vendredi 25 décembre 2020

Le jouet-monde


Toy Story 4 de Josh Cooley (2019).

Quoi de mieux que Noël pour reparler de "Toy Story", la fabuleuse saga de chez Pixar dont le premier épisode est sorti il y a tout juste 25 ans... En attendant Soul de Pete Docter.

Aaaah Toy Story 4... quelle merveille ce film!, qui à l'instar de Toy Story 3, revisitant, plus de dix ans après, les deux premiers volets pour mieux les surpasser, embrasse, presque dix ans plus tard, toute la saga pour aller encore plus loin, "vers l'infini et au-delà", pourrait-on dire, paraphrasant Buzz. Et cette question: peut-on vraiment faire mieux, non pas au niveau de la technique - ça oui, on le sait, on n'arrête pas le progrès -, mais en termes d'émotion, qui soit égal à ce qu'on peut éprouver, non pas avec de vrais acteurs (le défi n'est pas là) mais dans les plus beaux films hollywoodiens, tous genres confondus. Car c'est un fait: si chaque épisode de la série marque une étape supplémentaire dans le rendu des images (il suffit de comparer Toy Story 4 au premier Toy Story, premier long métrage entièrement réalisé en images de synthèse, considéré à l'époque - un siècle après la naissance du cinéma - comme une incroyable prouesse technologique), c'est la part narrative qui à chaque nouveau film prend un peu plus d'ampleur, pour offrir à l'ensemble ce supplément d'âme qui rapproche Toy Story des meilleures fictions. Avec le n°3 on y était, surtout dans la seconde partie, le point d'orgue que constituait la séquence de la décharge et de l'incinérateur (le véritable enfer des jouets, plus encore que Sunnyside la garderie), puis son épilogue, le passage de témoin, merveilleux, entre Andy, l'enfant devenu trop grand, et la petite Bonnie... Avec le 4, on y est toujours, et ce dès le début, sans qu'il soit nécessaire d'attendre le finale.

C'est que la grandeur de Toy Story 4 n'existerait pas sans les précédents volets. On peut préférer le premier, pour sa poésie, son côté encore techniquement imparfait au regard des suivants - de la même manière qu'on préfèrera le King Kong de 1933 à tous ses remakes -, on peut préférer le deuxième, pour sa dimension nostalgique (de la question des origines à l'obsession de la collection), on peut préférer le troisième, pour l'angoisse extrême, plus proche cette fois de la mélancolie, qu'il véhicule quant au devenir d'un jouet... peu importe en définitive, c'est la série prise dans son ensemble qui en fait un véritable sommet du cinéma. Au point qu'on peut parler ici de métaphysique du jouet. Où dominent les deux grandes questions, essentielles, concernant le jouet pixarien, en tant qu'objet pensant (plus encore que vivant): "je - moi le jouet - pense, donc je suis", soit le jouet qui existe, dont on ne se demande plus à quel moment il devient vivant (théoriquement quand les enfants ne sont pas là), vu qu'il l'est toujours - vivant -, même quand il est immobile, inerte, ne faisant dès lors que singer l'absence de vie des objets inanimés. Deux grandes questions, donc, que sont: 1) la conscience du jouet, le fait d'être un jouet: qui je suis? d'où je viens? où vais-je?... autant d'interrogations auxquelles la série ne se contente pas de répondre: "je suis le jouet d'Andy, je viens de sa chambre et j'y retourne", paraphrasant cette fois Pierre Dac, préférant plutôt, en les ressassant telle une rengaine, exprimer le vertige existentiel dont elles témoignent; 2) corollaire de la première question: la relation du jouet à l'enfant (plus intéressante que dans l'autre sens, de l'enfant au jouet), et même, du jouet à son enfant... C'est ça aussi qui, indépendamment des situations hilarantes ou, à l'inverse, dramatiques (parfois les deux en même temps!), fait la grandeur de Toy Story... la façon dont les thèmes sont "retournés" en leur contraire, non pas pour s'amuser du paradoxe, mais bien pour approfondir le sujet, enrichir les personnages, dramatiser leurs relations... et conférer au récit une dimension dialectique. Ainsi dans le dernier volet, le nouveau personnage de Forky, la fourchette, objet-déchet fait de détritus (un simple couvert en plastique, des yeux asymétriques, une bouche en caoutchouc, des fils chenilles en guise de bras, un bâtonnet de popsicle coupé en deux et fixé par un chewing-gum pour les pieds, hop le tour est joué) et désireux pour le coup, du moins au début (ne se sachant pas "jouet"), de retourner à la poubelle, alors que c'est justement ce que redoutent tous les jouets, cette peur quasi ontologique, s'ils n'ont plus les faveurs de l'enfant et n'ont pas été récupérés par un autre - devenant ainsi des jouets-rebuts -, de finir oubliés et couverts de poussière au fond d'un grenier, ou pire, jetés aux ordures, prêts pour la déchèterie; peur que la série se charge, au fil des épisodes, de déplacer pour qu'à la fin soit accepté le choix de vivre libre, sans enfant...

