jeudi 5 janvier 2023

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Apollo 10½: les fusées de mon enfance de Richard Linklater (2022).

L'encrier de Linklater.

Finir sur Apollo 10½ est ce qu'il pouvait arriver de mieux tant le film a quelque chose de miraculeux, qui le classe parmi les plus beaux que j'ai jamais vus touchant à l'enfance. C'est que sur le thème de l'enfance, Richard Linklater n'a pas d'égal. Penser simplement à Boyhood, son chef-d'œuvre:

Ah Boyhood! Une suite de "présents" nous dit Linklater. Mais à l’arrivée, une fois le projet abouti, le film achevé, que représentent tous ces présents accumulés? A l’instar de la vie elle-même, quelque chose s'est construit progressivement, inexorablement, mais sans vision claire de l’avenir, ce qui fait que le film, avec son amoncellement de vécus (au présent), apparaît à la fois comme un condensé de souvenirs (chaque morceau choisi de la vie de Mason vaut moins par ce qu’il représente immédiatement que par ce qu’il vient déposer année après année) et comme une forme d’empêchement, quant à la capacité de se projeter dans le futur, même si, à mesure que les années passent, un horizon finit par se dessiner, qui fera de Mason un personnage accompli (Pour le dire autrement, on se revoit plus facilement jeune qu’on s’imagine vieux.) C’est le propre de tout récit, me direz-vous. Oui, à la différence que le dispositif voulu par Linklater fait superposer le devenir de Mason avec celui du jeune acteur qui l’incarne. Un même temps partagé se devine pour l’acteur et son personnage, avec cette idée merveilleuse que si au début c’est l'acteur qui nourrit le personnage, à la fin c’est plutôt le personnage qui nourrit l'acteur. Le temps dans Boyhood serait donc un temps bien particulier, celui non seulement de l'enfance/adolescence (boyhood) mais aussi, pour le personnage-acteur, sujet à la fois regardé (c’est lui le héros) et regardant (il est comme témoin de tous ces événements, familiaux ou non, importants ou non, qui rythment sa vie), le temps nécessaire pour passer du "moment qu’on saisit" (période d’observation) au "moment qui nous saisit" (stade de la contemplation). Soit l'apprentissage d'un regard, qui ne se contente plus d'enregistrer (on pourrait dire mécaniquement) quelque étape de la vie, mais prend acte, peu à peu, d’une forme de "présence au monde", regard d’autant plus beau qu’il s’accorde avec le devenir photographe de Mason et, plus encore, le propre regard de Linklater — difficile en effet de ne pas y voir aussi le désir du cinéaste de retrouver ce temps de l’enfance et de l’adolescence qui était le sien —, trois regards en un qui font de Boyhood un film rare et magnifique.

En 1969, l'année d'Apollo 11 et du premier pas sur la Lune, Linklater avait 9 ans. C'est son regard d'enfant sur l'événement qu'il nous offre, à travers celui de Stanley, le jeune héros du film, par le biais d'une technique d'animation, la rotoscopie, que le cinéaste avait déjà expérimentée pour Waking Life et A Scanner Darkly, deux films que j'ai découverts à la suite d'Apollo 10½ mais qui n'ont rien d'emballant, c'est le moins qu'on puisse dire, le premier, à prétention philosophique, se révélant effroyablement bavard une purge en bonne et due forme , alors que le second, bien que plus convaincant, souffre de son récit trop alambiqué (c'est adapté de Philip K. Dick). Il aura donc fallu Apollo 10½ pour que le troisième essai soit le bon, non seulement parce que la rotoscopie s'accorde mieux avec des récits plus classiques, mais surtout parce que ça résonne avec l'enfance, les dessins animés d'autrefois, ceux notamment des frères Fleischer, pionniers du procédé. Il est beau de se dire que les personnages ainsi créés "sortent de l'encrier" (Out of the Inkwell, titre de la série des petits films produits par Max Fleischer), comme s'ils étaient nés dans une salle de classe, dessinés à la plume... Bref, Linklater est dans son élément, l'enfance, mieux, le temps de l'enfance et sa durée si particulière: le présent continu, affranchi aussi bien du passé, qui n'existe pas, que du futur auquel on ne pense pas. Comme dans Boyhood, mais cette fois centré sur un événement: la mission Apollo, "objectif Lune", que Linklater resitue dans le contexte — familial, socioculturel — de l'époque, contexte qui sert de "cadre" à l'événement, celui-ci étant donc vu à travers les yeux de l'enfant, pure rêverie: l'enfant à la place de l'astronaute, aventurier miniature d'un voyage qu'il vit (du verbe vivre) plus réellement que ce qu'il verra (et non vivra) à la télévision. On parlerait volontiers de poésie, je préfère le terme d'alchimie, qui rend mieux compte de cet aspect miraculeux évoqué au début. A quoi cela tient-il? Peut-être à l'étrange combinaison qui voit le récit, à mesure que le film avance, pendre le pas sur la technique magie de la rotoscopie: on sait que c'est de l'animation et en même temps on l'oublie totalement, au contraire des grosses machines cameroniennes — et fait d'Apollo 10½ — idée géniale que ce "et demi", la rêverie entre deux réalités — une véritable expérience: un souvenir d'enfance, bien réel, dont on soulignerait les contours (à la manière du rotoscope) pour que s'y dégage toute la puissance d'une fiction.

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