Arlt: Sing Sing et Eloïse Decazes.
On dit d'Eloïse qu'elle est la "voix d'eau", et de Sing Sing qu'il est la "voix de terre"... les deux réunies, ça donne quoi? Une voix de source. Et ce n'est pas facile de parler d'une voix de source. C'est pourquoi d'ailleurs j'ai longtemps tardé à parler d'Arlt, remettant régulièrement au lendemain la note que, à certains moments, je voulais écrire, faute de trouver les mots justes, les mots qui correspondent. Dire le côté tellurique de l'un et le côté aquatique de l'autre, c'est facile, mais dire ce qu'il en est de l'osmose entre les deux, deux courants qui s'opposent, entre celui qui serpente, têtu (deux fois Sing), au milieu des rochers et celui qui s'écoule, plus gracile (il y a "oiselle" dans "Eloïse"), glissant sur la roche, ça l'est moins...
Alors, remonter à la source. Arlt: un nom d'origine allemande. Pas celui des computers de Francfort, comme il y a les saucisses, mais celui de Roberto Arlt, écrivain argentin de père prussien et de mère italienne, qui donc respire le bon air de la littérature d'émigrant, le bon air de Buenos Aires, avec sa langue de la rue, qui n'est pas celle des salons littéraires, une langue qui vit, une langue vivante... riche, par son texte, mais pas précieuse, cabossée dans sa structure, mais pas désossée. Et surtout avec laquelle on s'amuse, comme chez nos deux arltérophiles, que ce soit au niveau du phrasé (Sing Sing est imprégné de musique minimaliste et bien sûr velvétique) ou des modulations de la voix (Eloïse pratique le chant médiéval).
Si Arlt, l'écrivain, est un nom difficile à prononcer — c'était l'idée de départ —, c'est parce qu'on le prononce en français, avec la gorge, alors qu'en espagnol, avec la langue, ça coule tout seul. Pareil pour Arlt, le duo, dont il faut écouter la langue (c'était le titre de leur premier album), pas ce qui sort du gosier (les raclements de la technique)... C'est de l'art, celui de l'artisan (Sing Sing), à l'intérieur duquel se serait immiscée la lettre "l", autrement dit "elle" (Eloïse), venue y poser sa voix, ce qui fait... arlt, une musique emprunte d'étrangeté, qui ne ressemble à rien, qui vous laisse dans l'expectative, sinon l'inquiétude (forcément, on attend quelque chose) et qui, subitement, et de façon tout aussi secrète, à la faveur d'une strophe, d'une suite d'accords, d'un déplacement de l'intonation... vous emballe dans tous les sens du terme (enveloppé, emporté, destination inconnue).
C'est bien le mouvement imprimé par les chansons, à l'intérieur même des chansons et par la manière de les interpréter (avec Mocke ou Thomas Bonvalet pour accompagner), qui fait le prix de cette musique, où l'on sent que ça circule, que ça coule, s'écoule... soit le flux, ce qui nous amène à Flynt, Henry, hein, pas Larry... Henry Flynt, un des maîtres à penser de Sing Sing: l'art comme création permanente, la création comme récréation, fluxus et ludus... (je fais le malin mais je me suis renseigné). Bref, Arlt, derrière son côté "mine de rien", sa poétique de l'in-signifiance, c'est quand même ce qu'il y a de plus beau, de plus émouvant, en musique, parce que de plus authentique... Au diable, au deable devrais-je dire, au feu la figure de l'art quand celui-ci oublie d'où il vient et se perd dans les faux-semblants du prestige, parce que le vrai soleil ce n'est pas celui-là, c'est l'autre, l'enculé, celui qui fait des pompes sur la nuque... le soleil qui brûle, pas celui qui aveugle.
Une sélection:
2. Après quoi nous avons ri, La Langue, 2010.
3. Que se passe-t-il?, La Langue, 2010.
4. Tu m'as encore crevé un cheval, Feu la figure, 2012.
5. La ville est triste, Feu la figure, 2012.
6. Nue comme la main, Deableries, 2015.
7. Les oiseaux cassent, Deableries, 2015.
8. Piège à loups 2, Deableries, 2015.
10. L'instant même, Soleil enculé, 2019.
11. Soleil enculé, Soleil enculé, 2019.
Très beau texte Buster, vous devriez écrire dans les Cahiers du rock.
RépondreSupprimerHé hé... ça existe?
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