'aussi ambrosiaque, d'aussi prolifique qu'un lichen ou un champignon." A bien des égards, Old Joy est un "film-lichen".

(2) La forêt est comme une version moderne des bois de Walden Pond. Forêt plus verte, imprégnée de pluie (les limaces sont de sortie), qui fleure bon l'humus et l'herbe mouillée.

Cela étant dit, revenons à la "grande maison" de Cabane qui, elle, a été rêvée, conçue, cinq années durant, chez Thomas à Bruxelles, plus quelques escapades dans d'autres coins de la Belgique, mais également à Londres, Paris ou encore Louisville. Parce que, si la maison est grande, c'est aussi qu'elle a servi à accueillir tous ceux qui ont contribué au disque: outre Will Oldham et Kate Stables (This Is the Kit), pour le chant, Caroline Gabard (Tazio & Boy) et Sam Genders (Tunng), pour l'écriture des chansons, Andy Ramsay (Stereolab), pour les enregistrements, et surtout Sean O'Hagan (The High Llamas), pour les arrangements de cordes et certaines compositions on reconnaît son style à chaque coup d'archet ou de clochettes: cf. le magnifique Easily We'll See. D'où la beauté de l'album, préparé aux petits oignons et en même temps parfaitement épuré, la longueur/lenteur de sa préparation/distillation ayant permis de n'en garder que le suc, dans la pure tradition des "Grands Lamas".

lundi 28 décembre 2020

Rétro 2020: Widowspeak


Plum, Widowspeak, 2020.


Encore un duo, à croire que c'est ce qui fonctionne le mieux en ce moment chez moi, un duo composé d'une fille et d'un garçon, une voix et une guitare, le combo idéal pour la meilleure pop-folk de l'année... La voix (avec le petit voile qui faut), c'est celle de Molly Hamilton, la guitare, c'est celle de Robert Earl Thomas... un groupe de New-York qui ne m'était pas inconnu mais avait disparu des radars, suite à la déprime de Molly. Avec Plum - un album qui "compte pas pour des prunes" (voilà, c'est fait) - il renaît. Hamilton semble ainsi avoir remonté la pente, Thomas, lui, a abandonné sa barbe et ses cheveux longs, ne gardant qu'une grosse moustache mal taillée, et ensemble ils nous offrent une sorte de folk sans âge, comme un retour aux sources, ce qui, en ces temps plus que merdiques, a presque valeur thérapeutique, en tous les cas, justifie qu'on y goûte et, plus encore, qu'on y prenne goût... Plum plum tralala (ça aussi c'est fait).

dimanche 27 décembre 2020

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Mank de David Fincher (2020).

Est-ce que le Mank a gagné?

Un feuilleton pour Noël — 3ème et dernière partie:

Dans le livre d’Ishaghpour, où l’on trouve la plupart des éléments que je rapporte, l’auteur s’étant lui-même inspiré de ce que relataient les biographes de Mankiewicz (Richard Meryman) et de Welles (Frank Brady, Charles Higham...), il y a un passage particulièrement instructif concernant la structure de Citizen Kane. Ishaghpour cite L’Anneau et le Livre de Robert Browning comme modèle possible. Non seulement parce qu’on y retrouve l’idée de faire raconter un même événement par différents témoins, et ce du point de vue de chacun, mais surtout parce que s’y associent "le livre" en tant que masse de documents, tous ceux recueillis pour les besoins de l’œuvre (c’est la part journalistique du film), et "l’anneau" en tant qu'"œuvre d’art qui organise les matériaux en une totalité signifiante"... "l’imagination poétique qui permet de métamorphoser la réalité brute du Livre pour en faire l’Anneau de l’œuvre"... l’artiste, par ses interventions, donnant à l’œuvre son aspect circulaire, forme idoine pour atteindre à cette "totalité signifiante". Et c’est un fait que Citizen Kane relève de ce type de mouvement, en forme de spirale, à la fois concentrique et gagnant en profondeur, les éléments sur la vie de Kane s’additionnant, depuis les images d’actualités, style March of Time, qui ouvrent le film, éléments d’ordre purement général, donc très loin de la vérité, jusqu’aux dernières "révélations" qui, via les flashbacks, s’en approcheraient, elles, au plus près. Tout ça pris dans une boucle, la fin du film répétant le début, à travers l’image du "château" et de son secret, censés bien gardés... Sauf que, dirait Welles, on ne saura jamais comment le journaliste qui enquêtait sur la vie de Kane était au courant d’un mot (Rosebud) adressé uniquement au spectateur (puisque prononcé en l’absence de toute personne susceptible de le rapporter par la suite). Maladresse scénaristique, licence poétique ou signe que le Rosebud du film (le traîneau) n’était pas celui énoncé par Mankiewicz (via Kane et la boule à neige) au début?

D’où, pour finir, cette question, déjà posée mais que je repose sous une autre forme: au-delà d’un jeu possible avec l’esthétique de Citizen Kane (le principe du flashback, le recours à la profondeur de champ, le choix des angles...), Fincher, dont les films ont toujours, eux aussi, épousé une structure circulaire, a-t-il décidé de faire un film sur Herman Mankiewicz, connu surtout comme étant le (co)scénariste du film de Welles:

— uniquement pour relativiser, sinon contester, l'importance accordée (depuis les années 50 par les Cahiers du cinéma et, aux États-Unis, un critique comme Andrew Sarris) au metteur en scène en tant qu'auteur à part entière de son film — la fameuse politique des auteurs —, en minimisant ainsi le rôle de Welles dans l’élaboration du scénario, et ce à partir d’une petite phrase assassine de Pauline Kael: "Welles n’a pas écrit une seule ligne de Citizen Kane", phrase visant d’ailleurs, connaissant Kael, autant à provoquer qu’à rétablir la vérité.

— ou, au contraire, bien faire la distinction entre ce qui relève de l’écrit — ici en l’occurrence le travail du père, Jack —, où se nicherait éventuellement le secret indévoilable du film, son Rosebud (ou même de l’oral, ce qu’on est amené à discuter, tel le père et le fils, à propos d’un scénario), et ce qui relève de la "mise en formes", dont lui seul, David Fincher, entouré de son équipe technique, serait l’auteur, à  l'instar d'un Welles, ce qui ferait de Mank l'équivalent non avoué de Citizen Kane, la manifestation, pas spécialement modeste, que lui aussi est capable (grâce à Netflix) de réaliser un grand film d’Auteur?

Réponse quand je l’aurai vu.

vendredi 25 décembre 2020

Le jouet-monde


Toy Story 4 de Josh Cooley (2019).

