mercredi 31 mai 2023

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Anatomie d'une chute de Justine Triet (2023).

Triet c'est gagné?

Ça y est, Cannes c'est passé. Pas encore vu (évidemment, cf. infra) Anatomie d'une chute, la Palme d'or dont j'espère qu'elle viendra corriger l'impression plutôt négative que j'ai pour l'instant du cinéma de Justine Triet, n'ayant pas été convaincu par ses films précédents, qu'il s'agisse de la Bataille de Solférino, trop hystérique à mon goût, malgré Lætitia Dosch, la belle Suisse, une actrice que j'adore, et les deux "Zefira-films" que sont Victoria et Sibyl, des films très surestimés à mes yeux, malgré Virginie Efira, la jolie Belge, qui "crève l'écran" comme on dit, pas emballé par la veine soi-disant "hawksienne" du premier (encore que la partie "procès" du film, avec le dalmatien et le chimpanzé — un procès, déjà, chez Triet —, était assez réussie, une séquence qui, cela dit, m'évoquait davantage "le Tribunal des flagrants délires" que les comédies de Hawks), et pas emballé non plus, encore moins même, par l'expérience prétendument "rossellino-strombolienne" du second, ce qui me faisait écrire à l'époque (peut-être trop méchamment):

"Ce qui se déroule devant nos yeux, et qu’il faut bien qualifier d’exceptionnel, seul le cinéma le permet: assister au dévoilement des puissances infinies d’une actrice." (Cahiers du cinéma). Bah voilà, Sibyl c'est ça: un film de groupie pour groupies. Rien d'autre. Un film où l'autrice ne fait que sur-écrire ses scènes (et les empiler) pour mieux mettre en valeur son actrice (et du coup faire se pâmer le critique), un film où l'on prétend célébrer on ne sait quelle revanche de la fiction sur la réalité, et qui sonne faux du début à la fin. Parce que ce n'est pas le personnage qui doit servir l'actrice, mais l'inverse (cf. Ingrid Bergman bien sûr, mais aussi Gena Rowlands, magnifiant son personnage sous le regard lui-même amoureux de Cassavetes, ou encore Joanne Woodward, les exemples ne manquent pas...), de sorte qu'on n'ait pas comme ici une succession de numéros, sous prétexte que Virginie Efira peut tout jouer et qu'on va donc lui faire tout jouer: la psy à côté de la plaque, l'écrivaine en mal d'inspiration, la mère absente, la femme et son désir, la coach pour acteurs (n'importe quoi), etc., où se greffent souvenirs et fantasmes, bref un truc tellement pesant au niveau du scénario (vaguement égayé par une scène de sexe bien torride, ça aussi Efira sait le faire — mais si vous n'êtes pas branché "cul" elle peut à la place vous chanter une chanson)... que la vaporette, qui accompagne le personnage tout au long du film, et les anxiolytiques, que lui prescrit l'ami psychiatre, finissent par ne plus faire effet... et qu'il n'y a plus dès lors qu'à replonger dans l'alcool (parce que, last but not least, c'est aussi une ancienne alcoolique et qu'elle participe, évidemment, à des réunions d'AA)... Heureusement un autre personnage arrive à ressortir de cette horrible plâtrée, pas celui joué par Adèle E., qui rappelle un peu trop l'Adèle chialeuse, larmoyant de partout, du film de Kechiche, mais celui, plus périphérique, que compose Sandra Hüller, dans le rôle de la réalisatrice, et dont la présence donne un peu de consistance au film. Sinon Stromboli, c'est très beau, mais ça on le savait déjà.

Bref, je n'avais pas aimé, c'est le moins qu'on puisse dire. Et donc maintenant Anatomie d'une chute qui révélerait une autre Triet, si j'en crois mes petits camarades, ceux qui n'étaient pas non plus de fervents admirateurs de la réalisatrice mais qui là ont été littéralement bluffés par son film (impression "cannoise" à confirmer toutefois, disent-ils, par une seconde vision, extra-festivalière). Un film sans Efira cette fois, sans Zephyra, moins décoiffant pour le coup (hum), surtout moins protéiforme — Sibyl préfigurait d'une certaine manière la suite de la carrière de l'actrice, engagée depuis dans des rôles "caméléons", à visages multiples: Madeleine Collins, Don Juan, l'Amour et les forêts... —, visant au contraire, au niveau de l'écriture, à quelque chose de plus fluide, de plus limpide — qui a dit "premingerien"? —, avec une Sandra Hüller à l'unisson (je répète ce qu'on m'a dit), c'est-à-dire d'une "clarté parfaite dans l'ambiguïté"... Alors oui, si c'est ça, on pourra dire que le cinéma de Triet a franchi un palier, voire, qui sait, qu'avec ce film il atteint des sommets. La réponse, en ce qui me concerne, dans trois mois...

Post-scriptum.

