vendredi 30 juin 2023

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Nazar de Mani Kaul (1990).

L'été est là, c'est l'heure du bilan à mi-parcours. Mes 10 (+1): (par ordre alphabétique)

Esterno notte de Marco Bellocchio
The Fabelmans de Steven Spielberg
Knock at the Cabin de M. Night Shyamalan
La Montagne de Thomas Salvador
Nazar de Mani Kaul (1990)
Showing Up de Kelly Reichardt
Trenque Lauquen de Laura Citarella
Unrueh (Désordres) de Cyril Schäublin
Venez voir de Jonás Trueba
Vers un avenir radieux de Nanni Moretti
Voyages en Italie de Sophie Letourneur

Suivent: Chien de la casse (Jean-Baptiste Durand) — Nous étions jeunes (Binka Jeliazkova, 1961) — Love Life (Kōji Fukada) — Eternal Daughter (Joanna Hogg) — Chili 1976 (Manuela Martelli)...

+ 2 reprises:
Lumière de Jeanne Moreau (1976)
Trois Milliards d’un coup de Peter Yates (1967)

Le film de Yates, je ne l'avais jamais vu, je l'ai découvert au Grand Action, qui pour ce genre de film porte bien son nom. Ça démarre sur les "chapeaux de roues", une longue course-poursuite en Jaguar dans les rues de Londres, préfigurant Bullitt, San Francisco et la Mustang de Steve McQueen... puis la préparation ultra minutieuse de ce qui doit être le "casse du siècle" (inspiré de l'attaque en 1963 du train postal Glasgow-Londres), le braquage ultra-minuté et sans coups de feu, l'après-braquage à trier l'argent (3 milliards en billets), l'arrestation burlesque, et toujours sans coups de feu, des membres du gang, excepté le cerveau, plus malin que les autres, normal c'est le cerveau (en 1967 quand le film a été réalisé, Goody, le vrai cerveau, courrait encore dans la nature)... Le charme du film, c'est d'abord celui de l'Angleterre des années 60 (il y a tout un côté documentaire dans le film), avec ses couleurs pop (le bleu des cagoules, le rouge des sacs postaux...), la mini Austin de l'inspecteur (un cerveau lui aussi, normal c'est Scotland Yard), etc., auxquelles on ajoutera la moumoute, toujours impeccable, de Stanley Baker... Mais l'atout majeur c'est évidemment la mise en scène, d'une précision absolue (comme le casse), qui va à l'os (on s'attache au casse, à sa réalisation, et rien d'autre ou si peu, juste deux petites notes de psychologie concernant les deux extrêmes du commando: au plus bas, l'angoisse du maillon faible, celui aux grosses lunettes qu'on a fait évader de prison, quasiment de force; à l'autre bout, la détermination, sans retour possible, de la tête pensante, Baker donc, à qui appartient le seul flingue du film, sauf qu'il est pour lui au cas où, parce qu'il a décidé qu'il ne retournerait plus jamais en prison), une efficacité qui tient également au rythme implacable que Yates arrive à maintenir tout du long (c'est Beck le monteur de Losey qui a monté le film), minimum requis quand on s'attaque à un film de casse, oui mais là c'est vraiment du grand art.

Asteroid City.

Les aventures supra-ordinaires de Mr. Wes au pays des ovnis.