Quoi de mieux que Noël pour reparler de "Toy Story", la fabuleuse saga de chez Pixar dont le premier épisode est sorti il y a tout juste 25 ans... En attendant Soul de Pete Docter.

Aaaah Toy Story 4... quelle merveille ce film!, qui à l'instar de Toy Story 3, revisitant, plus de dix ans après, les deux premiers volets pour mieux les surpasser, embrasse, presque dix ans plus tard, toute la saga pour aller encore plus loin, "vers l'infini et au-delà", pourrait-on dire, paraphrasant Buzz. Et cette question: peut-on vraiment faire mieux, non pas au niveau de la technique - ça oui, on le sait, on n'arrête pas le progrès -, mais en termes d'émotion, qui soit égal à ce qu'on peut éprouver, non pas avec de vrais acteurs (le défi n'est pas là) mais dans les plus beaux films hollywoodiens, tous genres confondus. Car c'est un fait: si chaque épisode de la série marque une étape supplémentaire dans le rendu des images (il suffit de comparer Toy Story 4 au premier Toy Story, premier long métrage entièrement réalisé en images de synthèse, considéré à l'époque - un siècle après la naissance du cinéma - comme une incroyable prouesse technologique), c'est la part narrative qui à chaque nouveau film prend un peu plus d'ampleur, pour offrir à l'ensemble ce supplément d'âme qui rapproche Toy Story des meilleures fictions. Avec le n°3 on y était, surtout dans la seconde partie, le point d'orgue que constituait la séquence de la décharge et de l'incinérateur (le véritable enfer des jouets, plus encore que Sunnyside la garderie), puis son épilogue, le passage de témoin, merveilleux, entre Andy, l'enfant devenu trop grand, et la petite Bonnie... Avec le 4, on y est toujours, et ce dès le début, sans qu'il soit nécessaire d'attendre le finale.

C'est que la grandeur de Toy Story 4 n'existerait pas sans les précédents volets. On peut préférer le premier, pour sa poésie, son côté encore techniquement imparfait au regard des suivants - de la même manière qu'on préfèrera le King Kong de 1933 à tous ses remakes -, on peut préférer le deuxième, pour sa dimension nostalgique (de la question des origines à l'obsession de la collection), on peut préférer le troisième, pour l'angoisse extrême, plus proche cette fois de la mélancolie, qu'il véhicule quant au devenir d'un jouet... peu importe en définitive, c'est la série prise dans son ensemble qui en fait un véritable sommet du cinéma. Au point qu'on peut parler ici de métaphysique du jouet. Où dominent les deux grandes questions, essentielles, concernant le jouet pixarien, en tant qu'objet pensant (plus encore que vivant): "je - moi le jouet - pense, donc je suis", soit le jouet qui existe, dont on ne se demande plus à quel moment il devient vivant (théoriquement quand les enfants ne sont pas là), vu qu'il l'est toujours - vivant -, même quand il est immobile, inerte, ne faisant dès lors que singer l'absence de vie des objets inanimés. Deux grandes questions, donc, que sont: 1) la conscience du jouet, le fait d'être un jouet: qui je suis? d'où je viens? où vais-je?... autant d'interrogations auxquelles la série ne se contente pas de répondre: "je suis le jouet d'Andy, je viens de sa chambre et j'y retourne", paraphrasant cette fois Pierre Dac, préférant plutôt, en les ressassant telle une rengaine, exprimer le vertige existentiel dont elles témoignent; 2) corollaire de la première question: la relation du jouet à l'enfant (plus intéressante que dans l'autre sens, de l'enfant au jouet), et même, du jouet à son enfant... C'est ça aussi qui, indépendamment des situations hilarantes ou, à l'inverse, dramatiques (parfois les deux en même temps!), fait la grandeur de Toy Story... la façon dont les thèmes sont "retournés" en leur contraire, non pas pour s'amuser du paradoxe, mais bien pour approfondir le sujet, enrichir les personnages, dramatiser leurs relations... et conférer au récit une dimension dialectique. Ainsi dans le dernier volet, le nouveau personnage de Forky, la fourchette, objet-déchet fait de détritus (un simple couvert en plastique, des yeux asymétriques, une bouche en caoutchouc, des fils chenilles en guise de bras, un bâtonnet de popsicle coupé en deux et fixé par un chewing-gum pour les pieds, hop le tour est joué) et désireux pour le coup, du moins au début (ne se sachant pas "jouet"), de retourner à la poubelle, alors que c'est justement ce que redoutent tous les jouets, cette peur quasi ontologique, s'ils n'ont plus les faveurs de l'enfant et n'ont pas été récupérés par un autre - devenant ainsi des jouets-rebuts -, de finir oubliés et couverts de poussière au fond d'un grenier, ou pire, jetés aux ordures, prêts pour la déchèterie; peur que la série se charge, au fil des épisodes, de déplacer pour qu'à la fin soit accepté le choix de vivre libre, sans enfant...

Et au centre de tout ça, le personnage de Woody, le shérif, vieux jouet des années 50, originellement un pantin (il a un côté Pinocchio), star éphémère du petit écran, devenu pièce unique - à la différence de Buzz l'Eclair, son ami, objet moderne par excellence, décliné en milliers d'exemplaires -, et surtout le chef de la chambrée, attaché à Andy, dont il met longtemps à faire le deuil quand celui-ci part à l'université, ce qu'il réussit à surmonter (en partie) grâce à Bonnie... sachant que son destin, en tant qu'objet de plus en plus obsolète - concurrencé par les nouveaux jouets, toujours plus sophistiqués, ou au contraire du plus rudimentaire d'entre-eux mais fabriqué par Bonnie elle-même -, est de s'émanciper à son tour, à l'instar d'Andy, et de devenir comme Bo Beep, la bergère en porcelaine (dont Toy Story 4 célèbre les retrouvailles avec Woody vingt ans après) un jouet autonome, le jouet perdu, dont on a perdu la trace, mais qui poursuit son existence, ailleurs, hors du coffre à jouets, de la chambre ou du grenier, sans propriétaire (autant dire sans enfant), libéré de toute fonction sociale, le jouet qui vit sa vie de jouet, pour lui-même... Et ainsi refermer la boucle, faire de ce dernier Toy Story une histoire de synthèse, comme il y a l'image. Et pour cela, y associer un nouveau genre, après la science-fiction, le western et le film d'horreur: l'action girl, avec Bo en héroïne badass (supplantant Buzz), relookée en super-héroïne (cape et combinaison), toujours "armée" de sa houlette et accompagnée de ses "trois-moutons-en-un", en fait "trois-brebis-en-une", mais auxquels on a adjoint une mini-policière perchée sur son épaule (sorte de Jiminy Cricket au féminin), le groupe se déplaçant à l'aide d'un sconce à moteur!... de quoi écorner l'égo, jusque-là plutôt démesuré, de Woody (au point de "filer" doux aux côtés de sa bergère?), bref de le faire grandir lui aussi, même si pour cela il doit quitter Bonnie et abandonner ses amis, que je cite pour le plaisir: outre Buzz, Jessie la cowgirl, Pile-Poil (Bullseye) le cheval, Zig-Zag (Slinky) le chien à ressort, Bayonne (Hamm) le cochon-tirelire, Rex le dinosaure, M. et Mme Patate, les Aliens, la paire de lunettes binoculaires, le tableau magique... les jouets de Bonnie (le tricératops, la licorne, le hérisson en culotte de peau, Dolly la poupée de chiffon)... et les deux nouveaux, désopilants: les peluches Ducky et Bunny (je mets à part Duke Caboom, le cascadeur à moto canadien, que le destin appelle vers d'autres horizons). Autant de personnages qui renforcent encore plus l'aspect composite de Toy Story, ce côté bric-à-brac génial, qui est celui des brocantes et des vide-greniers, où se mêlent des jouets de tous types, bois, tissus et plastique confondus, plus proche aussi, par le désordre qu'il produit, de la fête foraine (où ça vit) que de la boutique de jouets ou du magasin d'antiquités.

