Voilà qui ferait une belle pancarte pour la manif. Avec cette petite réserve que les paroles écrites par Ray Davies — la chanson est sur l'album éponyme sorti en 1981 — ne cadrent pas exactement avec les revendications de ceux, nombreux, qui tous les jeudis manifestent contre la réforme des retraites (un projet devenu loi depuis sa validation par le con-con), tant Davies, fidèle à lui-même, se montre très satirique — on pense au poète Juvénal — vis-à-vis du peuple comme de ses gouvernants; ainsi le refrain de la chanson où le peuple en question, assimilé à celui de Rome, n'est jamais rassasié, se gavant toujours plus de spectacles (les jeux du cirque): "Give the people what they want / You gotta give the people what they want / The more they get, the more they need / And every time they get harder and harder to please"... Pour rester dans l'esprit du moment, je vous propose un autre "Give the People What They Want", la chanson des O'Jays, écrite, elle, en 1975, dans une veine r'n'b qui épouse mieux la rhétorique contestataire — on y réclame plus d'argent, plus d'égalité, une meilleure éducation, de meilleurs logements, etc.
Loin de la foule déchaînée...
Je laisse à chacun le soin d'imaginer qui pourrait être ce chien fou qui pousse des moutons à se jeter du haut d'une falaise, alors qu'une vie paisible les attendait sur la lande, vie qui consistait à se faire tondre, régulièrement, docilement, jusqu'à la retraite, considérée dès lors comme bien méritée. Sauf qu'une toison — laquelle, on est d'accord, n'est jamais d'or — ça finit aussi par s'user, et ne plus repousser, du moins pas assez pour couvrir ses "arrières". Bref, tout ça pour dire que le bas de laine, quand on est à la retraite, il est souvent troué, et ce depuis longtemps.
En vrac.
La guerre des étoiles.
La cotation des films sous forme d'étoiles, je ne sais pas qui l'a inventée, probablement les Cahiers et leur fameux "Conseil des dix" dans les années 50 — c'est d'ailleurs pour ça que Positif n'y a jamais recouru (ha ha), au contraire d'autres revues, telles Cinéma... vous savez cette petite revue de la FFCC au format 18x13 facile à empiler —, en tout cas, cela fut pendant très longtemps une sorte de boussole qui permettait au lecteur (des Cahiers donc) de se faire une idée, moins sur les films ainsi "étoilés", puisque la critique du film, et plus généralement l'importance accordée au film par la revue, suffisaient pour savoir ce qu'il en était (tout au plus anticipaient-elles, ces étoiles, les futures critiques qui à l'époque étaient publiées quand les films étaient sortis, soit un mois après, de sorte qu'on pouvait les lire dès leur parution)... donc, se faire une idée moins sur les films que sur la ligne éditoriale, éminemment auteuriste, de la revue par rapport au reste de la critique. Ce plaisir aux Cahiers à coter les films, qui avait disparu (forcément) lors de leur période Mao, n'est revenu que tardivement, fin 2000, en même temps qu'une nouvelle maquette (et la rubrique "Evénement", conférant à la revue un aspect marketing — c'était Le Monde à l'époque le propriétaire — qui perdure encore aujourd'hui); avec dans l'édito cette précision joviale de Nouchi et Tesson concernant le nouveau Conseil des dix: "non pas un jugement critique mais un conseil (avisé) en direction du lecteur", en espérant que celui-ci "aura la possibilité de faire alliance avec l'ami-critique qui lui veut du bien. Cela existe..." (lol). Le problème, c'est que ce "conseil avisé", non seulement s'est généralisé, un peu partout et à toute occasion, mais surtout tend de plus en plus à supplanter le "jugement critique", au sens où beaucoup de spectateurs, qui sont de moins en moins lecteurs, se fient dorénavant et quasi uniquement aux étoiles décernées par la presse pour orienter leurs choix, quant aux films à voir. Pire, ledit Conseil, celui des Cahiers, se trouve lui-même supplanté par toute une flopée de conseils, tout aussi avisés sauf qu'il s'agit d'avis essentiellement journalistiques, et non "critiques" (au sens propre, voire noble, du terme), tels ceux qu'on trouve sur le site d'Allociné (80% des avis retenus ne viennent pas de la presse spécialisée et se révèlent souvent moins pertinents que ceux des spectateurs!), tendance qui cache mal le caractère promotionnel d'un tel site, multipliant les avis favorables sur les films, les moins appréciés étant au minimum crédités d'une étoile, ce qui me faisait écrire ironiquement il y a quelques mois que le système de cotation à Allociné consistait à attribuer deux étoiles quand le journaliste n'aimait pas vraiment un film, trois quand il ne savait pas, quatre quand il pensait l'avoir aimé, et cinq, bah, dans tous les autres cas de figure, que le journaliste ait aimé un peu, beaucoup ou passionnément le film... Il y a là une dérive qui justifierait, à mon humble avis (qui n'intéresse personne), qu'on en finisse avec les étoiles, du moins chez les critiques, pour inciter le spectateur, qui sait, à lire davantage leurs articles...