Et au centre de tout ça, le personnage de Woody, le shérif, vieux jouet des années 50, originellement un pantin (il a un côté Pinocchio), star éphémère du petit écran, devenu pièce unique - à la différence de Buzz l'Eclair, son ami, objet moderne par excellence, décliné en milliers d'exemplaires -, et surtout le chef de la chambrée, attaché à Andy, dont il met longtemps à faire le deuil quand celui-ci part à l'université, ce qu'il réussit à surmonter (en partie) grâce à Bonnie... sachant que son destin, en tant qu'objet de plus en plus obsolète - concurrencé par les nouveaux jouets, toujours plus sophistiqués, ou au contraire du plus rudimentaire d'entre-eux mais fabriqué par Bonnie elle-même -, est de s'émanciper à son tour, à l'instar d'Andy, et de devenir comme Bo Beep, la bergère en porcelaine (dont Toy Story 4 célèbre les retrouvailles avec Woody vingt ans après) un jouet autonome, le jouet perdu, dont on a perdu la trace, mais qui poursuit son existence, ailleurs, hors du coffre à jouets, de la chambre ou du grenier, sans propriétaire (autant dire sans enfant), libéré de toute fonction sociale, le jouet qui vit sa vie de jouet, pour lui-même... Et ainsi refermer la boucle, faire de ce dernier Toy Story une histoire de synthèse, comme il y a l'image. Et pour cela, y associer un nouveau genre, après la science-fiction, le western et le film d'horreur: l'action girl, avec Bo en héroïne badass (supplantant Buzz), relookée en super-héroïne (cape et combinaison), toujours "armée" de sa houlette et accompagnée de ses "trois-moutons-en-un", en fait "trois-brebis-en-une", mais auxquels on a adjoint une mini-policière perchée sur son épaule (sorte de Jiminy Cricket au féminin), le groupe se déplaçant à l'aide d'un sconce à moteur!... de quoi écorner l'égo, jusque-là plutôt démesuré, de Woody (au point de "filer" doux aux côtés de sa bergère?), bref de le faire grandir lui aussi, même si pour cela il doit quitter Bonnie et abandonner ses amis, que je cite pour le plaisir: outre Buzz, Jessie la cowgirl, Pile-Poil (Bullseye) le cheval, Zig-Zag (Slinky) le chien à ressort, Bayonne (Hamm) le cochon-tirelire, Rex le dinosaure, M. et Mme Patate, les Aliens, la paire de lunettes binoculaires, le tableau magique... les jouets de Bonnie (le tricératops, la licorne, le hérisson en culotte de peau, Dolly la poupée de chiffon)... et les deux nouveaux, désopilants: les peluches Ducky et Bunny (je mets à part Duke Caboom, le cascadeur à moto canadien, que le destin appelle vers d'autres horizons). Autant de personnages qui renforcent encore plus l'aspect composite de Toy Story, ce côté bric-à-brac génial, qui est celui des brocantes et des vide-greniers, où se mêlent des jouets de tous types, bois, tissus et plastique confondus, plus proche aussi, par le désordre qu'il produit, de la fête foraine (où ça vit) que de la boutique de jouets ou du magasin d'antiquités.