Alors oui, bien sûr, c'est toujours le même canevas: un début en fanfare, véritable morceau de bravoure, le plus souvent une illustration bigger than life de l'imaginaire de l'enfant, remplacé ici par le sauvetage sous la pluie (en mode commando) d'une petite auto dérivant dans le caniveau... une situation dramatique: l'arrivée de nouveaux jouets ou au contraire le départ d'anciens, là c'est la journée d'adaptation de Bonnie à la maternelle, justifiant que Woody l'accompagne à ses risques et périls... des méchants: de Sid, le garçon qui torture les jouets, à Gaby Gaby, la poupée défectueuse, et ses pantins ventriloques (mais sans voix), en passant par Al le collectionneur, le vieux Papi Pépite (Stinky Pete) et mon préféré, Lotso, le gros ours en peluche parfumé à la fraise... des aventures en veux-tu en voilà dans des endroits de plus en plus "peuplés" (de Pizza Planet au parc de jeux et son carrousel), dessinant un monde toujours plus grand, plus ouvert, ouvert à tous les jouets, pour qu'ils y découvrent une autre vie, s'ils le désirent, parfois un nouveau propriétaire, si ça leur manque... non pas un monde de jouets, mais un jouet-monde que seul l'ensemble des quatre épisodes pouvait révéler, par la répétition, invariable et pourtant variée, d'une histoire universelle, qui débarrasse progressivement la série de ses inévitables références (de Spielberg à Tim Burton, en passant par Star Wars et la poupée Chukly) pour devenir la référence (chez Pixar mais pas que), en matière de récit et d'émotions, par tout ce que la série a accumulé, répété, sublimé, depuis le début, depuis l'instant où Woody a martelé à Buzz: "Tu n'est qu'un jouet!" jusqu'au moment où ils se séparent, définitivement - chacun plus qu'un jouet, le jouet total, absolu -, sachant que pour le premier, finalement, l'avenir est peut-être plus rose que pour le second (Buzz l'Eclipse?), déjà en retrait dans le dernier volet par rapport aux premiers Toy Story... (et surtout pas d'un cinquième épisode, ça n'aurait aucun sens, ce serait même criminel vis-à-vis de la série). Alors oui, Toy Story prône les valeurs positives que sont le sens du collectif et du partage (contre l'individualisme), le respect de la différence (contre la tyrannie de la norme), et maintenant le pouvoir accru des femmes (contre le machisme ambiant) - concrétisé par Bo Beep et Gaby Gaby... alors que, côté machisme, Caboom n'est pas vraiment à la fête -, on pourrait trouvé ça édifiant, mais non, c'est balayé par le souffle de la fiction, le rythme de l'action, la cascade d'inventions, toute cette entropie fabuleuse, qui font que Toy Story demeurera pour toujours cette drôle de fenêtre ouverte sur le monde, vision enchantée autant que terrifiante depuis la chambre de notre enfance.

Toy Story 1 de John Lasseter (1995). Scén.: John Lasseter, Pete Docter, Andrew Stanton et Joe Ranft (histoire originale); Josh Whedon, Andrew Stanton et al. (scénario).
- Toy Story 2 de John Lasseter, Ash Brannon et Lee Unkrich (1999). Scén.: John Lasseter, Pete Docter, Ash Brannon, Andrew Stanton (histoire originale); Andrew Stanton et al. (scénario).
- Toy Story 3 de Lee Unkrich (2010). Scén.: John Lasseter, Andrew Stanton, Lee Unkrich (histoire originale); Michael Arndt (scénario).
- Toy Story 4 de Josh Cooley (2019). Scén.: John Lasseter, Andrew Stanton, Josh Cooley et al. (histoire originale); Andrew Stanton et Stephany Folsom (scénario).

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Two Hearts, A Girl Called Eddy, 2020.

jeudi 24 décembre 2020

Qui est Medveczky?


Paul de Diourka Medveczky (1969).

Diourka Medveczky. Apparu à la fin des années 60, tel un ovni dans le ciel du cinéma français, il a disparu tout aussi vite. Trois petits films et puis s’en va: Marie et le curéJeanne et la moto et Paul, son seul long métrage, tous tournés entre 1967 et 1969. D’où venait-il? De Hongrie, qu’il quitta juste après la guerre, à l’âge de 18 ans, pour s’installer en France; et de la sculpture, qu’il pratiqua une bonne quinzaine d’années, avant de se lancer dans le cinéma. Où s’en est-il allé? On ne sait pas. On sait seulement qu’il voyagea, au début des années 70, abandonnant sculpture et cinéma, avant de retourner dans les Cévennes, là où avait été tourné (en partie) Paul, pour vivre seul, en pleine nature, dans une cabane en bois. C’est ainsi qu’on le découvre, quarante ans après, dans le beau documentaire que lui ont consacré Estelle Fredet et André S. Labarthe pour la série "Cinéma, de notre temps" (1). Diourka et le cinéma, c’est donc seulement trois films en trois ans, ni plus ni moins (2). Autant dire que ces films sont difficilement dissociables de son activité de sculpteur. C’est d’ailleurs sous cet angle - la sculpture - qu’ils ont été accueillis à l’époque par la critique, lors des différents festivals où ils furent présentés (Oberhausen pour Marie et Jeanne; Hyères pour Paul où il obtint le Grand Prix).

