dimanche 25 décembre 2022

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Stumpwork, Dry Cleaning, 2022.

C'est Noël, l'heure de mon Top albums 2022: (par ordre alphabétique)
              
— A Bit of Previous, Belle and Sebastian, Matador
Hiding in Plain SightDrugdealer, Mexican Summer
Maida Vale Sessions (BBC Sessions: 1996-2003), Broadcast, Warp Records
— La mélodie, le fleuve & la nuit, Jérôme Minière, Objet Disque
Nickel Chrome, François Club, Disque Hyper Souple
Once Twice Melody [le vidéoclip: ], Beach House, Bella Union
— Small WorldMetronomy, Because Music
StumpworkDry Cleaning, 4AD
— YTI⅃AƎЯBill Callahan, Drag City

+ un 10e que je dévoilerai quand je l'aurai trouvé.

dimanche 4 décembre 2022

22 v'là les films !

Notes sur les films qui composent mon Top 2022 (cf. le post précédent) mais dont je n'avais pas encore parlé.

Rappel en ce qui concerne les autres:

Licorice Pizza de Paul T. Anderson: Du réglisse dans la vallée
Don Juan de Serge Bozon: Bien porter le cocard
Juste sous vos yeux de Hong Sang-soo: Un cinéma rossellinien
Bowling Saturne de Patricia Mazuy: Bowling, ça tourne
Pacifiction d'Albert Serra: Pas si fiction

Et pour commencer: Aucun ours de Jafar Panahi.


Aucun ours de Jafar Panahi (2022).

L'homme qui a vu l'ours.

On sait le contexte: la situation de Jafar Panahi au moment du film, toujours assigné à résidence et interdit de tournage (aujourd'hui il est en prison); Panahi qui aurait pu s'exiler depuis longtemps mais qui préfère résister de l'intérieur, dans son pays, l'Iran, ainsi qu'il apparaît dans Aucun ours, lorsque le personnage qu'il incarne (lui-même, comme d'habitude, dans son propre rôle) se retrouve en pleine nuit à la frontière (de l'autre côté, c'est la Turquie où son équipe tourne le film qu'il dirige à distance, via Internet), et que, effrayé à l'idée non pas de transgresser l'interdit mais de contrevenir à sa règle de conduite, il fait marche arrière et retourne dans le village (Jaban, tout au nord de l'Iran) où il s'est installé le temps du tournage. Et comme toujours chez Panahi, cette intelligence du dispositif qui dit l'essentiel avec le minimum de moyens. A un premier niveau, c'est l'Iran traditionnel, loin de Téhéran, avec ses rituels ancestraux (le lavage des pieds des futurs fiancés, mais aussi l'obligation pour une femme d'épouser celui qu'on lui a destiné à la naissance, exemple parmi d'autres — ils sont nombreux — de cette soumission à laquelle est contrainte la femme iranienne, l'empêchant d'épouser celui qu'elle aime — en ce sens, Aucun ours prolonge Trois Visages, le précédent film de Panahi, avec lequel il forme un fabuleux diptyque); à un second niveau, l'Iran d'aujourd'hui, privé de libertés et sans avenir, où règne la torture (qu'elle soit blanche ou physique), pays que dès lors beaucoup cherchent à fuir, par tous les moyens — deux voies sont possibles, dit à Panahi son assistant: la contrebande, avec le risque de se faire escroquer, ou les passeurs, avec le risque d'être tué.
Ces deux niveaux, Jafar Panahi les imbrique à travers deux histoires: 1) l'histoire du film que son personnage est donc en train de réaliser, qui est celle d'un couple en quête de vrais-faux passeports pour rejoindre la France (l'homme a un faux air de John Cazale), une sorte de docu-fiction puisque c'est la vraie vie du couple qui est filmée, sauf que ça ne se passe pas comme prévu et que la sincérité de Panahi est même mise en doute par la femme, autant d'éléments qui vont conduire au drame; 2) l'histoire d'une photo que Panahi aurait prise dans le village (ce qui est probable mais le film ne le montre pas), celle d'un autre couple d'amoureux, mais "illégitime" celui-là, photo que réclament les hommes du village pour confondre le garçon, mais que Panahi ne peut/ne veut leur donner, affirmant ne pas avoir fait de photo du couple, allant même, pour le prouver, jusqu'à remettre au maire la carte mémoire de son appareil, ce qui en fait ne prouve rien (la photo, il l'a probablement supprimée — c'est mon avis — mais le film, là non plus, ne le montre pas), expliquant qu'à la fin on lui demande de prêter serment (une tradition dans le village pour mettre fin à un conflit — il est même toléré de mentir si c'est pour la bonne cause), autant d'éléments qui, là aussi, vont conduire au drame... Au cœur de ces deux histoires, le pouvoir ambigu des images, entre vérités et mensonges, qui fait de Panahi le digne héritier de Kiarostami (avec les clins d'œil habituels, ici, par exemple, l'obligation pour le cinéaste d'aller sur la colline avec son ordinateur portable pour avoir du réseau, ce qui rappelle le documentariste dans Le vent nous emportera), à la différence toutefois que l'humanisme de Panahi est plus chaleureux que celui de Kiarostami dont l'œuvre avec le temps tendait de plus en plus à l'abstraction. Cela tient d'abord à la présence de Panahi devant la caméra, et à sa bonhomie, mais aussi à ce besoin chez lui de proximité, d'être près des gens, ce dont témoigne ici le désir exprimé par son personnage d'être le plus proche possible du lieu de tournage, des décors, certes de l'autre côté de la frontière mais tout à côté, désir irraisonné puisque compliquant la supervision du tournage, en plus que de se révéler dangereux...
Le titre fait référence à un passage du film où l'un des personnages, après avoir mis en garde Panahi du danger qu'il y a à s'aventurer seul la nuit à cause des ours, lui avoue qu'en fait il n'y a pas d'ours, que les ours c'est juste pour faire peur. La réalité, c'est qu'il y a bien des ours dans cette région de l'Iran (qu'ils soient de Syrie ou du Caucase, peu importe), mais surtout que ces "ours" qui font peur, ce sont les "yeux" du pouvoir iranien, qu'on ne voit pas mais qui sont bien là, vous observant en permanence, où que vous soyez, au courant de tout, comme le sont également les villageois (la poussière sur le 4x4 de Panahi n'est pas celle qui recouvre habituellement le tracteur du village, elle signe la virée nocturne du cinéaste du côté de la frontière par le même chemin que celui, poussiéreux, qu'empruntent les passeurs)... des villageois craignant qu'on les épie à leur tour, parce que dans une dictature, la suspicion finit par gagner tout le monde. Jafar Panahi rend compte admirablement de ce sentiment d'oppression qui, à des degrés divers et selon les modes de vie, imprègne toute la société iranienne, sentiment que le cinéaste traduit, au niveau narratif, par ces deux histoires qui s'emboîtent, et sur le plan formel par tout un jeu avec le cadre (ici plutôt de traviole), tous ces "cadres-dans-le-cadre", comme il y a le "film-dans-le-film", telles les grilles d'une prison. Il en ressort un film réellement stupéfiant. On y devine l'urgence (à filmer) d'un cinéaste empêché (de tourner) et c'est prodigieux. A la toute fin du film, "invité" à quitter les lieux, Jafar Panahi passe en voiture près de la rivière où la cérémonie du lavage des pieds avait été filmée au début, n'importe comment (c'était mal filmé, sans technique, mais c'était du cinéma "vrai", sans mise en scène) par celui qui l'hébergeait... à la place: un drame (mis en scène cette fois), après celui qui vient de conclure la première histoire. On l'incite de nouveau à partir. Il s'exécute... Mais au bout de quelques secondes, alors que résonne une alarme (il n'avait pas attaché sa ceinture de sécurité), il stoppe brusquement sa voiture. Pour attacher sa ceinture? Non. Plutôt pour nous rappeler que — quoi qu'il arrive — son pays c'est l'Iran et qu'il ne partira pas...

Prochainement, pour finir encore (sans autres foirades):

Fumer fait tousser: Dupieux, fumeur à vannes.
— Dédoublements: Vortex de Gaspar Noé, Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis de Kōji Fukada et Days de Tsai Ming-liang.
— L'encrier de Richard Linklater: sur Apollo 10½: les fusées de mon enfance.

[ajout du 13-12-22]

Fumer fait tousser de Quentin Dupieux (2022).

Tabac Farce.