Alors oui, bien sûr, c'est toujours le même canevas: un début en fanfare, véritable morceau de bravoure, le plus souvent une illustration bigger than life de l'imaginaire de l'enfant, remplacé ici par le sauvetage sous la pluie (en mode commando) d'une petite auto dérivant dans le caniveau... une situation dramatique: l'arrivée de nouveaux jouets ou au contraire le départ d'anciens, là c'est la journée d'adaptation de Bonnie à la maternelle, justifiant que Woody l'accompagne à ses risques et périls... des méchants: de Sid, le garçon qui torture les jouets, à Gaby Gaby, la poupée défectueuse, et ses pantins ventriloques (mais sans voix), en passant par Al le collectionneur, le vieux Papi Pépite (Stinky Pete) et mon préféré, Lotso, le gros ours en peluche parfumé à la fraise... des aventures en veux-tu en voilà dans des endroits de plus en plus "peuplés" (de Pizza Planet au parc de jeux et son carrousel), dessinant un monde toujours plus grand, plus ouvert, ouvert à tous les jouets, pour qu'ils y découvrent une autre vie, s'ils le désirent, parfois un nouveau propriétaire, si ça leur manque... non pas un monde de jouets, mais un jouet-monde que seul l'ensemble des quatre épisodes pouvait révéler, par la répétition, invariable et pourtant variée, d'une histoire universelle, qui débarrasse progressivement la série de ses inévitables références (de Spielberg à Tim Burton, en passant par Star Wars et la poupée Chukly) pour devenir la référence (chez Pixar mais pas que), en matière de récit et d'émotions, par tout ce que la série a accumulé, répété, sublimé, depuis le début, depuis l'instant où Woody a martelé à Buzz: "Tu n'est qu'un jouet!" jusqu'au moment où ils se séparent, définitivement - chacun plus qu'un jouet, le jouet total, absolu -, sachant que pour le premier, finalement, l'avenir est peut-être plus rose que pour le second (Buzz l'Eclipse?), déjà en retrait dans le dernier volet par rapport aux premiers Toy Story... (et surtout pas d'un cinquième épisode, ça n'aurait aucun sens, ce serait même criminel vis-à-vis de la série). Alors oui, Toy Story prône les valeurs positives que sont le sens du collectif et du partage (contre l'individualisme), le respect de la différence (contre la tyrannie de la norme), et maintenant le pouvoir accru des femmes (contre le machisme ambiant) - concrétisé par Bo Beep et Gaby Gaby... alors que, côté machisme, Caboom n'est pas vraiment à la fête -, on pourrait trouvé ça édifiant, mais non, c'est balayé par le souffle de la fiction, le rythme de l'action, la cascade d'inventions, toute cette entropie fabuleuse, qui font que Toy Story demeurera pour toujours cette drôle de fenêtre ouverte sur le monde, vision enchantée autant que terrifiante depuis la chambre de notre enfance.

Toy Story 1 de John Lasseter (1995). Scén.: John Lasseter, Pete Docter, Andrew Stanton et Joe Ranft (histoire originale); Josh Whedon, Andrew Stanton et al. (scénario).
- Toy Story 2 de John Lasseter, Ash Brannon et Lee Unkrich (1999). Scén.: John Lasseter, Pete Docter, Ash Brannon, Andrew Stanton (histoire originale); Andrew Stanton et al. (scénario).
- Toy Story 3 de Lee Unkrich (2010). Scén.: John Lasseter, Andrew Stanton, Lee Unkrich (histoire originale); Michael Arndt (scénario).
- Toy Story 4 de Josh Cooley (2019). Scén.: John Lasseter, Andrew Stanton, Josh Cooley et al. (histoire originale); Andrew Stanton et Stephany Folsom (scénario).

3 commentaires:

  1. Soul c'est mieux que Toy Story 4.

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  2. Soul ? Le scénario ne présente aucune aspérité. Les grands trouveront ça intelligent. Tout est fait pour leur en donner l’impression (les petits n’y comprendront rien. Les parents se feront un plaisir de leur expliquer). Tout ça pour nous dire que la vie il faut l’apprécier dans ses petits riens. Du Delerm gonflé à la technique. Ajoutons également pour conclure que c’est tout de même assez laid.

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