Sculpture et cinéma: deux formes d’art que tout oppose - d’un côté: le volume, l’immuable, la matité; de l’autre: la surface, l’éphémère, la transparence - mais qui, du fait même de cette opposition, se complètent admirablement. C’est ce qu’on ressent lorsqu’on voit pour la première fois les films de Medveczky, une expérience unique à tout point de vue. D’abord parce que des cinéastes sculpteurs, il n’en existe quasiment pas, sinon ceux qui œuvrent dans l’art contemporain. Les cinéastes dits "sculpteurs" sont plutôt des cinéastes non-sculpteurs mais qui conçoivent leurs films à la manière de sculpteurs, à l’instar de Tarkovski, et son travail sur le temps, sculpté autant que scellé, ou de Cronenberg et ses corps-machines. Ensuite parce que la sculpture au cinéma relève d’une approche surtout contemplative, sinon muséale, depuis Les statues meurent aussi de Resnais et Marker à Un couple parfait de Suwa, en passant par Voyage en Italie de Rossellini, le Mépris de Godard, Méditerranée de Pollet, Sandra de Visconti, pour ne citer que quelques films parmi les plus marquants. Or, chez Medveczky, le regard n’est jamais extérieur, encore moins distancié. C’est le film lui-même qui est perçu comme sculpture. Façonné, modelé, tel un bloc de pierre autour duquel tourne l’artiste, avec lequel il fait corps, à l’image de ces nombreuses scènes d’étreinte, souvent filmées en plongée, pour mieux les embrasser du regard, témoignant ainsi de cette forme de communion qui existe physiquement entre l’artiste et son œuvre. Voir ainsi ce qu’en dit Luc Béraud dans un des rares textes un peu conséquents publiés sur Paul en 1969: "Medveczky est sculpteur et son film est tactile. Les éléments, les objets sont filmés pour leur consistance au toucher, de même que les mouvements sont commandés pour leur mise en rapport avec les surfaces (cf. la scène où Kalfon, dans la cuve, se met à tourner, la caméra le suivant, parce que ce cylindre, pour en avoir la perception, il faut en suivre la surface). Le son (très peu de dialogues) recréé, toujours très simple, contribue à donner de la matérialité aux choses (feuillages, eau, etc.). Paul, pour ces raisons, est sans doute le seul vrai film en relief de l’histoire du cinéma (3)."

Si Medveczky a d’abord été sculpteur, et l’est resté finalement toute sa vie (il s’était remis quelque temps à la sculpture, en 1988, après la mort de Pauline Lafont, sa seconde fille, "la fille-tournesol qui a perdu la tête": une figure en bois d’orme sculptée au canif), à travers ce besoin permanent de créer de ses propres mains (il passe son temps à bricoler, à fabriquer des objets de la vie quotidienne - fauteuil, vase, tabouret, lit, masque -, jusqu’au bateau qui lui permettra, peut-être, un jour de prendre le large), il fut donc aussi, le temps de trois films, cinéaste, un des plus singuliers du moment, quand bien même il est aujourd’hui totalement méconnu. Ce qui fait la force de ces films c’est qu’on y devine, au détour de nombreux plans, non seulement la présence du sculpteur derrière le cinéaste, mais plus encore le passage de l’un à l’autre, les problèmes esthétiques qui se posent au premier se transformant pour devenir ceux que résout (ou tente de résoudre) le second, créant des effets de stase d’une beauté et d’une poésie sidérantes. C’est ce qui frappe d’entrée chez Medveczky: la beauté plastique de ses films. Beauté primitive, qui est celle du muet: Marie et le curé apparaît comme un film muet sonorisé, avec ce que cela suppose de musique (ici moderne, de l’électroacoustique signée Pierre Henry) et de bruitage, les rares dialogues n’apparaissant qu’au bout d’une dizaine de minutes, une fois l’acte d’amour consommé entre le curé et sa bonne. Voir aussi, dans la partie cévenole de Paul, tous ces plans où Medveczky, via les personnages de la communauté, des végétariens "adorateurs du soleil", magnifie la nature et ses éléments, évoquant ainsi le cinéma muet scandinave. Beauté primitive, qui est celle du noir et blanc, culminant dans certaines séquences, comme celle, justement, qui précède l’acte charnel dans Marie et le curé: plan en plongée verticale sur le curé (Jean-Claude Castelli) en train de jouer du piano, un choix d’axe qui loin d’épouser le point de vue de Dieu permet surtout à l’artiste de composer son plan, dans le plus pur style cubiste, de remplir le cadre, de jouer avec les formes, mais aussi le noir et le blanc, en l’occurrence les touches (rectangulaires) d’un piano et les motifs (losangiques) d’un carrelage (4), avant que Marie (Bernadette Lafont), à la faveur d’un incident - les doigts du curé subitement écrasés par le couvercle du clavier - ne se précipite dans le champ, que les mains s’entremêlent, que les corps s’enlacent, tombent au sol et finissent par disparaître en glissant sous le piano, comme s’ils "montaient" au ciel, image même de la jouissance.