On pourrait croire que dans "fumer fait tousser" se cache une contrepèterie... mais non, j'ai bien cherché, je n'ai rien trouvé... tant pis pour la contrepèterie, tout ça n'empêche pas le film d'être, question poilade, un des meilleurs Dupieux, la référence en la matière étant le Daim. Les pisse-froid trouveront encore à redire, laissons-les dire... Fumer fait tousser est un film hilarant, au point que j'ai failli m'étouffer quand j'ai découvert la première fois Chef Didier, le rat pas très ragoûtant (euphémisme), à la gueule dégoulinante de bave (bien verte et bien gluante), qui, par écran interposé, dirige une équipe de justiciers, les Tabac Force: "cinq fantastiques" à la sauce dupieussienne, c'est-à-dire "bas de gamme", à qui le chef a ordonné une pause-retraite pour qu'ils retrouvent leur cohésion.
Fumer fait tousser, c'est de la "sci-fi lo-fi", agrémentée de gore et de bave, ce qui fait que ça relève aussi du genre "sale sci-fi", dont on sait — le salsifis — les bienfaits pour la santé... comme le rire d'ailleurs, au contraire du tabac que nos super-zéros non-fumeurs utilisent comme arme de combat, tout en rappelant aux enfants que la cigarette c'est nul et que ça fait tousser. Soit cinq faux copains de la clope: Benzène, Méthanol, Nicotine, Mercure et Ammoniaque... en mode pause, dans un joli cadre provençal, où, faute d'activité, ils s'occupent à raconter, chacun, l'histoire la plus horrible qu'ils aient jamais entendue... la plus horrible, comme il y avait la plus incroyable (mais vraie) dans le précédent Dupieux. Tous ne la racontent pas (leur histoire), à commencer par le Noir de l'équipe, régulièrement empêché, étant entendu aussi que la pire de toutes, racontée par une petite fille passée là par hasard, le spectateur, lui, ne la connaîtra pas, pas plus que la fin de celle que raconte le "barracuda" en train de cuire sur son grill... hélas, trop vite grillé.
Reste deux histoires, que je ne raconterai pas, rassurez-vous, mais qui vont structurer le film et lui donner du sens, le sens caché du nonsense, sens qui, évidemment, n'est pas unique. Les rabat-joie trouveront encore à redire, laissons-les dire... Le premier degré, c'est le thème même du film: l'apocalypse, la fin de la planète Terre, que menace de déclencher Lézardin, un super-vilain; le deuxième degré, ce pourrait être la même chose mais à l'échelle de l'humain, la fin du monde ramenée à la propre fin de chacun, ici à cause du tabac, l'apocalypse que serait alors, disons, le cancer du poumon, ce qui fait que la pause observée par les Tabac Force équivaudrait à une cure de désintoxication (sevrage en douceur au bord d'un lac, jusqu'au finale où...); et puis, il y a le troisième degré, qui touche aux deux histoires qui nous sont racontées et que j'ai promis de ne pas raconter... Sauf à dire que dans la première il est question d'un "casque à penser" et dans la seconde d'un corps réduit progressivement à l'état de bouche, juste une bouche, les deux histoires étant à relier, puisque s'y exprime à chaque fois une forme (trompeuse) de bien-être, aussi bien chez celle qui s'isole du monde, via son casque, que chez celui qui, malgré ce qui lui arrive, reste insensible à la douleur, donc au monde.
Impossible de ne pas penser à Beckett, quelque part entre L'innommable (la conscience) et Pas moi (la bouche), pour ce qui est de l'absurde, au sens premier du mot, ainsi que je l'évoquais à propos de Wrong: du latin ab-surdus, "complètement sourd", sourd au monde; et de la sensation de "vide" que cela sous-entend, comme chez Beckett, comme chez Dupieux: parler pour ne rien dire, pour dire qu'on a "rien" à dire (certes dans un tout autre registre, plus potache, mais bon...), ce vide existentiel que l'art, sous une forme toujours minimaliste, sinon rudimentaire, cherche à traduire — dans Fumer fait tousser, à travers cette conscience qui se parle à elle-même et cette bouche qui demeure conscience — pour nous rappeler que ce qui se dit là, de manière dé-raisonnée, non intelligente, c'est l'angoisse, présente dans tous les films de Dupieux — Réalité tournait entièrement autour de ça —, mais le plus souvent masquée (derrière l'aspect déconnant du récit) et d'autant plus masquée que l'idiotie, dans sa forme la plus crasse, est comme un rempart à l'angoisse (cf. le tandem de Mandibules).
L'angoisse, ici, on l'aura deviné, est celle qui renvoie l'homme à sa finitude. Dans la première histoire, ce n'est pas l'angoisse mais la peur que Dupieux met en scène (la séquence dans la piscine). L'angoisse, elle, perçue tout au long du film, ne se matérialise réellement qu'à la fin, à la nuit tombée (c'est le dernier plan), lorsque les Tabac Force, informés que la fin du monde est pour maintenant, sont là en train d'attendre fébrilement que Norbert 1200, le nouveau robot aussi peu fonctionnel que l'ancien (suicidé), exécute le programme qui doit les faire changer d'époque. Peu importe que la catastrophe n'ait pas lieu, le programme pour y échapper reste désespérément en attente, tel un présent qui, à la manière des boucles répétitives de l'électro, se répéterait indéfiniment... Pour nos cinq héros, il n'y a plus qu'à angoisser un max, grillant cigarette sur cigarette. Fin de partie.

[17-12-22]

Dédoublements.

VortexSuis-moi je te fuis/Fuis-moi je te suisDays, chacun des ces films relève de l'expérience: diviser l'écran en deux, inverser le rôle des personnages, dédoubler la "performance", les films, ici, étant déjà à la base une expérience: sur le vieillissement, la rencontre amoureuse, le corps de Lee Kang-sheng, avec comme trait commun, la maladie: de la maladie d'Alzheimer, et du cœur, dans Vortex, à la maladie mystérieuse de Lee dans Days — celle qui lui a bloqué le cou il y a quelques années, cf. The River —, en passant par ce qui s'apparente à la schizophrénie dans Suis-moi/Fuis-moi... Dispositif pour le moins aride, sinon morbide, d'autant qu'il s'accompagne d'un phénomène d'aplatissement qui "étale" littéralement ce que l'auteur nous donne à voir (Noé), nous raconte (Fukada), nous fait ressentir (Tsai), expliquant que les films durent respectivement deux heures trente, deux fois deux heures et deux heures... Expérience avant tout temporelle, sur la cruauté du temps comme de son pouvoir créatif, ce qui, pour le spectateur, s'apparente à une épreuve, l'enjeu étant alors d'éprouver le film davantage qu'il vous éprouve. Chacun des films est ainsi confronté, et dans des proportions variables, au danger que l'auteur s'est lui-même imposé, par la "violence" de son parti pris (esthétique et/ou narratif), qui ne peut que bousculer le confort du spectateur. Cette donnée est à prendre en compte lorsqu'on regarde ce genre de film, non pour justifier qu'on puisse s'y ennuyer, mais pour justement se détacher, le temps du film, des habitudes que le cinéma, disons courant — pas nécessairement formaté mais celui auquel on est habitué —, vous a inculqué. Il ne s'agit pas de juger le bien-fondé du dispositif (si on le refuse, à quoi bon voir le film), mais d'en apprécier la cohérence. Qu'apporte de plus, dans Vortex, le fait de juxtaposer deux plans qu'on a filmés simultanément? Qu'apporte de plus, dans Suis-moi/Fuis-moi..., le fait de contrarier en permanence le principe de la rencontre? Qu'apporte de plus, dans Days, le fait d'ajouter, aux longs plans-séquences consacrés à Lee, et son corps douloureux, le quotidien d'un autre personnage en train de préparer son repas? Réponse: un surcroît d'intensité. Mieux: de densité.

Dédoublements I.

Vortex de Gaspar Noé (2022).

Dans Vortex, on suit parallèlement Françoise Lebrun, improvisant une psychiatre à la retraite atteinte d'Alzheimer, et Dario Argento improvisant, lui, un vieux critique de cinéma, fragile du cœur, qui écrit un livre sur le cinéma et les rêves... L'usage du split screen a pour fonction, cela a été dit et redit (par Noé lui-même), de signifier au sein du couple la solitude de chacun. D'un côté, le cerveau, de l'autre, le cœur — le film est dédié "à tous ceux dont le cerveau se décomposera avant le cœur" —, plus précisément, si on se met à la place du spectateur (effet miroir): le cerveau malade de la femme, mais qui, située à gauche de l'écran, correspond au "cerveau droit", siège des émotions et de l'imagination (ce qui renvoie aussi aux propos d'Argento sur son livre, encore à l'état d'ébauche); le cœur malade de l'homme, situé lui à droite de l'écran, donc du bon côté (gauche), celui des sentiments et de l'affectivité (ce qui fait également écho au personnage de Françoise Lebrun, absolument bouleversant). L'intensité dont je parle commence là, par ces premières brèches qui font communiquer secrètement les deux plans, s'opposant ainsi à la rigidité du dispositif, cette incommunicabilité, via la division de l'écran, que la durée du film tend à souligner de manière insistante (donc rasoir), écueil bien perçu par Noé, ce qui le pousse, aux deux tiers du film, à introduire un tiers dans le dispositif, en la personne du fils (Alex Lutz) et de son petit garçon. Pour autant, ce n'est pas à ce niveau que se situe le gain d'intensité. Ce qui permet de faire tenir le film sur la durée, en créant une forme de porosité entre les deux plans, et non de jouer sur le registre détestable de la "tension hanekienne", qui verrait, comme dans Amour, l'homme étouffer à la fin sa femme, c'est qu'il est traversé par un profond sentiment de mélancolie. Qui débute dès l'ouverture, par la chanson qu'interprète in extenso Françoise Hardy (Mon amie la rose), et va aller crescendo, jusqu'à l'épilogue, post mortem, par le biais de... Qu'est-ce qui donne au film cette intensité mélancolique qui le rend si captivant? C'est bien sûr, outre le "jeu" des acteurs, l'appartement que le film investit de fond en comble, cet appartement-rhizome, encombré de bouquins et d'affiches (l'anti-psychiatrie post soixante-huitarde, Metropolis de Fritz Lang, Une femme est une femme de Godard, etc.), dans lequel erre, de plus en plus perdue, Françoise Lebrun; où se réfugie, de plus en plus angoissé, Dario Argento, lui-même cinéaste de l'angoisse. C'est à l'appartement, autant qu'à cette espèce de gouffre mental dans lequel s'enfonce le couple, que renvoie le titre "vortex", le lieu du tourbillon, tourbillon qui n'est autre que celui de la vie, comme le chantait Jeanne Moreau, mais ici saisi dans sa phase terminale... Et surtout: l'appartement en tant que mémoire, non plus celle qui flanche, comme le chantait, là aussi, Jeanne Moreau, mais celle qui, via Françoise Lebrun, "associe" mélancoliquement (ou cinéphiliquement, c'est pareil), le film de Noé à celui emblématique d'Eustache, la Maman et la Putain. Qui fait de l'appartement dans Vortex un territoire "hanté", traversé de fantômes en tous genres, les fantômes du cinéma — c'est Vampyr de Dreyer que regarde Argento pour les besoins de son livre, la séquence finale où le héros se dédouble et, assistant à son propre enterrement, épouse le point de vue du mort dans son cercueil —, mais aussi, plus généralement, tous ces fantômes qui font le lien entre la vie et la mort, prolongeant la vie par-delà la mort, même quand les lieux ont été vidés, et, par leur seule "présence" — la croyance est nécessaire dans ce genre de film —, rétablissent la connexion qui existait entre deux êtres, mais que le temps et la maladie avaient fini par rompre, à l'image du dispositif.