Paul et Mickey.
Paul: Moi je trouve ça bien les étoiles, ça évite de se taper les critiques.
Mickey: Oui si la critique est nulle, mais sinon, il y a quand même plus de plaisir à lire un texte qu'à regarder des étoiles.
Paul: Ou des bulles, c'est d'ailleurs ce que je préfère, les bulles...
Mickey: Oui enfin, bulles ou étoiles, c'est un peu court comme discours.
Paul: Pour moi ça dit autant, surtout que dans un texte le critique ne fait le plus souvent que se justifier, quant à son accueil du film, ça reste un avis qu'il enrobe en décrivant les scènes ou en racontant l'histoire.
Mickey: Peut-être mais ça te parle quand même plus que des étoiles.
Paul: Bah non, c'est pareil... c'est même mieux les étoiles, ça résume ce que le critique a tenté laborieusement de faire passer dans son texte.
Mickey: Tu exagères, c'est pas une synthèse, et si ça l'était, il manquerait les deux premières parties.
Paul: Je n'ai pas parlé de synthèse, mais de résumé... le critique résume, ou condense si tu préfères, son avis sur le film, il n'en dit pas plus, ni moins, il t'apporte son point de vue, à travers une ou plusieurs étoiles, ou aucune, et moi ça me suffit.
Mickey: Oui mais non, quand bien même il ne ferait que se justifier, c'est forcément plus intéressant que de simples étoiles, parce que dans sa critique il argumente.
Paul: Argumente? Non. Il a son avis, bien tranché, sur tel ou tel film, et ce que tu appelles argumenter consiste à asséner des sophismes et autres pseudo-vérités, que le critique répète en boucle, faute justement d'arguments.
Mickey: Non mais ce que tu décris là, ce sont les conversations qu'on a tous au café après un film, c'est pas ça la critique.
Paul: Bah si c'est ça, en tout cas c'est là où elle se fabrique... on échange entre éminents confrères, ce qui fait d'ailleurs que les textes se ressemblent souvent. Tu n'as jamais eu cette impression que ce que tu es en train de lire tu viens de le lire ailleurs, dans un autre texte?
Mickey: Euh non...
Paul: Et pourtant.
Mickey: Enfin, tu n'es pas sérieux... les textes ne sont pas les mêmes.
Paul: Hé hé... non je ne suis pas sérieux, et c'est pour ça que je préfère les étoiles, parce que les critiques justement, dans leurs textes, ils se prennent trop au sérieux... l'esprit de sérieux, c'est ce qui tue la critique, c'est pas moi qui le dit, c'est Moullet.
Mickey: Sauf que quand les critiques attribuent leurs étoiles, c'est avec le même esprit de sérieux que lorsqu'ils écrivent leurs textes, non?
Paul: C'est différent, avec les étoiles, c'est plus carré, plus direct, on sait vraiment ce que le critique pense du film, alors que dans un texte, l'esprit de sérieux fait que le critique s'enferme dans une sorte de rigueur disons... intellectuelle, je ne trouve pas le bon mot, qui peut le détourner de ce qu'il pense vraiment du film, jusqu'à même se mentir... Tu vois ce que je veux dire?
Mickey: Ouais... du genre, pas oser dire qu'on a ri à un film très con ou pleuré devant un truc bien larmoyant, qui joue sur la corde sensible.
Paul: Je ne pensais pas à ça... mais si tu veux.
Mickey: Cela dit, je ne vois pas en quoi il y aurait plus de sincérité dans l'attribution d'étoiles que dans la rédaction d'un texte.
Paul: C'est simplement qu'avec le sytème des étoiles le critique ne peut pas se cacher, il donne réellement son avis sur le film.
Mickey: Si c'est pour mettre une bulle ou quatre étoiles, évidemment, mais le texte n'aurait pas dit autre chose, le critique aurait été tout aussi sincère...
Paul: C'est pour ça que les étoiles suffisent.
Mickey: Je saisis pas très bien... tu as des exemples?
Paul: Oui j'en ai un, il faut juste que je le retrouve.
Mickey: Un film récent?
Paul: Oui attends, ça va venir... (Paul réfléchit) Ah voilà. Tu as vu El agua?
Mickey: Oui, j'ai bien aimé d'ailleurs.
Paul: Moi aussi, les critiques moins, en tout cas c'est plus partagé... disons entre deux et trois étoiles.
Mickey: Et alors?