A propos de Medveczky, on rapporte volontiers la formule de Truffaut (parlant de Marie et le curé): "Medveczky, c’est Bresson plus Buñuel(5), un cinéma qui allierait, du premier, le mysticisme, la rigueur du cadrage, la diction monocorde des acteurs, et du second, le surréalisme, l’ironie féroce, la sensualité morbide. Mariage insolite mais pas incongru si l’on considère la dimension antinaturaliste qui caractérise ces deux cinéastes. Reste que le cinéma dont Medveczky semble le plus proche, c’est d’abord celui de son temps, le cinéma des années 60, pas tant la Nouvelle vague d’ailleurs, même si la séquence de l’accident dans Jeanne et la moto fait écho à Godard, même si les plans larges qui, dans Paul, montrent deux personnages marchant au loin dans des paysages désertiques évoquent Garrel (période Zanzibar), que, plus généralement, le "nouveau cinéma", tel qu’il est apparu un peu partout à cette époque, en Italie par exemple - dans Paul, le destin tragique du jeune bourgeois incarné par Jean-Pierre Léaud est d’esprit assez bertoluccien - et surtout dans les pays de l’Est: l’humour grinçant de Medveczky n’est pas sans rappeler celui d’un Polanski ou d’un Skolimowski. Il n’est pas jusqu’au surréalisme qui, finalement, doit peut-être moins à Buñuel qu’à un réalisateur comme Svankmajer. Dans ses films, Medveczky recourt souvent à des techniques proches de l’animation, comme cette étonnante suite de plans, très "svankmajériens", dans Jeanne et la moto, où l’on voit la motocyclette, abandonnée dans l’herbe, tel un animal mort, se "décomposer" en accéléré, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que la carcasse, laquelle sera ensuite transformée en... sculpture. Allons plus loin: le panthéisme voluptueux dont témoigne Paul dans sa partie centrale, ne renvoie-t-il pas au célèbre Extase de Machaty? Ainsi la scène, d’une extraordinaire sensualité, où une jeune femme, nue au milieu des bois, semble au seul contact des feuillages défaillir de plaisir, hommage direct à Hedy Kiesler (qui n’était pas encore Lamarr). Cette scène s’inscrit dans un petit passage qui célèbre l’"amour de la nature et des choses" (on y hume la terre et les herbes) et se conclut par le plan du chef de la secte, vu en légère contre-plongée, le corps se découpant sur le ciel, bras tendu vers le soleil, une image qui évoque aussi bien les Proscrits de Sjöström (pensons également à ce plan magnifique où l’on découvre les membres de la secte, en robe de bure noire, perchés au sommet d’un rocher) que L’Ouvrier et la Kolkhozienne, la sculpture de Moukhina, emblème du réalisme socialiste soviétique et des studios Mosfilm, image à connotation stalinienne, suggérant quelque "culte de la personnalité", caché derrière celui du soleil (6). C’est là, peut-être, dans cette double image que réside en partie le secret du cinéma de Medveczky. Un art à la fois lyrique et monumental - lui-même définit le cinéma comme "art monumental" -, où surtout se conjugueraient deux types d’imaginaire: occidental et oriental. Rappelons que Medveczky est hongrois et non slave. Son amour de la nature relève manifestement d’un esprit soixante-huitard (la Lozère n’est pas loin) en même temps que tsigane - des Tsiganes apparaissent plusieurs fois dans ses films -, mais témoigne aussi, à travers tous ces regards pointés vers l’horizon, de quelque chose de plus mystérieux, proche du sentiment océanique - l’envie de se perdre dans l’immensité du monde -, sauf que chez lui un tel sentiment semble toujours associé à une inquiétude plus profonde, quant à la réalité du socle sur lequel il s’est construit et dont il craint, pour le coup, qu’il ne se dérobe, ce que traduirait son recours fréquent aux vues en plongée, comme s’il y recherchait quelque base solide. Un mouvement paradoxal - immersion et ancrage - qu’il faut rattacher aux origines hongroises de Medveczky tant l’œuvre se révèle, à l’image de son pays, un territoire à part, à la fois immense, via toutes ces influences, plus lointaines les unes que les autres, qui composent la langue de ses films, et enclavé dans un milieu qui n’est pas le sien, d’où le besoin de s’y affirmer par la voie d’une esthétique très personnelle. De sorte que s’il ne fallait convoquer qu’un seul artiste à propos de Medveczky, ce ne serait pas un cinéaste, ni même un sculpteur, mais bien son compatriote André Kertész, le grand photographe émigré aux Etats-Unis, qui lui aussi, et de manière évidemment plus illustre, affirma un style nouveau, où l’on retrouve, comme chez Medveczky, les cadrages insolites, les vues en plongée, les jeux avec la lumière, les compositions géométriques ainsi que cette même importance accordée aux objets.

Portrait de l’artiste en Janus

MarieJeannePaul: trois films, comme trois enfants, conçus dans la foulée, le quatrième (Margaret) n’ayant pas vu le jour, projet avorté et fin de la carrière de cinéaste de Medveczky. Trois films dont la parenté des titres et la conception rapprochée laissent à penser qu’ils forment un tout. Marie et le curé s’inspire d’un fait divers célèbre: le double crime commis en 1956 par le curé d’Uruffe qui assassina sa jeune maîtresse enceinte de lui et, après l’avoir éventrée, tua l’enfant dont elle allait accoucher. Jeanne et la moto décrit les déboires amoureux d’un homme-moto dont la machine rend l’âme, qui en acquiert une nouvelle en s’engageant dans la gendarmerie, mais est victime d’un accident de voiture qui le laisse paralysé, manifestation ultime de son impuissance. Paul suit les pérégrinations d’un jeune bourgeois, en rupture avec son milieu, qui rencontre une communauté étrange, plus mystique que hippie, vivant en osmose avec la nature, découvre l’amour grâce à la femme du chef, avec laquelle il s’enfuit sur une île convoitée par des promoteurs immobiliers qui finissent par le tuer (accidentellement) et brûler son corps, alors que la femme se suicide. Résumés ainsi, ces films semblent épouser une structure narrative classique. Il n’en est rien. Le cinéma de Medveczky est composé de segments fictionnels, plus ou moins longs, entrecoupés d’ellipses, alternant avec des moments de pure poésie, tels la séquence "circulaire" de la cuve, ou encore tous ces plans en plongée qui reviennent régulièrement, véritables rimes visuelles, fortement érotisées, des photos de jeunes filles mêlées à des dessous féminins (vus donc de dessus) dans Marie et le curé aux outils de mécanique dans Jeanne et la moto, en passant par les nombreuses scènes d’étreinte, toutes plus belles les unes que les autres: pensons, outre la scène du piano dans Marie, à celle de la baignoire, dans le même film, où l’on voit le curé, nu dans son bain, brûlant de désir, enlacer le portrait de Marie qu’il a dessiné, jusqu’au délitement du dessin qui est alors remplacé par l’image réelle de Marie, désirée si fort qu’elle finit par prendre corps (toujours ce va-et-vient entre sculpture et cinéma), corps morcelé, vu dans ce qu’il a de plus érotique: chevelure, aisselle, fesses, pieds..., avant que la baignoire se vide et que s’évacuent, dans un dernier plan que n’aurait pas renié Monteiro, eau du bain et poils mélangés; pensons aussi à la scène de la rivière, dans Paul, qui montre le chef de la secte (Jean-Pierre Kalfon) longer la paroi d’un rocher pour rejoindre la femme (Bernadette Lafont) assise en contrebas, au pied du rocher, et l’embrasser fougueusement, les deux corps flottant tout habillés à la surface de l’eau. Car si la mort (ou son équivalent) vient conclure chaque film, c’est bien l’amour qui en est le cœur (7), et plus encore le désir. C’est que l’œuvre de Medveczky est tout entière placée sous le signe de la dualité, tel le dieu Janus et ses deux visages, exprimant à la fois le désir et la mort (Marie et le curé), l’organique et le mécanique (Jeanne et la moto), l’individuel et le collectif (Paul).