Dédoublements II.


Suis-moi je te fuis/Fuis-moi je te suis
de Kōji Fukada (2020).

Suis-moi je te fuis/Fuis-moi je te suis. Disons d'abord que des trois films que j'ai regroupés, le "double film" de Fukada est le moins radical, celui qui risque le moins de bousculer les habitudes du spectateur, puisque le risque ici touche uniquement au récit, à sa construction, qui plus est, sans la dimension improvisée du film de Noé ni "performative" de celui de Tsai. En fait, si l'ensemble dure presque quatre heures, le défi pour Fukada était moins d'étirer que de concentrer un récit à la base beaucoup plus long — il est tiré d'un manga —, que le cinéaste avait au préalable adapté sous la forme d'une série télé, dix épisodes d'une vingtaine de minutes chacun. Soit un scénario réduit de moitié dont on pourrait qualifier le mouvement de bressonien: le "drôle" de chemin que doivent prendre deux êtres pour aller l'un vers l'autre, ce à quoi renvoie le double titre français. Car si on connaît le côté Rohmer de Fukada — cf. Au revoir l'été —, ce dont témoigne dans Suis-moi/Fuis-moi... le passage où, se promenant dans un parc avec sa petite fille, Ukiyo, l'héroïne, au moment de prendre une photo de l'enfant, croit voir au fond du plan Tsuji, celui qu'elle aime et dont elle a perdu la trace, écho manifeste à la Femme de l'aviateur, ou encore le personnage même de Tsuji, indécis et lâche dans ses relations sentimentales, à l'image du Gaspard de Conte d'été... il y a aussi un côté Bresson chez Fukada — cf. Harmonium — auquel renvoie d'ailleurs le titre original du film: Le signe du sérieux, deux mots: "signe" et "sérieux", qui bien sûr résonnent japonais mais, dans le cas présent, évoquent peut-être plus encore l'art de Bresson.
Suis-moi/Fuis-moi... est ainsi jalonné d'ellipses, qui, loin de perdre le spectateur, se contentent de le désarçonner, juste un temps, puisque ce qui, au détour d'une séquence, apparaît peu compréhensible, se trouve logiquement expliqué à la séquence suivante, Fukada découpant son film en petits blocs, ce qui n'est pas sans rappeler les cases d'une BD. Un procédé qu'on pourrait juger archaïque vu que la BD moderne, et tout particulièrement le manga, vise au contraire, par le mouvement imprimé, à décloisonner l'histoire qu'il raconte et par là même à libérer le récit. C'est qu'il y a autre chose dans le film qui tient à ce qui dans le récit ne fait pas justement "jonction". Quoi exactement? Difficile à dire. En tous les cas, quelque chose qui témoignerait du lien que Ukiyo et Tsuji n'arrivent pas à nouer, parce que refusant plus ou moins consciemment, chacun de leur côté, l'aliénation qu'un tel lien implique, ce que symbolise le suicide à deux, poignets ligotés, auquel Ukiyo fut "contrainte" dans le passé avec son amant de l'époque. Aliénation qui est celle de la femme, soumise à son mari comme aux hommes dans leur ensemble, et dans le cas d'Ukiyo, incapable de se défendre, de dire non, toujours à s'excuser — "sumimasen" est répété tout au long du film par l'héroïne —, mais aussi de l'individu japonais en général, dans son rapport au père, au travail (ici l'entreprise de jouets et de feux d'artifice où travaille Tsuji), quand ce n'est pas, en plus, au yakuza du coin.
D'un côté, donc, Ukiyo, coincée entre deux barrières (comme au passage à niveau), la barrière sociale et celle de son désir, continuellement réfréné, l'obligeant à fuir à chaque fois qu'un semblant de lien prend forme, sous prétexte de devoir aider celui qu'elle abandonne, devenu, par la force des choses, le plus fragile... naviguant ainsi dans une sorte de présent instable — elle ne se prénomme pas Ukiyo, c'est-à-dire "monde flottant", pour rien. De l'autre côté, Tsuji, inexorablement attiré par Ukiyo, parce que radicalement différente des deux autres femmes, l'une immature l'autre trop sérieuse, qui lui tournent autour; Ukiyo qui incarne par son "histoire" une vie autrement plus trépidante, permettant à Tsuji de sortir de cet effroyable quotidien dans lequel il vit, à l'instar de Marlowe, l'écrevisse au fond de son aquarium, qu'il nourrit mécaniquement le soir, une fois rentré chez lui, dans son appartement-cellule.
Dit comme ça, on pourrait trouver le film très théorique, très froid dans son expression, et pour le coup, vu la durée du film, aussi ennuyeux et répétitif, ennuyeux parce que répétitif, que le monde qu'il décrit... En même temps, il demeure un fil, tenu, qui court à l'intérieur du récit, offrant une lecture différente de celle, très convenue (sur la société japonaise et la place de la femme dans cette société), qu'une vision disons paresseuse du film ne permettrait pas de dépasser. Voir Suis-moi/Fuis-moi... c'est un peu comme lire des idéogrammes et, en fonction de la lecture et du sens qu'il faut leur donner, percevoir autrement le film. Ce fil, qui dans le film maintient l'édifice, a à voir avec l'idée d'endettement. C'est l'endettement qui, d'un côté, soumet corps et biens Ukiyo à son prêteur, et de l'autre, permet à Tsuji, par le jeu du remboursement, de ne jamais rompre complètement avec celle à qui il a prêté. C'est ce qui fait lien durant les trois-quarts du film, et même au-delà, quand, lors de la dernière partie, la disparition ne concerne plus Ukiyo mais Tsuji. A ce propos, le thème de la disparition n'est pas ce qui structure équitablement les deux films. Suis-moi et Fuis-moi, pris dans leur ensemble, sont en fait divisés en... trois parties: la première, jusqu'à la disparition effective, au bout d'une heure, de Ukiyo (jusque-là elle ne disparaissait jamais très longtemps); la dernière, quand c'est Tsuji qui a disparu, durant la dernière heure; entre les deux, une longue partie, qui correspond à la seconde moitié de Suis-moi et à la première de Fuis-moi — ça va, vous suivez? — dans laquelle Tsuji, découvrant "l'enfer" qu'on lui a promis s'il restait avec Ukiyo, finit par "oublier" la jeune femme pour mieux... la retrouver. De sorte que les deux films ne sont pas à proprement parler symétriques, au sens où le thème de la disparition n'en constitue pas le centre. D'abord parce que, au pays des signes, le récit, comme l'espace décrit par Barthes, se trouve "incentré", réversible, à l'image du "corridor de Shikidai", et que l'inverser ne changerait rien. Mais surtout, parce que le lien que j'essaie de définir se situe hors du cadre narratif, du moins se trouve-t-il à sa marge, incarné par le personnage de Wakita, le yakuza, qui est celui grâce à qui la rencontre peut finalement avoir lieu, hors de toute vraisemblance, entre Ukiyo et Tsuji. A la fois comme médiateur du récit, via la question de la dette, sans cesse reconduite, et comme spectateur assidu, de ce que vivent les deux personnages principaux, cherchant notamment à comprendre cet attachement, insensé à ses yeux, que Tsuji, comme d'autres avant lui, éprouve pour Ukiyo. "The real thing" (titre international du film) se situerait là, assurant l'impossible jonction, ce "réel de la chose" qu'est la rencontre amoureuse.

[21-12-22]

Il y a 30 ans, Sylvie Gisèle Armelle...

vendredi 25 novembre 2022

Pas si fiction


Pacifiction Tourment sur les îles d'Albert Serra (2022).


Les inconnus du lagon. 

Le film débute à la tombée du jour, par un travelling sur les quais d'un port polynésien, avant l'arrivée d'un zodiac duquel descendent un drôle d'amiral et quelques "gars de la marine", venus rejoindre le Paradise, le night-club du coin... et se termine deux heures quarante cinq plus tard, on suppose à l'aube, par quelques vues "paradisiaques" de l'île, après le départ des mêmes militaires, repartis comme ils étaient venus, en direction de leur base secrète, un sous-marin peut-être... Entre temps, pendant ces presque trois heures que dure le film: un rêve, comme on en fait la nuit, ou plutôt une rêverie, mi-diurne mi-nocturne... mieux encore: la matérialisation d'un fantasme, qui non seulement traverse le film, de part en part, mais surtout vient l'engloutir, peu à peu, au point qu'à la fin, il ne reste plus que ça: le fantasme.

