Grave de Julia Ducournau (2017).
C'est grave, docteur?
Revu Grave, le premier film de Julia Ducournau. L'effet de surprise ne jouant plus, les défauts y ressortent davantage, notamment en termes de rythme et d'écriture. En même temps, ils se révèlent moins criants que dans le second film, le parfaitement surfait Titane, dont il n'est pas sûr que l'attribution de la Palme d'or soit une si bonne chose pour Ducournau tant elle risque de la conforter dans la voie (limitée) d'un cinéma de pure accumulation (pour ce qui est des effets), qui certes ravira toujours le spectateur en mal de sensations (fortes), mais finira par lasser celui qui ne goûte qu'à petites doses ce genre de film, massif et hyper-saturé... Julia Ducournau est à ranger dans la catégorie des cinéastes empiristes, au même titre que Cronenberg et Lynch, mais son empirisme est incomplet, comme souvent dans le cinéma de genre à la française, peut-être parce qu'il y manque l'esprit anglo-saxon qui est propre à l'empirisme. Certains ont vu dans le personnage de Lindon (le plus intéressant du film), via son corps et la façon de l'inscrire dans l'espace, l'effet de triptyque, le jeu avec les miroirs et les lavabos, les lignes ainsi créées, une référence au peintre Francis Bacon, peintre empiriste s'il en est... Mais c'est à l'autre Francis Bacon, le philosophe, que je pense pour rappeler ce qu'il manque à Titane: l'empirisme dans sa conception moderne, qui ne se limite pas à produire des sensations. Et pour mieux illustrer le propos, reprendre l'image de la fourmi, de l'araignée et de l'abeille. Pour Bacon, "l'empirique, semblable à la fourmi, se contente d'amasser et de consommer ensuite ses provisions". Ducournau est comme une fourmi, elle entasse. En cela, elle s'oppose à l'araignée qui "ourdit des toiles dont la matière est extraite de ses propres substances" et représente l'attitude du dogmatique (l'horreur cérébrale à la Kubrick). Or l'empirisme baconien vise à autre chose: transformer profondément ce qui a été accumulé... C'est ce que font — ou ont fait — Cronenberg et Lynch qui, eux, renvoient à l'abeille, laquelle, toujours selon Bacon, "tire la matière première des fleurs des champs, puis, par un art qui lui est propre [et peut aller jusqu'à l'abstraction, c'est moi qui ajoute], la travaille et la digère". Passer de la fourmi à l'abeille, c'est certainement la voie à suivre pour Ducournau, cette voie qui reste celle de l'hyménoptère mais à un stade supérieur, empiriquement parlant. Certes, avec Titane, Ducournau a cherché à aller plus loin: dépasser ce qu'elle avait atteint dans Grave. Sauf qu'elle s'est trompée de direction. Exit l'hyménoptère, elle est passée au coléoptère, et là, en l'occurrence, pas le plus fin, au contraire même, le plus gros qui soit. Et quel est le nom du plus gros des coléoptères? Je vous le donne en mille: le Titan.
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