Le vrai scandale de Cannes cette année, ce ne sont évidemment pas les propos de Justine Triet lors de la remise de sa Palme d'or, ni les réactions que ces propos ont suscité, d'un côté (Justine étrillée par la droite) comme de l'autre (Justine dit juste, dit la gauche), dans la sphère politico-médiatique (bref, Justine ou les infortunes du succès). Il n'est pas plus dans le film de Jonathan Glazer, The Zone of Interest, lauréat du Grand Prix mais aussi du Prix FIPRESCI, autrement dit célébré à la fois par le jury et par la critique, validant ainsi, en chœur, les choix esthético-éthiques du cinéaste. Non, le vrai scandale est dans le fait que pour le spectateur lambda (j'en suis un), celui qui voit les films en salles et non lors de festivals ou de séances spéciales, un seul film de Cannes (pire: aucun si on se limite à la compétition!) est sorti parallèlement à sa présentation cannoise, en l'occurrence celui qui traditionnellement fait l'ouverture, cette année Jeanne du Barry de Maïwenn (après Coupez! d'Hazanavicius l'an dernier, on est vraiment dans l'amuse-gueule), alors que d'habitude quatre ou cinq films de la sélection sortaient en même temps (ou presque) que le Festival. Là, peau de balle... Jeanne du Barry et c'est tout... pour le reste, circulez, y'a (plus) rien à voir... ah si, l'Amour et les forêts de Donzelli... mais après, il faudra attendre un mois pour découvrir Asteroid City de Wes Anderson et Vers un avenir radieux de Moretti. Comme si le spectateur de salles devait dorénavant se contenter de l'apéro, invité pour l'ouverture, et son côté grand public, mais prié ensuite de rester chez lui, le temps du Festival, qu'il pourra suivre s'il le veut, à l'écart, via les médias, à écouter les commentaires débiles des journalistes. Les quelques films qu'on lui offrait les années précédentes, non pas en pâture (quoique), mais pour qu'il soit (un peu) de la fête, c'est fini.

Bonus:

Aki Kaurismäki, Victor Erice, Pedro Costa et Manoel de Oliveira (du moins son ghost) ont fait l'actualité durant cette quinzaine avec respectivement les Feuilles mortes (en compétition officielle), Fermer les yeux (à Cannes Première), As Filhas do Fogo (en séances spéciales, un court qui a précédé le Film annonce du film qui n'existera jamais: "Drôles de guerres" de Godard) et Val Abraham qui fêtait ses 30 ans à la Quinzaine des réalisateurs (devenue Quinzaine des cinéastes) et dont le film a servi d'affiche à l'édition 2023. Ces quatre cinéastes ont un autre point commun: Centro histórico, un film de commande réalisé en 2012 dans le cadre de “Guimarães 2012, Capitale européenne de la Culture”. On peut le voir en intégralité sur Internet Archive. "O Tasqueiro", le segment réalisé par Kaurismäki, est un petit bijou.

15 commentaires:

  1. pourquoi parler de méchanceté quand il s'agit de justesse

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    1. Si vous faites référence à ma note sur Sibyl, je ne renie pas ce que j'avais écrit à l'époque, mais l'ayant rédigée sur le coup de la colère juste après avoir vu le film, je n'y étais pas allé de main morte... écrite quelques jours plus tard le ton aurait peut-être été moins virulent

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  2. ils s'appellent comment vos petits camarades ?

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  3. La réaction (un peu plus réfléchie) de JM Frodon au discours de Triet
    https://www.slate.fr/story/246995/pourquoi-discours-justine-triet-legitime-festival-cannes-2023-palme-or-politique-reforme-retraites-cinema-culture

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  4. Pourquoi ne pas attendre que le film soit sorti pour en parler, et non profiter de son succès et de la polémique provoquée par les propos de Justine Triet pour nous rappeler que vous n'avez pas aimé ses films précédents, façon indirecte, peut-être, d'"étriller" Triet comme vous dites, joli jeu de mots, pour ce qu'elle a "osé" dire, mais vous par contre, sans oser le dire.

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    1. Non mais Adèle ça va pas... c'est quoi cette psychologie de bazar? Ne me faites pas dire des choses que je n'aurais soi-disant pas osé dire. Si je ne parle pas de la polémique c'est simplement parce que ça ne m'intéresse pas, que ça relève du cirque politico-médiatique habituel, ici entre les macronistes, les anti-macronistes et le milieu du cinéma aux réflexes corporatistes... en plus, je ne vais pas me positionner sur un sujet (l'exception culturelle, les subventions) que je connais mal...la seule chose que je peux dire, c'est que je partage le point de vue (féministe) qui avance que c'est aussi parce que Justine Triet est une femme qu'il y a eu autant de petits coqs à lui voler dans les plumes. Le reste...

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    2. C'est ça qu'il fallait dire.

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    3. Bah non, c'était pas le sujet de mon billet (que je voulais d'humoeur)

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  5. "le spectateur lambda (j'en suis un)"... allons allons Buster, pas de fausse modestie, tout le monde sait que vous connaissez bien le milieu du cinéma, et les critiques des Cahiers en particulier

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    1. Ok alors pour la énième fois... je n'ai jamais fait partie du milieu du cinéma... que je connaisse des critiques est une chose, que je les fréquente toujours en est une autre... disons que la page est tournée et que je suis redevenu un simple spectateur (qui voit les films quand ils sortent et paie sa place comme les autres)

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    2. On peut être simple spectateur et critique avisé, non ?

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    3. Bien sûr sauf qu'aujourd'hui ce type de spectateur n'écrira pas dans des revues spécialisées, celles-ci sont dorénavant réservées aux professionnels de la critique et du cinéma en général.. pas de place pour le critique "amateur"

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