Paul: Alors il se trouve que Lalanne, lui, a collé quatre étoiles au film.
Mickey: Ah bon? Et c'est lui qui a écrit la critique?
Paul: Non, aux Inrocks c'est Lefort qui a fait la critique, les étoiles c'est dans les Cahiers, mais Lefort aussi, je pense, aurait mis quatre étoiles.
Mickey: Bon et alors?
Paul: Eh bien, en mettant quatre étoiles à un film qui est un très bon film mais qui n'est quand même pas un chef-d'œuvre, ce à quoi correspondent normalement les quatre étoiles, et Lalanne le sait très bien, il exprime ce que le film représente pour lui, affectivement, et non ce que celui-ci vaut réellement... Et le texte écrit par Lefort est au diapason, c'est-à-dire que le film y est également présenté comme le chef-d'œuvre qu'il n'est pas, mais que Lalanne et Lefort, eux, aiment passionnément, je ne dis pas aveuglément, mais avec cette petite distorsion dans le jugement, car je les crois sincères, qui tient au fait que le film a été co-écrit par leur ami Azoury et qu'à ce titre ils ne peuvent avoir un regard... disons... parfaitement objectif, pour rester dans l'euphémisme.
Mickey: Et donc?
Paul: Et donc, il y a dans ce cas précis un même regard, biaisé et convergent, que les quatre étoiles de Lalanne révèlent sans détour, de façon autrement plus claire, sans emphigourisme, que toute la prose dithyrambique de Lefort, laquelle à ce niveau n'apporte rien de plus. Les quatre étoiles suffisent largement.
Mickey: Bon là d'accord, mais tu as choisi un exemple très particulier. Tu en as d'autres?
Paul: Tout de suite, non, mais il y en a... (rires)
PS. Sinon je plussoie ce que disent Paul et Mickey sur El agua d'Elena López Riera: c'est un très bon film.
[24-04-2023]
Une petite Garbo.
(débriefing)
On commence par le dernier Téchiné, les Ames sœurs, un film on dira très tendance, comme le sont en ce moment les thèmes de l'amnésie et de l'inceste, sans oublier l'identité de genre, ici le genre fluide, rappelant Nos années folles, via André Marcon — mixte improbable lorsqu'il est habillé en femme de Depardieu et Berroyer —, peut-être le personnage le plus attachant du film mais complètement bâclé... avec en première partie le réalisme des scènes d'hôpital, les "soins intensifs" comme si vous y étiez, ça aussi c'est très tendance... un film donc signé Téchiné, ç'aurait pu être Desplechin (en moins tordu) ou Assayas (en plus édifiant, cf. le personnage parfaitement inutile de la mairesse qui ne sert qu'à "recadrer" les choses)... surtout ç'aurait pu être signé par n'importe quel jeune cinéaste en mal d'auteur, et c'est triste de voir Téchiné, qui dans ce domaine de la transgression, soit le rapport entre la norme et l'interdit, le désir et la morale, faisait figure de précurseur (sans que ce soit pour autant ce qui nous retenait le plus chez lui), céder aujourd'hui au pire suivisme, celui qui grève la majorité des films français (dits d'auteur). Et qu'on ne vienne pas nous dire que l'interprétation de Merlant et Voisin, ainsi que de l'autre voisin (Marcon) est superbe, que ça sauve le film, etc., tous les films aujourd'hui sont au minimum bien joués, même les plus mauvais.
Bref vous êtes énervé et, pour vous "calmer", vous allez voir The Quiet Girl de Colm Bairéad, un premier long avec les défauts inhérents aux premiers longs: le joli petit format ("carré"), la lumière chiadée, les cadrages impeccables, c'est beau, bah oui, on pense aux premiers films de Jane Campion, c'est du cinéma enraciné, ça se passe dans le sud de l'Irlande, on y parle l'irlandais, du coup c'est aussi très rude, et au centre il y a cette "quiet girl", fillette taiseuse et au départ souillon mais qui déjà accroche la lumière, telle une petite Garbo, et qui, le temps d'un été, loin de ses parents mal aimants, va découvrir au contact d'un vieux couple au secret mal enfoui, ce que c'est qu'être aimée. Pas de drame, il a déjà eu lieu et il n'y en aura pas d'autre (juste un rhume), d'aucuns trouveront ça trop lisse et convenu, pourtant les aspérités sont là, simplement recouvertes par tous ces non-dits qui enlisent les sentiments. Le film ce n'est que ça: une suite d'annotations discrètes, à travers le regard d'une petite fille discrète, sur des sentiments aussi banals et démodés que la bienveillance, la pudeur et, totalement à contre-courant du suivisme actuel, cette bonne vieille tendresse qui sait encore faire des beaux films, où l'émotion longtemps retenue, comme bridée, finit par exploser lors d'un finale bouleversant.