L'annonce faite par Marie

C’est donc le désir qui entraîne Marie et le curé. Pour autant, rien de blasphématoire. Le film n’est pas imprégné de cet anticléricalisme qui est propre au surréalisme (si Medveczky se réclame du mouvement c’est d’abord pour sa reconnaissance de l’art africain comme art à part entière, équivalent à l’art occidental). Le curé de Marie ne sort pas de l’Age d’or. En ce sens, il est plus bressonien que bunuélien. L’art de Medveczky est à rattacher à l’"abstraction lyrique", chère à Deleuze, à travers notamment tous ces gros plans de visages (mais aussi les inserts sur les objets ou les parties d’un corps) qui arrachent littéralement l’image du plan et font surgir l’affect (8). A ce titre, le personnage du curé serait même plus dreyérien que bressonien. Quoi qu’il en soit, ce qui rend Marie et le curé si bouleversant c’est bien, au-delà de la beauté visuelle du film, la manière dont Medveczky arrive à faire ainsi ressortir la détresse du personnage, aidé en cela par le jeu de l’acteur (admirable Jean-Claude Castelli): une première fois, quand, le péché de chair commis, Marie chassée et l’auto-châtiment accompli, le curé dépérit dans son presbytère, désespérant de ne jamais revoir la jeune femme, de plus en plus envahi par le désir - désir éminemment coupable, où se ressent massivement l’angoisse qui lui est associée -, ce que résume ce plan sublime, digne d’un Murnau, peut-être le plus beau de toute l’œuvre de Medveczky, où l’on voit le curé frotter le piano sacrilège (celui sous lequel il a séduit Marie) avec des branches de rosier, puis se mettre à le caresser, comme s’il s’agissait du corps de sa maîtresse; une seconde fois, quand, ayant appris la grossesse de Marie et cherché en vain à marier celle-ci, le curé implore Dieu de le secourir, ne trouve que silence comme réponse, et que la déréliction se transforme en rage, lors d’une séquence assez pasolinienne, à la fois burlesque et tragique, qui nous montre le curé en pleine crise, se débattant dans l’herbe puis frappant les arbres avec un bâton, prélude à son geste final. De la tentation de la chair au meurtre de cette même chair, de la jouissance à la folie, tout est lié dans le film et finit même par se confondre. Or qu’est-ce qui fait le lien entre les différents états affectifs que traverse le personnage sinon son rapport à l’autre, toujours identique, qui passe ici par le regard et où se laissent progressivement deviner les signes de la folie (c’est par ce biais que Medveczky rejoindrait Buñuel). Ainsi la séquence qui suit l’annonce par Marie de sa grossesse, où Medveczky raccorde, gros plans à l’appui et au son d’un métronome, le regard subitement inquisiteur que prennent les personnages du tableau accroché au mur - un triptyque de la Renaissance - avec le regard perdu, contrit et déjà inquiétant du curé. Ou encore, lors du finale, quand le curé conduit Marie en voiture vers le lieu du drame et que tout se lit - la détermination de l’un, l’angoisse de l’autre - à travers les regards échangés, dans le rétroviseur de la voiture. Il y a chez Medveczky tout un travail de réverbération qui permet au bout du compte de faire correspondre le geste du meurtrier et celui du prêtre. Derniers plans: la nuit qui tombe, la 4L du curé arrêtée près d’un champ, le bruit assourdissant d’un avion à réaction, un panoramique à 180° découvrant Marie et le curé seuls au milieu du champ; un premier coup de feu, Marie qui s’écroule - plan d’un gris absolu, le manteau de Marie se confondant avec la terre labourée -, le curé qui se précipite sur elle, lui donne l’absolution, porte le coup de grâce, puis sort un couteau, accouche la jeune femme morte (on entend les vagissements), tue l’enfant (les vagissements s’arrêtent) et, mains jointes ensanglantées, se lance dans une prière sans fin. Mystère et sacrements. La puissance de ce finale tient au fait que non seulement le curé reste prêtre jusqu’au bout (Medveczky ne le montre pas mais le "prêtre-meurtrier" aurait aussi baptisé l’enfant avant de le tuer), mais que surtout il se trouve délesté, malgré l’horreur du geste, de sa part de monstruosité, comme si c’était bien le "mal" en lui qu’il détruisait en tuant Marie, comme si c’était bien sa propre image qu’il effaçait en tuant l’enfant (et non le risque que celui-ci lui ressemble), personnage en définitive moins monstrueux que terriblement humain.