Normal, me direz-vous, c'est du Serra, un cinéma où prévaut le fantasme, que celui-ci touche au chevaleresque (Don Quichotte), à la "mort qui ronge le vivant" (Louis XIV, Casanova, Dracula) ou à l'utopie libertaire (Sade). Qu'en est-il ici? Je dirais que dans Pacifiction le fantasme touche d'abord au colonial, à travers la figure du Haut-commissaire de la République (Benoît Magimel), personnage équivoque, paternaliste autant que patelin, qui doit faire face à une rumeur — la rumeur, elle-même machine à fantasmes — et pas n'importe laquelle: la reprise, vingt-cinq après, d'essais nucléaires en Polynésie, rumeur à propos de laquelle il dit ne rien savoir, ce dont n'est pas convaincu le nouveau leader pro-indépendantiste de l'île. D'où ce climat de suspicion qui imprègne le film, lui conférant sa dimension paranoïaque, qui voit Magimel mener "benoîtement" son enquête, scruter la mer aux jumelles (y croyant voir quelque chose, un peu comme le monstre du Loch Ness), explorer le lagon en pleine nuit, tout en participant aux distractions locales (le spot de Teahupoo et sa célèbre vague, les danses traditionnelles qu'on répète pour les fêtes — ici une danse guerrière mimant un combat de coqs)... Qui voit encore d'étranges personnages, manifestement étrangers, en train d'observer (d'espionner?)... scène récurrente chez Serra, d'autant qu'il y adjoint celui qui lui sert de "double", je veux parler bien sûr de son quasi homonyme Lluís Serrat, présent dans tous ses films (dans le Chant des oiseaux, il y avait même deux Lluís Serrat, un dédoublement du double au sein des Rois mages, effet de mirage), comme si Serra se plaçait à côté de son film pour mieux le regarder. Un fantasme là aussi, celui de la modernité (la représentation de la représentation), qu'il adoucit néanmoins dans Pacifiction (probablement son meilleur film), via le personnage de Shannah, incarné par une actrice trans, l'assistante qui n'est là que pour observer et dont la présence, incroyablement suave, vient ajouter du trouble — passant ainsi du double au trouble — à un film pourtant déjà parfaitement trouble. Fantasme toujours.

Le "tourment" du (sous) titre, c'est ça, qui va au-delà de ce que nous raconte le film, cette histoire improbable, fantasmée, d'essais nucléaires, décidée en haut lieu et tenue secrète, expliquant que Magimel, simple petit préfet des îles, y joue le rôle de l'idiot... C'est le monde de la politique (internationale) que Serra/Magimel, parlant à son double, assimile à une discothèque, avec ses lumières trafiquées, lieu de l'artifice par excellence, donc du faux. On est là au cœur de Pacifiction, à travers cette question qui ouvre le film (la réalité des essais nucléaires), mais que Serra élargit au concept même de vérité — le fantasme du vrai, pourrait-on dire — et ce, par la voie de l'art et du witz, c'est-à-dire du "mot d'esprit", qui est propre à ses films, se déployant autant par déplacement (politique = discothèque) que par condensation, si l'on s'attache cette fois au titre définitif du film: "pacifiction", mot-valise qui, certes, conjoint Pacifique et fiction, mais surtout peut s'entendre autrement: pas si fiction, au sens où la fiction dans Pacifiction (pour ce qui est des essais nucléaires) ne le serait pas tant que ça (une fiction), plus exactement: au sens où la fiction ne relève pas que de l'imaginaire, qu'elle a aussi à voir avec la vérité, qu'elle a même valeur de vérité... une fiction qui ici se meut pacifiquement, paresseusement, mélancoliquement, comme noyée dans le bain "colonial" que Serra ravive (via le beau costume blanc de Magimel et toutes ces scènes marquées par la torpeur — cf. celles du début, très longues, volontairement étirées, avec le Portugais puis l'amiral, la tonalité y est presque durassienne), pour subitement s'en extraire, à la faveur d'une fulgurance, comme le witz: la beauté saisissante d'un plan, la troublante étrangeté d'une scène, par ailleurs teintée d'humour... C'est dans ces moments-là — le "pas si fiction" du film — qu'une vérité se dit, que quelque chose se dévoile, pour tout aussi vite se revoiler, de sorte qu'on ne sait pas, dans ce qu'on a vu et/ou entendu, si c'est la vérité ou seulement son fantôme. Et c'est magnifique.


[03-12-22]

Mon Top 10 pour 2022: (par ordre alphabétique)

Apollo 10½ de Richard Linklater
Aucun ours de Jafar Panahi
Bowling Saturne de Patricia Mazuy
Days de Tsai Ming-liang
Don Juan de Serge Bozon
Introduction + Juste sous vos yeux de Hong Sang-soo
Licorice Pizza de Paul T. Anderson
Pacifiction d'Albert Serra
Suis-moi, je te fuis/Fuis-moi, je te suis de Kōji Fukada
Vortex de Gaspar Noé

+ Maternité éternelle (1955) de Kinuyo Tanaka

Suivent: Incroyable mais vrai + Fumer fait tousser (Quentin Dupieux) — Petite Solange (Axelle Ropert) — The Souvenir Part I & Part II (Joanna Hogg) — Une femme de notre temps (Jean Paul Civeyrac) — Viens je t'emmène (Alain Guiraudie)...


Pour Jean-Luc... La France contre les Robots de Jean-Marie Straub (2020).

mardi 1 novembre 2022

[...]


Paruline (avec Fé), Jérôme Minière, 2022.

[07-11-22]: Le texte sur Bowling Saturne est publié. C'est , à la fin du dossier "Mazuy et moi".

[ajout du 30-11-22]

Médée naufragée.

Puisque mes textes en ce moment, pour ce qui est des films sortis récemment (Bowling SaturnePacifiction), s'appuient beaucoup sur les titres, quelques mots sur Saint Omer d'Alice Diop, film imposant, trop peut-être, mais qui au moins ne fait pas illusion, à la différence par exemple des Amandiers de Valérie Bruni-Tedeschi, film, lui, bien trop exalté à mon goût... Bref, Saint Omer, et son titre que certains ont lu — à juste titre — comme "Sainte Ô mère", expression qui chez Diop, à l'instar de Marguerite Duras à propos de l'affaire Villemin, semble "sacraliser" la femme coupable d'infanticide (sauf que chez Duras, la mère qu'elle désignait comme coupable ne l'était pas, ce n'était qu'une intuition forte, à la limite, une vision). L'abandon du trait d'union entre Saint et Omer, outre le procédé littéraire et le fait que le titre ne se réfère pas à la ville où se déroule le procès, vient signifier la volonté d'Alice Diop de dépasser le cadre purement médiatique du fait divers (ici dans son aspect judiciaire, inspiré de l'affaire Fabienne Kabou, cette femme d'origine sénégalaise qui, en 2013, avait provoqué la mort par noyade de sa petite fille, âgée de 15 mois, en l'abandonnant la nuit sur la plage de Berck à la marée montante — cf. les articles de Julie Brafman dans Libé et ), non pour l'élever au rang de mythe (bien que dans cette affaire le meurtre, de par sa mise en scène, terrifiante, fait écho aux mythes), mais pour rappeler, de manière qui par moments s'apparente un peu trop à une dissertation, le caractère insondable du passage à l'acte, et plus encore quand c'est la folie qui commande.
Si le film est encadré par deux grosses références (au début, Duras et Hiroshima mon amour, via l'image des "tondues" à la Libération, dont on martyrise le corps avant de les jeter à l'opprobre public; à la fin, Pasolini, ou plutôt la Callas — que célébra également Duras — dans le rôle de Médée, figure archétypale de la mère infanticide), celles-ci ne servent qu'à consolider le propos du film sur la double question que représentent la "femme-monstre" (qui plus est noire) dans nos sociétés aujourd'hui, et la folie, dans ce qu'elle recèle d'inexpliqué, pour les autres mais aussi pour le sujet ("je ne sais pas" répète la meurtrière, n'ayant pour seule justification de son acte que d'avoir été victime de sorcellerie)... Consolider au sens de fortifier et ainsi faire du dispositif scénique — la salle de procès — une sorte de prison circulaire, non seulement parce qu'il place physiquement le sujet qui est accusé au centre de tous les regards, tel un panopticon miniature, mais aussi parce que la parole qui est censée se libérer, pour aider à mieux comprendre l'acte ("j'espère que vous allez m'éclairer", dit en substance l'intéressée, avec ce détachement — par rapport aux faits — qui sied aux grands malades mentaux)..., ne peut que tourner en rond, butant inexorablement sur la question du "pourquoi".
C'est fort parce que justement c'est comme un fort, quelque chose de puissamment agencé mais aussi de complètement fermé. Pas d'ouverture, vu que le seul lien qu'établit Alice Diop avec l'extérieur, c'est avec elle-même, via le personnage de la romancière, double manifeste de la réalisatrice, qui est venue suivre le procès, noire elle aussi, enceinte de surcroît, de sorte que ça fait bloc (la dyade que forment l'auteure et son héroïne). Et ce n'est pas le regard que lance à la fin l'accusée à la romancière — assorti d'un petit sourire énigmatique (j'y verrais bien la marque de Marie NDiaye, co-scénariste du film) — qui changera quoi que ce soit. Le film, si impressionnant soit-il, manque d'ampleur, en termes de fiction, de cette ampleur qui lui aurait permis de sortir de son dispositif (la reconstitution fidèle du procès), comme si la réalisatrice, connue jusque-là pour ses documentaires, n'avait pas osé s'aventurer trop loin sur un terrain qui n'est pas le sien (la fiction), au risque de laisser la part trop belle au discours (cf. les conclusions de l'avocate, face caméra), voire de tomber dans le film-dossier. Il y avait pourtant matière à fiction, qui ne se cantonne pas au seul procès (la question de l'invisibilité par exemple), lequel procès, de toute façon, étant donné le profil du personnage, ne permettait pas vraiment les échappées. Disant cela, je pense moins à la Jeanne d'Arc de Bresson (l'échappée vers le ciel) qu'au Pierre Rivière d'Allio (l'échappée dans les bois), d'autant que Fabienne Kabou avait rédigé un "journal" au début de sa détention, peut-être pas utilisable en tant que tel, comme le fut le Mémoire de Rivière, mais dont il avait été lu quelques extraits au procès. Là non, si une ombre plane sur le film, c'est bien celle de Foucault (le discours, la folie, le pouvoir), sauf qu'elle finit par tout recouvrir, expliquant que des deux références citées plus haut, Duras et Callas, on reste loin finalement. A moins de s'en tenir à la Duras "journaliste", l'amateure de faits divers, sacralisant donc la mère infanticide, "Sainte Ô mère" plutôt que "Saint Homère" (les puissances infinies du récit)... Et de ne considérer Médée — le "Sinthome Mère" (la folie d'une mère) — qu'à l'état de trace, une fois la mer redescendue (comme la mère revenue de son crime): Médée naufragée, soit le titre du livre qu'écrit le personnage de la romancière, titre que son éditeur ne juge pas assez vendeur (qui connaît Médée?) mais qu'elle imposera, on suppose, à l'instar d'Alice Diop, auteure féministe résolue, nous imposant son regard sur ce qui restera pour toujours une énigme: une mère a tué son enfant. 