Ainsi calmé, vous êtes prêt pour un troisième film, plus revigorant... vous décidez alors d'aller rendre visite au Capitaine Volkonogov (qui s'est échappé). Et c'est un fait que, dans le genre fortifiant, le film de Merkoulova et Tchoupov en impose: puissant, physique, musclé, à l'image dudit capitaine dans sa fuite éperdue pour échapper aux monstres staliniens dont il faisait partie et qu'incarne ici un commandant tubard aux allures de SS... nous sommes en 1938 en pleines purges (la Grande Terreur), les petits monstres sont exécutés par des plus gros, eux-mêmes menacés d'être exécutés par plus gros encore (il faut lire L'Affaire Toulaev de Victor Serge)... tout ça est boursouflé, enivré plus qu'enivrant, mais bon, vous êtes scotché à votre siège (terrible scène des exécutions par un bourreau stakhanoviste qui n'a besoin que d'une seule cartouche par exécution, d'où son surnom de Cartouche), on y chante "Plaine ma plaine" à travers un masque à gaz dont l'embout a été bouché, c'est étouffant... le rouge domine et un "aérostat" passe au-dessus de Leningrad... Pour autant, si Lenin-grad, le film lui se dégrade, les ruines s'accumulant, les victimes, amorphes, ressemblant de plus en plus à des morts-vivants... tout devient glauque, le film glissant de surcroît dans le "symbolchoï", comme disait un ami psy et russe, adepte comme Freud des mots-valises, le bon gros symbole bien lourdingue... on baigne dans le mystique, le superstitieux, le vaguement dostoïevskien, qui voit notre capitaine, en proie à des visions, parcourir la ville en quête de rédemption, à la recherche de celui ou celle qui, ayant eu un des membres de sa famille exécuté par le NKVD — Volko cavale avec un tas de documents à la main —, voudra bien le pardonner, parce que sinon, eh bien, il restera damné (adieu le paradis, si si c'est présenté comme ça)... pour le coup c'est pas gagné (son passif est quand même très lourd), de la femme médecin qui lui dit d'aller se faire enc... à la petite fille qui lui brûle ses documents, ne trouvant son "salut" qu'au dernier moment dans une scène au dolorisme tartignole avant le finale, une poursuite sur les toits que n'aurait pas renié Belmondo et son dernier plan christique.
On sort du film épuisé, on se demande ce qu'on pourrait bien voir maintenant, on passe devant l'Arlequin, où passe Désordres, un film suisse, on se dit que le rythme devrait être moins soutenu... on entre et on tombe sur un film absolument merveilleux (j'en reparle plus loin)...
[25-04-23]
Comme on dépose des petits cailloux sur la tombe d'une personne pour signifier qu'on pense à elle, il m'arrive de revoir certains films de Jacques Becker (Antoine et Antoinette, Rendez-vous de juillet, Edouard et Caroline, Rue de l'estrapade...) comme des piqûres de rappel, qui — outre le plaisir de la revoyure — me rappellent que Becker, en matière de comédie, fut l'un des plus grands.
Sur Jacques Becker par Camille Taboulay (Cahiers du cinéma n°454, avril 1992):
"Dans un très bel et mémorable article, Bazin a pu écrire de la sensuelle mise en scène de Renoir qu'elle drapait la robe sans couture de la réalité. Becker, lui, filme les coutures (voire les couturiers), il bâtit la réalité à partir des coutures et des coupures. Si Renoir transcende le plan par la profondeur de champ et le fondant (l'invisible) du montage, Becker coud une multitude de plans ensemble, répare un espace haché menu et y réinscrit un rythme surveillé. Henri-Pierre Roché a écrit dans Les Deux Anglaises: "La vie est faite de morceaux qui ne se rejoignent pas", phrase qu'on retrouve dans le film de Truffaut mais, précise-t-il, insérée in extremis au montage. Cette même phrase, on peut la sentir palpiter derrière les rubans de Becker, rapiécés avec une précision affectueuse d'horloger. On ne s'étonnera pas alors de son admiration pour la comédie américaine, enlevée, tonique, pétillante dont il donna peut-être la seule vraie équivalence française avec Edouard et Caroline. Film d'énergie, de rythme, de jeu pur sur un prétexte infime, film en somme qui fait toute une comédie d'un rien. Profondément français, le cinéma de Becker n'est pas sans affinités avec le cinéma américain, notamment cette veine de spécialistes qui composent au millimètre les vertiges d'un genre (Hawks est probablement sa référence secrète)".
Et vous Buster, de quel côté êtes-vous ? The Kinks ou The O'Jays ? Le chien fou ou les moutons ? Paul ou Mickey ? On aimerait savoir.
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