Une moto nommée désir

Si la dimension rituelle est manifeste dans Marie et le curé, à travers tous ces gestes exécutés par le personnage (de la gymnastique matinale dans le jardin au double crime final, en passant par tout ce qui vise chez lui à contrecarrer le désir ou à se mortifier si d’aventure il y a cédé, sans compter ce qui touche directement au sacerdoce), elle se retrouve aussi dans les deux autres films de Medveczky, à commencer par Jeanne et la moto. Car qu’est-ce qu’un rite? C’est d’abord, au-delà de toute considération liturgique, un acte toujours répété. Ce qui fait la force poétique de Jeanne n’est pas tant les métaphores (au demeurant très belles) suggérant l’impuissance du personnage que ce qui inscrit ce dernier dans la répétition. L’ouverture, idyllique, du film - l’homme sur sa moto, la femme assise derrière, filant à pleine vitesse sur une plage - n’est qu’illusion. Dès le plan suivant la moto connaît des ratés et tombe rapidement en panne. Impossible à redémarrer, elle "pourrira" sur le bord de la route. Le verdict de la femme est dès lors sans appel et va poursuivre l’homme tout au long du film: "Tu n’es pas un homme, un homme n’est pas ça... tu t’en fous... un aviateur ressemble à son avion, un ouvrier à sa mobylette, un type bien à sa DS, toi tu ressembles à ta vieille moto crevée..." Si l’homme, ainsi identifié à sa moto, entre par la suite dans la gendarmerie, c’est bien sûr pour pouvoir piloter une nouvelle machine (une superbe BMW), mais il ne se montre pas davantage à la hauteur, se révélant plutôt maladroit et toujours aussi piètre mécanicien. Ce qui se répète ici, c’est bien le ratage (ou pour parler lacanien, l’impossibilité du rapport sexuel). On nous objectera que c’est parce qu’il pense à la femme, pressé qu’il est de la retrouver, qu’il abîme sa moto. Nous répondrons que c’est parce qu’il est dans la répétition de l’échec qu’il ne peut penser à la femme sans perdre le contrôle de sa moto. L’homme ne fait que reproduire invariablement le premier raté (pendant que la femme, elle, se console dans les bras d’un jeune... dépanneur) comme s’il cherchait vraiment à ressembler à sa vieille moto. Désir inconscient qui trouvera son accomplissement dans le finale. L’homme et la femme se sont retrouvés, non pas sur une moto, mais chacun dans leur auto, objet moins phallique, lors d’une séquence peut-être fantasmée qui les voit sur la route, conduisant côte à côte, après que l’homme eut rattrapé la femme, puis se tendant la main par la portière - ce qui n’est possible que parce que l’homme conduit à droite! -, un geste qui, là encore, fait perdre à l’homme ses moyens (toujours la répétition), soit un nouveau couac, qui cette fois finit par un crash: une sortie de route, un arbre percuté... et le corps de l’homme à jamais brisé, mais vivant, ce que Medveczky symbolise par des vues fixes de l’arbre, d’abord arraché (l’accident), puis arasé (l’opération), enfin revigoré (la repousse), trois étapes qui préfigurent la scène suivante, qui est aussi la dernière, celle vers laquelle le film tout entier semble dirigé, comme aspiré, d’où son incroyable intensité: la femme en train de se poudrer et répétant le mot "amour"; l’homme, la tête défigurée ("sculptée à la colle Araldite" dit Medveczky dans le documentaire), sanglée et fixée à une tige métallique, essayant de lui répondre - ce sont les premières paroles du film qu’il prononce, hormis celles des contrôles d’identité ("papiers, s’il vous plaît!"), en répétant à son tour, dans une sorte de râlement à peine audible, le mot "amour". La scène se passe dans une chambre à coucher glaciale, que l’on découvre secondairement, en plan d’ensemble, filmé frontalement, tel un cérémonial baroque - et un peu kitsch - évoquant Lynch et Cronenberg, bien sûr, mais aussi Kubrick: la femme est assise sur le lit, l’homme à ses côtés dans un fauteuil roulant; puis la femme sort du champ, revient vêtue d’un manteau de plumes noires, embrasse affectueusement l’homme et quitte la pièce, accompagnée dans son mouvement par un travelling latéral qui vient dévoiler, dans un coin de la pièce, la "moto sculpture" que la femme avait conservée, alors que s’amplifie le bruit des vagues, écho à la scène originelle, Medveczky fusionnant ainsi, à travers ce mouvement de caméra, l’image de l’homme paralysé, harnaché dans son fauteuil, et celle de sa "vieille moto crevée", comme s’il lui tendait un miroir, de la même manière qu’il associait dans Marie et le curé, le geste du prêtre et celui du meurtrier. Finale terrifiant, beau et cruel, qui fait donc aussi correspondre les deux films, le second apparaissant comme une version inversée du premier, mieux: la réponse de Jeanne à la mort de Marie.

La tragédie d'un (jeune) homme ridicule

Puis vint Paul, dernier film de Medveczky si l’on suit l’ordre dans lequel ses films ont été présentés dans les festivals, si l’on considère surtout la décision de Medveczky d’arrêter par la suite toute activité artistique et de vivre ainsi retranché du monde. Comme s’il n’avait fait que mettre en pratique ce qu’il prônait dans Paul, à travers notamment les rites de la vie communautaire - scènes de cueillette, de repas, de contemplation, etc. -, reproduits individuellement mais toujours en communion avec la nature. A la linéarité des deux précédents films, Medveczky oppose dans Paul une structure beaucoup plus éclatée, sans axe véritable. Le personnage principal y apparaît comme une figure en creux, assez passive, qui ne fait que traverser le film. C’est que Paul n’a pas la fulgurance de Marie et de Jeanne. Déjà par sa longueur, mais aussi parce que le film est davantage ancré dans son époque - à travers l’itinéraire de Paul, c’est le procès de la société post-industrielle que fait Medveczky - se révélant plus politique et, de fait, moins poétique (même si la poésie y est encore bien présente) que les courts-métrages qui, eux, ne visent qu’à exprimer, avec ce que cela suppose d’intemporel, les avatars du désir. Reste que le film est aussi le prolongement des deux autres. Le désir prend ici la forme de l’utopie, l’utopie comme désir contrarié à l’heure du capitalisme tardif. Le jeune bourgeois que joue Léaud atterrit dans une communauté de végétariens mendiants, exemple même de société anticapitaliste (9). Or, telle l’ouverture de Jeanne et la moto, cette communauté n’est qu’un leurre. A l’impossibilité de la rencontre amoureuse succède l’illusion d’une société idéale. C’est que l’utopie est toujours imprégnée d’une vision très archaïque de la société (où l’on rêverait, comme dans l’île de Thomas More, d’un monde sans monnaie ni enclosure). Contraints de transgresser la loi pour se nourrir - en cueillant des champignons dans une propriété privée -, la plupart des membres se retrouvent en prison, alors que leur chef, plus réaliste, et qui, lui, a échappé aux gendarmes, vend sa chèvre pour s’offrir un... bifteck! On peut voir dans cette image du végétarien en train de manger de la viande une forme d’aporie qui est propre à l’utopie (selon Fredric Jameson): le fait qu’en recherchant une seule et unique solution à tous les maux de la société, l’utopie laisse nécessairement le mal, dont les causes n’ont pas été éliminées, occuper par instants le devant de la scène. On peut aussi y voir une forme de prophétie quant à l’évolution idéologique des principaux acteurs de Mai 68 (auquel Medveczky n’a jamais vraiment adhéré), appelés pour la plupart à rentrer progressivement dans le rang. On peut surtout y voir toute l’absurdité du monde moderne (aujourd’hui, on nous présenterait un écologiste roulant en 4X4). Tout aussi absurde, et en même temps extraordinaire, la scène suivante montrant le personnage, sur le chemin du retour, soudainement poursuivi par un sanglier, lui-même poursuivi par des chasseurs (ceux-là même, on l’imagine, qui avaient chassé au préalable la communauté de leurs terres), de sorte qu’on ne sait plus qui, de l’homme ou du sanglier, est vraiment poursuivi. Mais c’est évidemment dans la scène du cylindre que Medveczky rend compte le mieux de l’absurdité du monde. Scène beckettienne par excellence qui voit l’homme pénétrer dans une énorme cuve, une sorte de dépeupleur, dont il fait le tour (panoramique à 360°), d’abord debout, puis à quatre pattes, enfin en rampant. Résumé non pas de sa vie - l’énigme n’est pas œdipienne - mais d’une forme d’existence, comme une "fin de partie". Ce que montre Medveczky, c’est un personnage fuyant le monde extérieur, jugé trop hostile - en cela, la scène prolonge celle du sanglier -, s’enfermant dans un lieu clos, une façon, pense-t-il, d’échapper au destin de Paul qui, lui, trouve refuge avec la femme sur une île déserte, soit toujours le monde extérieur, un monde dépeuplé mais pas pour longtemps car vite rattrapé par la modernité et ses technocrates (les promoteurs). Mais rien n’y changera. L’homme meurt "enterré", comme on enterre ses illusions. Quant à Paul, abandonné à son tour par la femme, partie avec le promoteur, il n’a plus qu’à disparaître. Il n’aura été finalement qu’un témoin, le témoin effacé d’un monde incompréhensible. Sa mort ne peut être que ridicule: une dispute avec la femme, l’homme de main du promoteur qui le corrige trop violemment, et son corps qu’on brûle, comme s’il s’agissait d’un rite expiatoire - le sacrifice de l’idiot -, étape obligée dans la marche folle et de plus en plus inhumaine du progrès. Fin terrible, d’un pessimisme exacerbé - on peut parler de nihilisme - d’autant que cette mort est redoublée par celle de la femme qui, saisie par l’horreur du spectacle, se jette de la voiture du promoteur lancée à toute vitesse. La vue de son cadavre, tête à l’envers, les yeux révulsés, nous rappelle que Medveczky a enfant connu la guerre. Trente ans plus tard, il filme une voiture qui s’enfonce dans le brouillard, capote noire dépliée, tel un voile de deuil, symbole pour l’artiste d’un monde allant à sa perte... (Trafic n°83, automne 2012)