Le cinéma, c'est Dwan


Escape to Burma / Les Rubis du prince birman d'Allan Dwan (1955).

Le cinéma, c'est Dwan. (vieux proverbe des Balkans)

"L'art de Dwan ne cherche pas à bouleverser; il ignore les tensions et provoque un merveilleux état de calme. Les conflits sont, dans ce cinéma, des accidents de la nature humaine. Mais ce serait limiter la poésie particulière de ces films que de l'expliquer par le pacifisme et par le simple goût de la nature chez l'homme Dwan. Il fut sans y penser un classique, mais un classique d'Hollywood. Ce classicisme est aujourd'hui lettre morte, squelette de conventions désuètes. Dwan crut à son contenu parce qu'avec Griffith et quelques autres il l'inventa sans y accorder d'importance. Il laisse des films qui n'élèvent pas la voix. Par goût sincère ("Everybody wants to be God in this business!"). Et parce que ce qui comptait avant tout pour lui, c'était l'histoire: son mouvement et son rythme, et pas ceux du metteur en scène. La naïveté est son génie mais quand un de ses films est niais il faut savoir que le script qu'on lui remettait était insauvable. Il rêvait à la fin de sa vie d'ouvrir une clinique de scénarios... Même ses films les plus conventionnels contiennent des trouvailles de découpage, font preuve d'un emploi imaginatif des décors, ce qui n'est pas le cas dans les mauvais films de Walsh. Comme Jacques Tourneur, Dwan avait un secret de fabrication qui est au cœur du cinéma et qui s'est perdu. Pas parce que le cinéma aujourd'hui n'en est pas digne, mais parce qu'un secret de fabrication, c'est intransmissible. Dwan est au cinéma ce que Charles Ives est à la musique: un inventeur sans récompenses." (Jean-Claude Biette, "Allan Dwan ou le cinéma nature", Cahiers du cinéma n°332, février 1982)

Ce fameux secret de fabrication dont parle Biette à propos du cinéma de Dwan, je crois que c’est dans un film comme les Rubis du prince birman qu’on peut l'appréhender au mieux. Le film n’a peut-être pas la splendeur de Quatre Etranges Cavaliers, Le mariage est pour demain ou encore Deux Rouquines dans la bagarre, mais il dégage une telle poésie, un tel équilibre dans l’agencement de ses éléments, qu’on peut parler ici de secret. Dans le même registre, celui du film d’aventures exotique, la Perle du Pacifique Sud, que Dwan tourna la même année et qui en est le pendant, apparaît en comparaison bien pâle. Disons que la Perle a du charme, à l’image de son interprète principale — ah, les jambes de Virginia Mayo! —, là où les Rubis est un enchantement permanent.
Si Allan Dwan est un cinéaste important, c'est parce qu'il est resté, dit-on, "fidèle à l’esprit comme à la forme des chefs-d’œuvre de la Triangle" (c’est ce qu’on peut lire en 1955 dans la note que lui consacrent les Cahiers du cinéma dans leur "dictionnaire des réalisateurs américains contemporains"). Or, il est évident, lorsqu’on voit ses films de la dernière période, sans même avoir vu ceux qui l’ont précédée (les 4/5 ont de toute façon disparu), que le cinéma de Dwan a évolué, que le manque de moyens (encore plus flagrant, j'imagine, pour les films Republic de la période 46-54) n'a pas seulement permis de mieux révéler la simplicité originelle, griffithienne, de ses films, mais a conduit aussi à la dépasser pour atteindre ce bonheur que procure leur vision, un bonheur qui ne soit pas dû à leur seul classicisme, mais bien à une forme de poétique qui n'appartient qu'à Dwan — aidé en cela par toute une équipe: John Alton (photo), Van Nest Polglase (décors), Gwen Wakeling (costumes), Louis Forbes (musique), James Leicester (montage) et bien sûr Benedict Bogeaus (production). Ce qui caractérise les Rubis, c’est autant la science de l’espace de Dwan que sa capacité à transformer le cinéma d’évasion en évasion pure (le "escape" du titre), en purs moments de cinéma, à suspendre ainsi le Temps, à s’en affranchir le temps que dure le film, depuis le plan d’ouverture, celui du générique (une statue de guerrier dans la jungle), balayé par le vent — balayant par-là même les petits morceaux de réel qui pouvaient encore traîner et vous distraire du film —, jusqu’au baiser final, puisque, bien sûr, ce temps est aussi celui du sentiment amoureux. Vous allez me dire que c’est la vocation du cinéma d’évasion et qu’il n’y a là rien de spécifique. Oui, sauf qu’ici il y a plus, qui fait que l’on n’est ni dans la jouissance de ce qui nous est raconté, lorsqu'on sait à l'avance comment ça va finir, mais qu'on fait comme si on ne savait pas, ni dans le plaisir du récit dramatisé, lorsque, au contraire, on ne sait pas quelle sera l’issue (dilemme barthésien). Entre les deux, il y a cet état de bonheur que seuls les grands cinéastes sont capables de produire: lorsque le récit se suffit à lui-même, qu'il n'est pas entièrement déterminé par son dénouement, non pas que la fin de l'histoire n'ait pas d'importance mais parce que la question du dénouement ne se pose plus.
Je m’explique. Si Robert Ryan est poursuivi pour le meurtre d’un homme, en l'occurrence celui du prince birman évoqué dans le titre français, on se doute bien qu’il est innocent. Mais lui ne le dit pas, il ne cherche pas non plus à le prouver (optant pour une attitude étrangement fataliste — on n’est pas chez Hitchcock), même à celle qu’il aime. Lorsque Barbara Stanwyck lui demande s’il a vraiment tué le prince, il lui répond que, de toute façon, ce dernier était mieux mort que vivant. Réponse sibylline, qui laisse entendre que le prince était mourant, mais dont on ne saisira pleinement le sens qu’à la fin et qui, sur le moment, laisse planer un doute quant aux circonstances. Reste, et c’est là où je veux en venir, que le film n’impose pas de fin particulière (de la même manière que dans Le mariage est pour demain la fin aurait très bien pu être inversée — en ce qui concerne le sacrifice d’un personnage pour un autre — sans que cela ruine l’économie du récit), le désenchantement du héros est si justement rendu, si équitablement intégré dans la logique du film, que l’on peut parfaitement concevoir deux fins possibles, triste ou heureuse. Pour le dire autrement: même si on sait que la fin ne peut-être que radieuse (le happy end étant de rigueur dans le cinéma hollywoodien, surtout d'évasion), une fin tragique n’aurait rien eu de choquant... Le bonheur est là quand on peut ainsi goûter d’un film sans se préoccuper de ce que sera la fin. Parce qu'il y a de tout dans les Rubis: aventure (on pense à Lang, évidemment, et son diptyque indien), amour (les relations passent toujours par un tiers chez Dwan, comme chez Lubitsch, Hawks ou Rohmer, leur conférant un aspect très moderne — a-t-on souvent entendu dans le cinéma hollywoodien des personnages évoquer explicitement l'acte sexuel comme ici?), humour (un éléphant fait le clown, imitant Charlot?, et les singes sont plutôt farceurs — un drôle de bestiaire, vaguement hawksien là aussi)...
Evidemment, pour que cela fonctionne, il faut que la forme soit à l'unisson. Et là encore, on est dans l'enchantement. Jungle luxuriante (le jardin des Deux Rouquines vient de là), exubérance chromatique: le film est divisé en trois parties correspondant aux foulards de couleur différente que porte Barbara Stanwyck: gris/vert pour la rencontre avec Robert Ryan, l'aventurier, et la séquence (sublime) de chasse au tigre, avant les premières étreintes; bleu pour la rencontre avec David Farrar, le policier qui pourchasse Ryan; orangé pour l'espèce de "ménage à trois" que Stanwyck, Ryan et Farrar finissent par former, jusque dans leur fuite pour échapper aux hommes du sawbwa, le père du prince tué... On nage en plein artifice. C'est du faux mais on s'en fout.
Ces foulards m'ont curieusement fait penser à Macadam à deux voies (Two-Lane Blacktop) de Monte Hellman (autre film en Technicolor et en Scope, mais des seventies celui-là, un des meilleurs de l'époque), à cause bien sûr des pulls de Warren Oates (GTO dans le film) dont la couleur changeait sept ou huit fois (de quoi s'y perdre — je crois me souvenir d'un plan où Oates ne portait pas le bon pull). Quel rapport entre Dwan et Hellman? Je ne sais pas, c'est vague, juste une idée. Dans Macadam, deux époques s'opposaient (même si ce n'était pas le propos du film), à travers l'affrontement des deux véhicules, une Chevrolet 55 grise et une Pontiac 70 jaune, soit respectivement l'année du film de Dwan et celle du film d'Hellman. D'où ma question: la différence entre le cinéma américain des années 50 et celui des années 70 ne se retrouve-t-elle pas dans l'utilisation que font, d'un côté, Dwan d'un foulard et, de l'autre, Hellman d'un pull-over? Dans les Rubis, les couleurs sont intégrées, certes au décor, de façon un peu naïve (gris avec le vert de la jungle, bleu avec l'ocre de la terre, orangé avec le bleu de la nuit et de l'orage...), mais surtout au récit, où elles traduisent, naturellement, les affects de l'héroïne (gris = solitude et domination, bleu = amour et aveuglement, orangé = angoisse et détermination). Dans Macadam, en revanche, les couleurs n'ont plus ce caractère affectif, se contentant d'égayer, sans goût véritable, les séquences. Entre les deux, quelque chose s'est perdu. Quoi? L'innocence, c'est sûr. Peut-être aussi le secret des couleurs.

