dimanche 27 décembre 2020

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Mank de David Fincher (2020).

Est-ce que le Mank a gagné?

Un feuilleton pour Noël — 3ème et dernière partie:

Dans le livre d’Ishaghpour, où l’on trouve la plupart des éléments que je rapporte, l’auteur s’étant lui-même inspiré de ce que relataient les biographes de Mankiewicz (Richard Meryman) et de Welles (Frank Brady, Charles Higham...), il y a un passage particulièrement instructif concernant la structure de Citizen Kane. Ishaghpour cite L’Anneau et le Livre de Robert Browning comme modèle possible. Non seulement parce qu’on y retrouve l’idée de faire raconter un même événement par différents témoins, et ce du point de vue de chacun, mais surtout parce que s’y associent "le livre" en tant que masse de documents, tous ceux recueillis pour les besoins de l’œuvre (c’est la part journalistique du film), et "l’anneau" en tant qu'"œuvre d’art qui organise les matériaux en une totalité signifiante"... "l’imagination poétique qui permet de métamorphoser la réalité brute du Livre pour en faire l’Anneau de l’œuvre"... l’artiste, par ses interventions, donnant à l’œuvre son aspect circulaire, forme idoine pour atteindre à cette "totalité signifiante". Et c’est un fait que Citizen Kane relève de ce type de mouvement, en forme de spirale, à la fois concentrique et gagnant en profondeur, les éléments sur la vie de Kane s’additionnant, depuis les images d’actualités, style March of Time, qui ouvrent le film, éléments d’ordre purement général, donc très loin de la vérité, jusqu’aux dernières "révélations" qui, via les flashbacks, s’en approcheraient, elles, au plus près. Tout ça pris dans une boucle, la fin du film répétant le début, à travers l’image du "château" et de son secret, censés bien gardés... Sauf que, dirait Welles, on ne saura jamais comment le journaliste qui enquêtait sur la vie de Kane était au courant d’un mot (Rosebud) adressé uniquement au spectateur (puisque prononcé en l’absence de toute personne susceptible de le rapporter par la suite). Maladresse scénaristique, licence poétique ou signe que le Rosebud du film (le traîneau) n’était pas celui énoncé par Mankiewicz (via Kane et la boule à neige) au début?

D’où, pour finir, cette question, déjà posée mais que je repose sous une autre forme: au-delà d’un jeu possible avec l’esthétique de Citizen Kane (le principe du flashback, le recours à la profondeur de champ, le choix des angles...), Fincher, dont les films ont toujours, eux aussi, épousé une structure circulaire, a-t-il décidé de faire un film sur Herman Mankiewicz, connu surtout comme étant le (co)scénariste du film de Welles:

— uniquement pour relativiser, sinon contester, l'importance accordée (depuis les années 50 par les Cahiers du cinéma et, aux États-Unis, un critique comme Andrew Sarris) au metteur en scène en tant qu'auteur à part entière de son film — la fameuse politique des auteurs —, en minimisant ainsi le rôle de Welles dans l’élaboration du scénario, et ce à partir d’une petite phrase assassine de Pauline Kael: "Welles n’a pas écrit une seule ligne de Citizen Kane", phrase visant d’ailleurs, connaissant Kael, autant à provoquer qu’à rétablir la vérité.

— ou, au contraire, bien faire la distinction entre ce qui relève de l’écrit — ici en l’occurrence le travail du père, Jack —, où se nicherait éventuellement le secret indévoilable du film, son Rosebud (ou même de l’oral, ce qu’on est amené à discuter, tel le père et le fils, à propos d’un scénario), et ce qui relève de la "mise en formes", dont lui seul, David Fincher, entouré de son équipe technique, serait l’auteur, à  l'instar d'un Welles, ce qui ferait de Mank l'équivalent non avoué de Citizen Kane, la manifestation, pas spécialement modeste, que lui aussi est capable (grâce à Netflix) de réaliser un grand film d’Auteur?

Réponse quand je l’aurai vu.

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