(1) Diourka, à prendre ou à laisser (2012). Initialement le documentaire s’intitulait Diourka, profession Dieu, mais Medveczky préférait Christ d’identité, ce dont la production visiblement ne voulait pas. D’où le titre finalement retenu.

(2) Dans le documentaire, on apprend qu’après Paul, Medveczky avait envisagé un nouveau film, Margaret et le veuf, avec sa fille Elisabeth Lafont (la sœur aînée de Pauline) alors âgée de 10 ans, un film écrit avec Roland Topor mais qu’il ne tournera jamais.

(3) Luc Béraud, in Cahiers du cinéma, n°213, juin 1969.

(4) Ce même carrelage - des losanges noir sur fond blanc - que l’on retrouve dans Jeanne et la moto, sous la forme de trois plans fixes montrant Jeanne et le jeune mécanicien en train de dormir (après l’amour), les deux corps nus allongés sur le sol.

(5) Sauf que dans la "lettre à Jacques Ledoux" (François Truffaut, Correspondance), dont on peut lire un extrait dans le livret qui accompagne le coffret DVD "Diourka-Lafont" édité en 2012, Truffaut évoque non pas Bresson mais Dreyer.

(6) Medveczky a quitté la Hongrie à l’époque où le pays était en pleine soviétisation, sous l’impulsion de Rakosi, le chef ultra-stalinien du Parti communiste hongrois, éliminant petit à petit, via la "tactique du salami", toute opposition.

(7) Difficile de ne pas voir derrière cet amour, celui de Medveczky pour l’actrice Bernadette Lafont qu’il avait épousée au début des années 60.

(8) Cette vision morcelée du corps revient souvent chez Medveczky. Dans le documentaire de Fredet et Labarthe, le cinéaste raconte que les premières fesses de femme qu’il a vues, lorsqu’il était enfant, c’était à Budapest pendant la guerre: "juste un cul sur un arbre", suite à l’explosion d’une bombe, le reste du corps éparpillé. Image d’horreur et "presque comique", dit Medveczky, à l’origine non seulement de son travail de sculpteur - "c’était des fesses rondes, jolies, un peu comme mes sculptures" – mais aussi de ce mélange de tragique et de grotesque qui caractérise ses films.

(9) Si la communauté du film est d’esprit assez soixante-huitard, elle semble aussi inspirée d’autres types de communautés, plus en rupture encore avec la société, telles les communautés religieuses - on pense à celle de Lanza del Vasto prônant comme ici végétarisme et non-violence - voire les sectes et leurs pratiques pseudo-mystiques.

PS. Diourka Medveczky est décédé le 27 septembre 2018.

mercredi 23 décembre 2020

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Ennui/Abandoned, Kit Sebastian, 2020.

On reste dans la pop "post-rétro-active" (le terme est de moi, il ne veut rien dire), celle qui réinvente le passé à la lumière d'aujourd'hui, en mixant des styles très divers, généralement avec de vieux synthés, parfois accompagnés d'instruments traditionnels (orientaux ou latinos), comme c'est le cas de Kit Sebastian (Kit Martin et Merve Erdem), duo anglo-turc dont la musique va du rock psyché anatolien à la tropicalia brésilienne, en passant par le jazz et la pop des années 60 (je cite Bandcamp). Avec leur deux-titres "Ennui/Abandoned"on a un avant-goût de ce que sera leur prochain album, enregistré dans la Creuse.

mardi 22 décembre 2020

Rétro 2020: Drab City


Good Songs for Bad People, Drab City, 2020.


D'où ils sortent ces deux-là? Lui, c'est Chris Dexter Greenspan, un gars du New Jersey (?), pionnier de la witch house (oOoOO), comme le rappelle le morceau tout branlant, genre piles déchargées, qui ouvre le disque... Elle, c'est Asia Nevolja, une fille d'origine bosniaque (qui aurait grandi en Allemagne puis vécu à Paris), belle voix suave, connue sous le nom d'Islamiq Grrrls. Ils se seraient rencontrés à Berlin... mais tout ça est incertain — on avance que le groupe serait français! Drab City est leur premier projet en commun, même s'ils avaient déjà travaillé ensemble (cf. Faminine Mystique). Et si on précise que Good Songs for Bad People est sorti sur le label Bella Union, le rapprochement avec Cocteau Twins et Beach House est inévitable. Reste que les références ne s'arrêtent pas là tant l'album, fusion réussie de trip-hop et de dream pop, mais aussi de blues (bosnien?), de jazz, de dub et autres ambiances électro, se révèle - au-delà du désenchantement qui le traverse tout du long - d'une richesse infinie.