(1) Les films de Dwan produits par Bogeaus ont cette particularité d'avoir des titres français plus beaux que les originaux. C'est pour cette raison que je les conserve.

Il y a dans Le mariage est pour demain d'Allan Dwan (belle histoire d’amitié entre deux hommes — on peut aussi considérer le film dans son rapport homme-femme et y voir, par exemple, l’itinéraire que doit suivre un homme pour apprendre à embrasser tendrement une femme), une scène étonnante. John Payne et Ronald Reagan viennent de s’évader de prison, ils s’enfuient à cheval, toute la ville est à leurs trousses, et que voit-on au plan suivant? Nos deux héros en train de s’enquérir de l'état de santé de Rhonda Fleming (qui, elle, venait d’être agressée par un quidam), avant de reprendre la fuite. Ce léger contretemps, dans une séquence de poursuite, est typique du cinéma de Dwan dont les films avancent, certes au rythme du récit, mais aussi au gré des personnages et de leur tempérament. John Payne prend le temps de se curer les ongles, même dans les situations les plus chaudes, alors que Ronald Reagan, lui, n'est pas du genre à traîner, surtout quand sa fiancée l'attend, qu'il se croit bafoué ou qu'un homme risque d'être abattu dans le dos. L’action chez Dwan est d'abord une suite de petits gestes et de regards, mi-inquiets mi-ravis, qui fait de ses films (du moins ceux, tardifs, produits par Bogeaus à la RKO — 1% de l'opus dwanien, comme disait Daney), à la fois des monuments de classicisme (de la construction de l’intrigue à la composition des plans, d’une simplicité élémentaire, quasi géométrique, en plus magnifié par la photo de John Alton) et des œuvres admirablement relâchées (magie de la série B), de par leur respiration, où Dwan semble, finalement, régler la durée des scènes en fonction du plaisir qu'il éprouve à les filmer, comme s’il était libéré de toute contrainte, allant non pas à l’essentiel mais au plus juste.

Sur The River's Edge Au bord de la rivière, lire .

lundi 31 octobre 2022

[...]


Trois Visages de Jafar Panahi (2018).

امید (Omid)*

A l'heure où en Iran les femmes, au péril de leur vie, bravent courageusement la dictature des mollahs, il est bon de revoir Trois Visages de Jafar Panahi (qui lui, rappelons-le, est en prison depuis trois mois). Dans ce film, Panahi rend une nouvelle fois hommage à Kiarostami en s’appuyant sur un ensemble de motifs typiquement kiarostamiens (la voiture-caméra, le paysage, les routes en zigzag...), ce qui rend l’hommage, certes, par moments, un peu trop manifeste (la scène de la tombe), mais surtout enracine le film, plus profondément encore, dans la culture iranienne, comme s’il fallait passer par Kiarostami, son œuvre, pour nous parler de l’Iran d'aujourd’hui, plus précisément de la femme iranienne, à travers ces trois figures d’actrices qui composent le film: la grande vedette de séries télé; la jeune fille des montagnes, empêchée par sa famille et son village d’aller au conservatoire; l'ancienne gloire du cinéma iranien, celui d’avant la révolution, et depuis bannie, vivant recluse à l’écart du village. Cette dernière, Shahrzad (de son vrai nom Kobra Saeedi), existe réellement, point aveugle du film — on ne la voit pas, ce n'est qu'une silhouette — et en même temps ce vers quoi tend le film, dont elle constitue le centre fuyant, la ligne que trace Panahi, dans le rôle du conducteur-traducteur (du persan à l'azéri et inversement), jusqu'à ce plan incroyable — véritable stase dans le film — qu'est la rencontre entre les trois femmes, filmée de loin la nuit (juste des ombres chinoises, en train de danser derrière une fenêtre), moment sublime qui transcende les conditions de tournage, l'assignation à résidence de Panahi (avant son emprisonnement), l'hommage à Kiarostami, pour atteindre à la pure poésie, anticipant par là le poème écrit par Shahrzad, que celle-ci récite en voix off à la fin du film, la poésie comme espace de liberté, qui s'oppose à ce qui régit encore et toujours la société iranienne (le poids des traditions, le pouvoir masculin...) et offre à la femme l'espoir d'une autre vie, à l'instar de Marziyeh, la plus jeune des trois, dévalant la route, tout voile dehors, vers de nouveaux horizons.

* "Espoir" en persan.

PS. Sur le dernier film de Jafar Panahi, No Bears, lire la critique de Jamsheed Akrami: The Country as Prison (The Film Comment Letter).

Jours de joie.

Huit heures ne font pas un jour de R.W. Fassbinder (1972-73).

Si 8 heures ne font pas un jour, elles font une série, 5 épisodes d'une heure trente, et un peu plus = 8 heures de Fassbinder... Du pur Fassbinder, mais plus joyeux que d'ordinaire, pas tout rose non plus mais au ton allègre, comme la musique qu'on y entend et son petit air tatiesque... C’est une série familiale, sur une famille d’ouvriers dans le Cologne des années 70, autant dire que c'est parfois un peu mastoc (la déco est kitsch, on mange des saucisses et du chou farci, les journées sont rythmées par la bière et le schnaps...), mais c'est génial. C'est ce qu'on appelle un soap, en allemand on dit seifenoper, en français, bah... feuilleton, et c’est ça en fait Huit heures... un feuilleton tout bêtement, avec ses cinq épisodes comme autant d'histoires, chaque fois un problème à résoudre, et finalement résolu, puisque la série se veut optimiste, résolument optimiste, qui voit les problèmes finir par se régler, qu'ils soient professionnels (j'y reviendrai) ou familiaux, et dans ce dernier cas, grâce à la grand-mère, une veuve, personnage fantasque mais qui a les pieds sur terre, qui aime les enfants (dont son nouveau compagnon, un peu nigaud), qui surtout ne supporte pas l'injustice et les arnaques.
Chaque épisode est construit autour d'un couple. Le plus important, le couple vedette, est celui que forment Jochen, le petit-fils, grande tige à la gueule pas possible (Gottfried John) qui travaille dans une usine d’outillage, et Marion (Hanna Schygulla), toute mimi avec sa grosse perruque bouclée — non, ce n’est pas une choucroute —, rencontrée devant un distributeur automatique et qui, elle, travaille pour un journal. Si Jochen se révèle être à l'usine le leader de l'équipe, celui qui impulse les revendications (que le nouveau contremaître ne vienne pas de l'extérieur, que les ouvriers gèrent eux-mêmes leur travail...), c'est Marion qui le pousse à aller plus loin (sur la question des bénéfices), sans que malheureusement ce dernier conflit avec la direction ne soit mis en scène, et que la série trouve ainsi son dénouement — alors qu'elle connaissait un vrai succès auprès du public — parce que la vision qu'avait Fassbinder du monde ouvrier fut jugée à l'époque, notamment par les critiques de gauche, trop éloignée de la réalité (quid en particulier des syndicats?)... oubliant que réalité et vérité sont deux choses différentes, on le sait pourtant, et que dans la fiction de Fassbinder, quand bien même il y aurait beaucoup de naïveté, à commencer par cette idée de vouloir édifier les masses par le biais d'une série télé, il se dégage plus de vérité que dans n'importe quel documentaire quand il se contente de coller à la réalité.
Cette vérité chez Fassbinder tient à deux choses: 1) son art consommé de la dialectique, entre autres dans les rapports qu'entretiennent les personnages entre eux, surtout au sein de leur couple, même s'il s'agit de couple encore en devenir ou simplement d'occasion, formé pour les besoins du récit, comme dans le troisième épisode, magnifique, avec Franz, qui veut devenir contremaître, et Ernst, qui ne veut plus l'être, le second aidant le premier à le remplacer; 2) corollaire du 1, la justesse des personnages, due, outre la qualité de l'interprétation et le travail de montage (toujours exemplaires chez Fassbinder), à la préférence accordée par le cinéaste au tournage rapide, fait le plus souvent d'une seule prise, de sorte que ça vive — et quand il s'agit comme ici de fiction "enchantée", l'aspect vivant ne peut que se trouver décuplé. Cette vérité court tout au long de la série, créant une "véritable" jubilation chez le spectateur, au détour d'une séquence (pour n'en citer qu'une: la fête après le mariage de Jochen et Marion), ou d'un plan, moins le "plan fassbindérien", avec ces longues focales qui cultivent le flou, ou encore ces verres et ces bouteilles, toutes ces fleurs aussi, qui encombrent les premiers plans, que ce qui est plus inattendu: là, un mouvement de caméra, se fixant brutalement sur un personnage; là, les poses de Jochen, au milieu des machines; là, les colères "hitlériennes" de son père, souffrant de ne plus voir ses enfants; là, le regard inquiet de Franz, doutant de sa réussite à l'examen... et le plus beau: le visage d'Hanna Schygulla, quand elle écoute ou qu'elle fait passer, sans en avoir l'air, une idée à Jochen. Car si la grand-mère est un peu la bonne fée du film, celle qui en est la conscience, au sens politique, c'est bien Marion. A ce titre Huit heures... est aussi une série féministe. Une vérité de plus, et pas des moindres.

