samedi 12 décembre 2020

Un Gu exquis


Séjour dans les monts Fuchun de Gu Xiaogang.

Le yin, le yang et le yuan

Quel film! Grande fresque sur la Chine d'aujourd'hui (ça se passe à Fuyang où est né le cinéaste, ville en pleine mutation qu'il retrouve après de nombreuses années), en même temps que chronique familiale (autour de la figure-pilier que représente l'aïeule, subitement affaiblie, dont les quatre fils vont devoir s'occuper), tel un mixte des premiers Jia (Zhangke) et des premiers Hou (Hsiao-hsien) - c'est dire l'ampleur de ce premier film -, Séjour dans les monts Fuchun emprunte, dans sa facture, à la peinture chinoise traditionnelle, les fameux shanshui, ces paysages peints à l'encre sur des rouleaux horizontaux, ainsi le rouleau de Huang Gongwang qui donne son titre au film, et surtout celui de Zhang Zeduan, Along the River During the Qingming Festival, long de plus de cinq mètres, dont la lecture se fait de gauche à droite, ce que reproduit Gu Xiaogang lors d'un travelling mémorable, qui suit in extenso un des personnages longer à la nage la berge du fleuve, un plan-séquence d'une dizaine de minutes, lui-même contenu dans un plus grand, deux fois plus long, démarrant dans le parc et se terminant avec le départ du ferry, une "horizontalité" qui permet ainsi de s'imprégner au maximum du paysage tout en restant à la surface. (La phrase est longue, c'est voulu.)



Donc voilà. Une vraie poétique, qui privilégie le plan large, le sujet dans son décor naturel, que la caméra accompagne en douceur. C'est méandreux mais fluide. Surtout ça respire (à l'inverse d'un autre film chinois, vu l'an dernier, So Long My Son, au récit empêtré du fait de sa chronologie éclatée). Et si ça respire, c'est que Gu ne se contente pas de cet ancrage esthétique, qui confère au film cette part d'éternité qui est celle de la Chine multimillénaire, où se mêlent rapport taoïste à la nature, respect confucéen aux parents et pratique bouddhiste, il y associe ce qui aujourd'hui vient bouleverser l'édifice, ce capitalisme sauvage auquel la Chine s'est ralliée, symbolisé ici, outre la politique d'urbanisation (détruire/reconstruire) qui transforme de fond en comble le paysage de Fuyang (dans le prolongement de sa grande sœur, Hangzhou, située de l'autre côté de la baie), par la circulation de l'argent, s'infiltrant partout, écho dans le film au mouvement de l'eau (l'argent liquide).

Le camphrier

Mais il y a plus. Deux choses. D'abord cette idée de "séjour", qui inclut à la fois les notions de temps et de lieu, le temps durant lequel on réside en un lieu, qui est celui de Gu lui-même, passé à tourner son film (2 ans = 2 fois 4 saisons), un séjour qui s'apparente à une "résidence" d'artiste, sa Villa Médicis à lui, qui lui permet tout ce travail de création, fait de compositions savantes, très élaborées (mais jamais gratuites), en accord avec le caractère composite du cadre. Et puis les personnages de la famille, dont le destin, comme calligraphié, suit les fluctuations de l'Histoire; la famille menacée d'atomisation, mais qui tient malgré tout, par la robustesse de ses traditions, on l'a vu, à l'image du camphrier, l'arbre-symbole du film.
 C'est là que Séjour... touche au plus beau, qui montre la famille elle-même comme un paysage shanshui, aux prises avec la modernisation, fragilisée à ses deux extrémités: Mum, la doyenne, à la sénilité croissante, et Kangkang, l'enfant trisomique, à la santé chancelante. Deux pôles qui renvoient, d'un côté, au passé, dont les traces tendent à s'effacer et qu'il faut donc perpétuer; de l'autre, au futur, plus que jamais incertain et vis-à-vis duquel on ne peut que s'inquiéter. Entre les deux: le présent - mouvant, instable - auquel les autres membres de la famille s'accrochent, chacun à sa manière, en essayant de raccorder la vie d'hier à celle de demain, ce à quoi s'attelle même le cadet, le moins honorable des frères, et pourtant le plus loyal (il paie ses dettes), quand à la fin il décide de prendre en charge sa mère dépendante en plus de son fils déficient, offrant là les scènes les plus émouvantes du film.

2 commentaires:

  1. J'ai compris en lisant votre titre : c'est pas les Cahiers du cinéma qui vous intéressent (ils payent trop mal), en fait vous postulez pour Libé !

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    1. Ni les Cahiers ni Libé... le "goût" du jeu de mots (et des "exquis" mots), je l'ai depuis tout petit. Mes parents qui m'aimaient beaucoup avaient l'habitude, avant que je m'endorme, de me faire écouter Bons baisers de partout, le feuilleton radiophonique de Pierre Dac, un festival de calembours.

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