lundi 5 juin 2023

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Maine Océan de Jacques Rozier (1986).

Le Rozier buisson.

"Le refus — comique et irascible — de la coupe... [apparaît] non comme la résultante d'une résistance de l'auteur (fétichisme de la chose tournée, ou répulsion, que l'on peut trouver çà et là chez Rivette par exemple, de passer par pertes le travail d'un acteur ou d'une actrice) mais bel et bien comme une résistance du matériau même."
Coller et non couper.
"(...) Il y a de ça dans le travail de Jacques Rozier, tel que ses films le laissent à voir: une sorte d'argument du pari, une forme de croyance, paisible mais absolue, en la matière même du film qui fait que le travail consiste dès lors moins à enlever qu'à tenter des agencements, des combinaisons, images et sons, paroles et musiques, visages et paysages, temps et tempi... C'est cette recherche, avec toute sa part d'aléatoire, qui explique sans doute la lente maïeutique dont procède chacun des opus de J.R., mais aussi, à l'arrivée, leur grâce, leur fragilité météorologique, leur respiration tremblée." (Hervé Le Roux, "Couper n'est pas coller", Jacques Rozier, Le funambule, Cahiers du cinéma, 2001).



Revoyant Du côté d'Orouët, le passage où Bernard Menez, dans la cuisine, accompagné de sa bouteille de gros-plant, prépare pour les filles le congre qu'il a pêché l'après-midi (séquence géniale en termes de découpage et dans les prises de vues du fait de l'exiguïté de la pièce) — c'est à partir de 1h55 sur la vidéo —, je me suis rappelé l'entretien qu'avait donné Jacques Rozier pour l'émission "Cinéma Cinémas" et dans lequel il disait que s'il n'avait pas été cinéaste il aurait aimé être marin pêcheur, ou encore que le premier film qu'il a vu enfant (en tout cas, dont il se souvient), c'était un Laurel et Hardy — il a oublié le titre, le film c'est Bons pour le service (Bonnie Scotland) — et la fameuse scène où nos deux compères font cuire dans une chambre un gros poisson à l'aide d'une bougie placée sous la grille métallique du sommier (le poisson finit ratatiné, réduit à la taille d'une sardine), une scène qui l'avait tellement fait rire qu'il en avait mangé ses gants! A voir , la scène commence à 21'42...
Tout ça pour dire que chez Rozier, la mer, les îles, les vacances, de la Corse d'Adieu Philippine à l'île d'Yeu de Maine Océan en passant par Orouët et l'île de la Tortue, sont non seulement associées à un moment joyeux de l'enfance (Laurel et Hardy), ainsi bien sûr qu'au goût du large, au sens buissonnier et "gentiment anarchiste" du terme (le burlesque), mais plus encore à un désir particulier, celui qui consiste à travailler, mieux: cuisiner (avec ce que cela suppose d'artisanal et de passionné) un matériau (un poisson, une scène) qu'on a soi-même capturé (la "prise"). Vision autarcique (le mythe de l'île déserte), robinsonienne — la robinsonnade des Naufragés de l'île de la Tortue —, comme aspiration à un autre mode de vie, un autre mode de jouir, pseudo sauvage, la vie loin de la société, en prise directe avec la nature, mais dont il apparaît au final qu'elle n'est qu'illusion, tant sa mise en pratique semble vouée à l'échec: le repas préparé par Menez se révèle un fiasco, certes parce que le poisson est trop cuit mais surtout parce que les filles, fatiguées, sans envie, n'ont plus faim, douce mélancolie précipitant le clash du lendemain.

2 commentaires:

  1. Le communiqué de la SRF. "Nous n'acceptons pas la mort de Jacques Rozier" répété quatre fois, je trouve ça très ronflant, je me demande si c'est pas Axelle Ropert qui l'a écrit. Vous en pensez quoi Buster ?

    JACQUES ROZIER : DE LA NÉCESSITÉ DE FAIRE DÉRAILLER LES TRAINS
    Nous, cinéastes de la SRF, refusons d’accepter la mort de Jacques Rozier.
    Nous n’acceptons pas la mort de Jacques Rozier parce que si son cinéma nous a appris une chose c’est que le réel n’est qu’un point de départ, une piste de décollage, un port d’où larguer les amarres pour partir vers de plus grandes aventures.
    Nous n’acceptons pas la mort de Jacques Rozier parce que, à l’instar des films de Jean Vigo, son cinéma nous a appris la nécessité d’une insoumission joyeuse et obstinée.
    Nous n’acceptons pas la mort de Jacques Rozier pas plus que nous n’acceptons pas la violence et les entraves que le marché a fait peser sur son œuvre et sur sa vie, empêchant à plusieurs reprises cet immense cinéaste d’aller au bout de son geste créateur et rendant sa vie quotidienne souvent difficile.
    Nous n’acceptons pas la mort de Jacques Rozier, parce que nous avons plus besoin que jamais d’un cinéma qui nous libère de la dictature du scénario programmatique pour orchestrer d’audacieuses sorties de route et de festifs déraillements.

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    1. C'est possible, j'en sais rien... mais sur le fond je suis d'accord avec le texte

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