dimanche 30 octobre 2022

Que sera Serra


Histoire de ma mort d'Albert Serra (2013).

Le cinéma d'Albert Serra, c'est tout un poème. Qui a commencé il y a une quinzaine d'années avec ce drôle d'ofni (objet filmique non identifié) que fut Honor de cavalleria, film qui avait déjà quelque chose d’unique, préfigurant ce que sera par la suite le cinéma de Serra et, en ce qui concerne ce premier film — en fait le deuxième (avant il y avait eu Crespia, the Film Not the Village que je n'ai jamais vu) —, un vrai pouvoir d’envoûtement, qui tranchait avec la plupart des films dits contemplatifs et par là même un brin ennuyeux. Y flottait, ainsi que je l'écrivais sur l'ancien blog — une de mes premières notes — "une impression étrange, une sorte d’instabilité permanente entre abandon et retenue, entre la douce folie d’un don Quichotte parlant au ciel, ferraillant avec le vent, et la placidité obtuse d’un Sancho, terrien mutique, fauchant, lui, les herbes au fil de son épée" (novembre 2007). C’était beau et en même temps évanescent, comme une note de musique qu'il faudrait tenir, le plus longtemps possible, jusqu’à l’extinction.

Puis, sur le Chant des oiseaux, mon texte du 4 février 2009:

C'est un film littéralement extra-vagant, qui s’avance là où on ne va jamais, mais en même temps sans trop savoir où aller. Paradoxe comme l’est ce mélange de sublime et de grotesque, de grâce (la splendeur quasi hypnotique des plans) et de pesanteur (les corps trop lourds et encombrants des Rois mages). Les critiques ont trouvé un terme pour défendre les films réputés difficiles et austères, ils parlent de films "exigeants". Le Chant des oiseaux, comme le précédent, est un film exigeant, mais moins pour le spectateur, rompu depuis longtemps à ce genre d’exercice, que pour le cinéaste lui-même, s’imposant des règles de tournage (acteurs non-professionnels, paysages insolites, longs plans-séquences étirés au maximum et comme enregistrés à l’état brut...) qui font de ses films, sans véritables scénarios ni dialogues, une incroyable expérience. Et comme dans toute expérience, une incertitude totale quant au résultat. On passe par tous les états: sidération (c’est beau), amusement (c’est absurde), exaspération (c’est long), avant de recommencer, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’un état finisse par l’emporter sur les autres. Le plus souvent, c’est la beauté d’un plan qui l’emporte, tels ces paysages de glace ou de sable, saisis dans toute leur matérialité (ah ce noir et blanc granuleux, s’effilochant par instants jusqu’à devenir entièrement gris, enfin du numérique qui ne verse pas dans l’hyperréalisme), une beauté qui peut confiner à la pure poésie (les Rois mages dans l'eau, filmés en contre-plongée). Parfois, c’est l’absurdité d’une situation qui l’emporte, telles ces discussions à n’en plus finir pour savoir si on doit passer par là, ou si, allongés les uns contre les autres parmi les branches (alors que le paysage semble désertique à perte de vue!), untel peut se pousser un peu. Il arrive même que beauté et absurde se confondent, comme dans la séquence où les trois personnages s'éloignent lentement avant de disparaître derrière une dune, puis, au bout d'un certain temps, réapparaître suivant une direction opposée. Mais il arrive aussi que l’exaspération prenne le dessus. Ainsi la séquence avec Marie, Joseph, l’agneau et l’enfant Jésus, la partie faible du film, où la magie n’opère plus vraiment (normal, me direz-vous, puisque les Rois mages y sont absents). Le film jouant beaucoup sur la spontanéité des acteurs, on notera que ça fonctionne avec les acteurs qui n'appartiennent pas au milieu du cinéma (du maçon à l'ancien prof de tennis) et nettement moins avec ceux qui en font partie (Joseph est joué par un critique de cinéma, Marie par une productrice), comme si une certaine innocence, par rapport aux enjeux du film, était nécessaire pour que l’alchimie se produise. Coïncidence? En tous les cas, c’est bien la présence de ces trois Rois mages qui permet au Chant des oiseaux d’échapper aux dangers du film contemplatif comme aux écueils du cinéma "art et essai" ou de certains films expérimentaux. Et finalement, c’est tout le défi du film que d'arriver ainsi à maintenir le cap sans s'égarer dans les impasses d'un cinéma trop cérébral ou trop sensoriel, n’y réussissant pas toujours (déjà Honor de cavalleria déviait de sa ligne sur la fin), l’étoile qui le guide disparaissant parfois, elle aussi, derrière un nuage (que serait alors, dans l'esthétique du film, une trop grande volonté d'abstraction, un trop grand souci de radicalité), mais pas suffisamment, heureusement, pour nuire à sa réussite...

Ce souci de radicalité, c'est ce qui va accompagner la suite de l'œuvre d'Albert Serra, avec le diptyque que constituent Histoire de ma mort et la Mort de Louis XIV (auquel on peut rattacher Roi Soleil mais que je n'ai pas vu lui non plus). Ensemble inaugurant l'orientation plus trash du cinéma de Serra, ainsi qu'il le définit lui-même, trash au sens non pas de sale et/ou malsain, mais plutôt artistique, qui touche à l'art contemporain et plus particulièrement au désir de l'artiste de mener l'expérience plus loin encore qu'à son "terme" (le fini de l'œuvre), d'aller au-delà, au risque de se perdre (le risque accepté du ratage, de l'échec...), sorte d'expérience des limites, qui intègre ce qu'on pourrait appeler les déchets de l'art, là où d'habitude on cherche à les éliminer... Ici la mort-déchet avec, dans le cas du Louis XIV, le choix de Jean-Pierre Léaud pour incarner le Roi agonisant dans son lit, Léaud qui au cinéma s'était souvent retrouvé au lit, notamment chez Godard, Truffaut ou encore Eustache... lieu privilégié pour bavarder, badiner, bouquiner, faire l'amour, ou simplement dormir. Il ne restait plus qu'à y mourir... (le film est sorti le jour des morts). 

Sur Histoire de ma mort, la critique de Romain Blondeau (Les Inrockuptibles, 23 octobre 2013):

"(...) Dans la continuité de ses deux précédents films, Albert Serra persévère dans l’arte povera et s’approprie ici une figure mythologique dont il entreprend de raconter le versant apocryphe, en l’occurrence le célèbre libertin Casanova. On le découvre vieillissant et fatigué, livré dans son château XVIIIe siècle à ses préoccupations ordinaires: boire, manger, lire, converser sur les droits de l’homme, baiser et déféquer tout en hurlant de plaisir.
Histoire de ma mort aurait pu s’arrêter là, au seuil de la chambre de Casanova, à ce chapelet de scènes jubilatoires ou inconfortables qui assument une sorte d’idéal punk de la gratuité, de beau geste sans conséquence. Mais Albert Serra a de plus grandes ambitions et entraîne son héros licencieux dans un road-movie contemplatif qui le mène jusqu’en Transylvanie, où il se confronte à un autre héros littéraire, Dracula en personne. Du libertin au vampire, de l’hédoniste érudit au monstre occulte, des Lumières au siècle du romantisme, c’est le glissement entre deux mondes, deux époques et deux régimes esthétiques que met en scène Histoire de ma mort dans un dépouillement absolu. Composé de blocs séquentiels à l’effet d’envoûtement inouï, il dessine ainsi un lent mouvement de dérive, un retour à l’état primitif qui voit Casanova succomber aux forces des ténèbres sous l’influence du comte des Carpates.
Sur cette piste du film de possession, lointainement inspirée de l’imaginaire horrifique, Albert Serra déploie une atmosphère de terreur lo-fi et apporte quelques nuances noires à son cinéma, ici presque entièrement délié de la verve bouffonne que manifestaient ses précédents longs métrages. Il radicalise son geste, exclut toute séduction, au risque d’une certaine raideur, et atteint en même temps une maestria formelle saisissante, qui l’inscrit dans la famille des grands filmeurs hantés, de Béla Tarr à Alexandre Sokourov. Ce sont des longues scènes de sacrifices d’animaux saisies sous la lueur du feu, des natures mortes évoquant la peinture flamande, des jeux d’ombres et ce noir profond qui aspirent la mise en scène d’Albert Serra, un cinéaste vaudou dont les visions macabres imposent durablement leur charme vénéneux."

Sur la Mort de Louis XIV, la critique de Luc Chessel (Libération, 1er novembre 2016):

"Celui qui voudrait dire un mot de la Mort de Louis XIV d’Albert Serra se trouverait placé dans une position que le film précisément ne cesse de décrire. Cette Mort ne nous invite en nul autre lieu qu’à son chevet. C’est une position elle-même dédoublée, divisée: celle du médecin qui scrute sur le corps du roi les signes d’une agonie indéchiffrable, et celle du valet qui cherche à en soulager les plaintes. Le film veille le roi et le spectateur veille le film, dans l’attente grave de la mort annoncée. Tout un jeu de regards se construit là, et rien d’autre que ce jeu, saturant l’espace clos de la chambre et celui de la salle — autour du lit central où un corps nous regarde, impressionnant.
Rarement un film se sera à ce point décrit lui-même, nous désignant et nous assignant une place qui trouve en lui (en son cœur) à la fois son origine et sa fin, sa source et sa destination: rarement un film aura été aussi royal dans son dispositif et aussi mortuaire dans ses intonations. C'est que nous invitant à son chevet, il veut nous inviter au chevet du cinéma lui-même. Un ami en sortant du film nous disait: "Peut-être le cinéma est-il maintenant assez vieux pour filmer ça, quelque chose de la vieillesse et de la mort à l'état pur." Grand film mourant pour agonie interminable. Peut-être que oui.
Cette impression a beaucoup à voir avec le corps que le film place en son centre: Jean-Pierre Léaud, l'acteur-limite, sur la chair duquel se projette à présent tout un pan d'une histoire du cinéma, et par extension toute cette histoire elle-même. Chaque marque sur sa chair semble venir d'une des strates d'un temps sacré, où la vie et le cinéma se confondent — depuis l'enfance, les Quatre Cents Coups — dans une analogie absolue avec l'existence de Louis XIV, enfant-roi, vieillard sublime, sa longue vie fusionnée à l'Etat et à l'histoire. Le "Sire" et la cire s'y fondent en une seule fascinante statue.
Théâtre de la lucidité. On pourrait ne dire que cela du film, clamer la splendeur déchue des majuscules, et les métaphores fileraient: film décadent sur une décadence (au choix, de l'époque ou de l'art), la maladie comme métaphore, et la mort comme néant. Les médecins et valets impuissants porteraient haut le deuil, et diraient pour finir: le cinéma est mort, vive le cinéma. Mais Fagon (Patrick d'Assumçao), le médecin du roi, dit autre chose, dans le dernier plan du film, nous renvoyant notre regard par-dessus la panse ouverte du roi mort: "Messieurs, nous ferons mieux la prochaine fois."
La Mort de Louis XIV fait autre chose que de s'arrêter au sublime, que de s'en tenir à un seuil qui serait de l'invisible ou de l'indicible: il va jusqu'à l'autopsie et, au-delà, jusqu'à la froideur. C'est son matérialisme morbide. La demi-pénombre de la chambre déploie, en fait, un théâtre de la lucidité. "La nuit vivante se dissipe à la clarté de la mort": Michel Foucault condensait par cette formule une des naissances de la clinique, où le regard médical sur les corps morts éclaire les zones d'ombre de leur vie — prise pour objet et rendue visible. C'est aussi une bonne formule de la lumière dans la Mort de Louis XIV. L'extrême picturalité des plans, ce clair-obscur aggravé, ne nous montre pas des lueurs de vie cernées par les ténèbres de la mort, mais l'inverse: un centre rayonnant de mort, le visage souverain de Léaud à la tête du lit, entouré de tous ces vivants marchant dans l'obscurité.
La mort est d’abord une grande mise en scène: où le roi met en scène sa propre mort, où la mort se met en scène elle-même, exposant à l’attention de tous son indiscutable clarté. L’idée, un jour géniale et devenue pur cliché, qui veut que le cinéma filme la mort au travail ne peut se comprendre que retournée: le cinéma comme travail de la mort, ou comme point de vue de la mort (regard clair) sur la vie (sombre objet). Donc, soit le cinéma comme médecine, soit le cinéma comme maladie.
Parasite ou fantôme. La Mort de Louis XIV est le lieu d'un éloge intempestif du charlatanisme en la personne du Sieur Le Brun, médecin de Marseille aux remèdes de sorcier et aux théories cosmiques new age. Le Brun nous explique la vérité physiologique de l'amour, attribuée au savant catalan Arnau de Vilanova: une image reste bloquée entre les deux yeux parce que la température corporelle augmente, vaporise les liquides du cerveau et le dessèche, fixant l'image de l'objet aimé. C'est une description du cinéma, sa douloureuse alchimie argentique, l'amour au temps de la mort au travail. Or cette Mort saisie en numérique, à la technologie entièrement sèche, propose peut-être autre chose encore. Le "bruit" qui vibre dans ses images légèrement sous-exposées et le "souffle", à la limite du parasite ou du fantôme, qu'on entend sur la bande-son valent comme signes d'une sensibilité poussée à la limite de ce que les machines peuvent percevoir, vers l'endroit repoussé de la frontière, imperceptible, entre le clair et l'obscur, l'endroit bruissant de leur mélange, qui sème un trouble dans le jeu royal des regards où la mise en scène nous place.
C'est aussi le lieu quasi imperceptible où Jean-Pierre Léaud, acteur bien vivant, joue avec chaque millimètre de sa peau. Il joue un presque rien qui n'avait jusqu'ici peut-être pas rencontré de regard assez aigu (du côté de la technique: faisons donc ici l'éloge de l'amour numérique) ou assez morbide (du côté de la mise en scène: faisons donc ici l'éloge du charlatanisme) pour l'enregistrer et l'exposer. Peut-être le cinéma est-il assez vieux…"

Avec Liberté, Albert Serra pousse encore d'un cran son désir d'un "cinéma des limites", mais cette fois dans une sorte de pousse-à-échouer. Mon texte du 28 septembre 2019:

D.A.F. punk (1)

Il y a d'abord l'installation Personalien, qui ressemble à du Sade vu par Sollers ("la forêt enchantée"), une scène venue tout droit d'un paysage de Fragonard, qui laisse augurer d'un nouvel objet fascinant: une chaise à porteurs comme incendiée de l'intérieur, le "tableau" des Lumières, Fragonard dont Sollers a vanté les "surprises", ce Fragonard qui, à l'instar de Serra, "connaît son Cervantès comme les récits libertins ou moraux du XVIIIe", et au-delà du style, ce à quoi il renvoie: "l'invention de la liberté". Et puis il y a le film proprement dit, où Serra s'égare à dessein dans un jeu d'artifices assez vain, "la fête galante qui devient messe noire", dans ces mêmes sous-bois "empoisonnés", quelque part en Allemagne, la nuit... Au début c'est plutôt drôle, Helmut Berger en vieillard cacochyme (prolongement des personnages de Casanova et de Louis XIV), Ludwig embaumé, et le principe du regardant/regardé qui fait que les scènes dans les bosquets ressemblent à des scènes de drague homosexuelle. Les nobles se mêlent aux laquais ainsi qu'aux paysans du coin, auxquels s'ajoutent, venues d'un couvent, quelques novices, Justine et autres Juliette en mal de sexe... L'orage éclate, on s'attend à ce qu'il se passe autre chose après, mais non, les affaires suivent leurs cours, identiques, jusqu'à l'aube. "Donnez, donnez, donnez...!", supplie un personnage le cul à l'air. Et Serra donne. Tout ça reste prisonnier d'une imagerie très classique concernant Sade... Un catalogue avec comme seule progression, celle du fantasme, car "tout ceci est intérieur" (à l'image de Sade emprisonné, imaginant vices et sévices, de plus en plus "hard" à mesure que dure son emprisonnement, manière ainsi de se libérer...); une surenchère dans l'excitation, qui va d'une gentille scène d'anulingus à un truc plus complexe, pas très ragoûtant c'est le moins qu'on puisse dire, quant au circuit utilisé (disons que ça transite par tout le tube digestif), en passant par un peu de zoophilie et la scène, assez "umoristique" celle-là, comme aurait dit Tristan Tzara, où l'on voit le personnage le plus laid du groupe (il a le visage brûlé), se faire pisser dessus pendant qu'un autre lui fait saigner le moignon (bah oui, il est aussi manchot) à l'aide d'une fourchette à viande. Le reste n'est que répétition. C'est lent, pas vraiment hypnotique... Et c'est là le paradoxe: Serra finit par offrir de Sade une vision qui est celle des anti-sadiens — les "maussades" (dixit encore Sollers, par opposition à "sade": d'une saveur agréable), ceux qui ne voient chez le marquis qu'une œuvre "monotone et ennuyeuse" —, signifiant ainsi non pas son impuissance, il y a quand même de belles choses dans le film, mais une forme d'échec, au regard du programme annoncé.

(1) D.A.F. Donatien Alphonse François (de Sade).

Et maintenant le nouveau Serra, avec ses deux titres, Pacifiction (mot-valise qui combine le Pacifique et la fiction) et Tourment sur les îles (la fiction proprement dite), comme il y avait précédemment Personalien et Liberté, le côté "installation" du cinéma de Serra et la puissance fictionnelle qu'un tel cinéma arrive à produire, mais de manière inégale. Peut-être que là, l'alchimie opère à plein... (à suivre)