C'est Barthes qui dans Mythologies qualifiait Jules Verne de "maniaque de la plénitude" au sens où "il ne cessait de finir le monde et de le meubler, de le faire plein à la façon d'un œuf". S'il est un autre maniaque de la plénitude, c'est bien Wes Anderson, et ce n'est pas son dernier film, Asteroid City, qui nous dira le contraire. Avec cette volonté chez lui de s'imposer des défis toujours plus grands. Ici, meubler une petite ville américaine située en plein désert, autant dire plein Ouest, côté Californie, Nevada, Arizona... on imagine un coin perdu entre la Vallée de la mort et le désert d'Amargosa, auquel on accèderait par l'US Route 95, pas loin d'un centre d'essais nucléaires... autant dire un trou, ce qui tombe bien, vu que la ville doit son nom à un trou justement, un gros, un cratère, provoqué par la chute d'une météorite... Un défi, donc, qui consisterait pour Wes Anderson, non pas à meubler le trou, mais ses abords, et d'abord au niveau scénique, l'habituelle "maison de poupée", expression péjorative dans la bouche des "wessophobes", mais non pour moi, étant un "wessophile" de la première heure qui a toujours aimé les miniatures vintage de Mr. Wes, lesquelles dans ce dernier film, censé se passer en 1955, se réduisent à des morceaux de décor (comme dans les séries B, sauf qu'ici, sous le soleil écrasant du désert, tout est bien visible, il n'y a pas d'ombre pour dissimuler les parties manquantes du décor, alors on dira plutôt: comme dans le théâtre américain moderne)... ce qui fait que l'espace y est plus éclaté que dans les précédents Wes Anderson (du terrier à la maquette d'un journal, en passant par la forêt, un grand hôtel, une île-poubelle), rappelant davantage ceux de la Vie aquatique et surtout du Darjeeling Ltd, par son horizontalité, obligeant, pour aller d'un bout de décor à l'autre, à multiplier les travellings latéraux. Ça c'est le premier défi et il est réussi. Mais il y a aussi le second, au niveau narratif, sous la forme, habituelle là aussi, de l'emboîtement et de toutes ces petites stories que l'auteur aime agglomérer: ainsi dans Asteroid City, via le thème "deuil et mélancolie" (comme dirait tonton Sigmund), thème récurrent chez Wes Anderson, où se mêlent, lors d'une convention pour astronomes en culottes courtes, les cendres d'une mère, conservées dans un tupperware, quelques secrets militaires et un extra-terrestre — pas un petit homme vert mais une grande tige couleur grise (c'est Jeff Goldblum qui incarne l'alien) — venu "emprunter" un vestige de la météorite... ce qui fait penser qu'on ne doit pas être loin, dans l'esprit de Wes Anderson, de la "zone 51"... Bref, on nage en plein Wesworld, tous les ingrédients sont là, dans le prolongement de The French Dispatch... ou encore de The Moonrise Kingdom pour ce qui est des "Cadets de l'espace", de loin les personnages les plus attachants du film (savoir, parce qu'il faut vraiment le savoir, que le jeu de mémoire auquel ils s'adonnent est inspiré d'une scène du film de Satyajit Ray Des jours et des nuits dans la forêt m'a procuré un plaisir sans nom)... les ingrédients sont là, donc, bien là même, tant ils sont nombreux, comme toujours, sans que ce soit pour autant le problème, ainsi que je le rappelais à propos de The French Dispatch, un sommet dans ce domaine. Parce que l'asphyxie d'un film, sur le plan narratif, ne vient jamais d'un éventuel "trop-plein", si c'est bien rempli, mais de sa complexité, si elle est trop grande, qui empêche le film de respirer. C'est cette tendance, toujours à la limite chez Anderson, surtout dans ses films récents, qui invite à les voir deux fois, et à la suite, une règle que j'avais édictée pour apprécier à sa juste valeur The French Dispatch, ce qu'on appliquera également pour Asteroid City, mais avec un résultat, cette fois, moins probant tant la complexité, qu'on dira naturelle chez Wes Anderson, se double ici d'une autre complexité, celle qui touche à la mise en abyme, inhérente aussi au cinéma d'Anderson, sauf que là l'auteur a vraiment eu la main lourde, conférant à son film un côté "mega méta", qui encastre encore plus le récit (genre poupées russes), à travers cette histoire de pièce filmée (et "montée" pour le coup) dans le cadre d'une émission télé, qui voit les acteurs s'interroger sur leurs personnages qui, eux, se questionnent sur ce qu'ils vivent, à moins que ce soit l'inverse... de sorte que l'inaccessibilité du film (à la manière d'un idiotisme) s'en trouve démultipliée. Et l'accablement avec (quid du mantra "Pour pouvoir se réveiller il faut d'abord s'endormir"?). Chaque moue de l'acteur (Schwartzman en faux Steinbeck photographe) ou pose de l'actrice (Scarlett Johansson en vraie starlette désenchantée — se rappeler que dans The French Dispatch la ville se nommait "Ennui-sur-Blasé") —, associées donc au côté métamax du film, tout ça finit par plonger Asteroid City (et le spectateur avec) dans un état de neurasthénie généralisée, à l'image de Bip Bip, qui ouvre et clôt le film et dont on apprend au début qu'il a perdu son "ami" Coyote — écrasé sur la route —, installant ainsi le film d'emblée sous le signe de la perte, soit du Chuck Jones non plus atomique mais atonique, préfiguration de ce que vivent Schwartzman et sa petite famille (1955, cinématographement parlant, c'est aussi la mort de James Dean). Au final, un excès de technicité dans l'agencement du film qui, combiné à son aspect spleenique et cette impression de morfondement dans lequel semblent se complaire les personnages, tend à brider l'émotion, de cette émotion qui d'ordinaire, par petites touches, imprègne les films de Wes Anderson. Là, ça manque vraiment.

Sinon je reviendrai sur le film de Moretti, Vers un avenir radieux. A venir aussi quelques mots sur celui de Justine Triet, Anatomie d'une chute, qui a été présenté au BRIFF (Festival de Bruxelles).

[19-07-23]

Anatomie d'une chute.

Non, je ne vais pas vous parler du Triet, je l'ai vu, j'ai bien aimé, mais j'en parlerai plus tard... Là, je vais vous parler de vélo. J'aurais pu intituler ma chronique "Jonas et la toison d'or", rapport au côté mythique du Tour (et parce que Jonas est l'anagramme de Jason), sauf que le mythe depuis deux jours et le contre-la-montre de Sallanches a recouvré le goût amer des sales années, celles qui, en gros, vont de Riis à Froome, et que, plutôt que de célébrer des exploits redevenus incrédibles, non pas au sens d'incroyables (incredible) mais bien de "non crédibles", je préfère en rester, pour ce qui est du titre, à l'aspect purement dramatique du Tour, qui certes, bis repetita, touche une nouvelle fois Tadej Pogačar, doublement "tombé", de son vélo et de son piédestal, encore que cette année il n'aura jamais porté la tunique jaune ("Pogi, la Loze" était un autre titre possible, quoique un peu trop sarcastique), mais, plus encore, touche à l'engouement (le mien) suscité par l'épreuve, subitement retombé, lui aussi, après ledit contre-la-montre. "Anatomie d'une chute", donc...

Quand, à la fin de l'étape, j'ai vu débouler Vingegaard ("Vignegôôr") une vingtaine de secondes seulement après Pogačar, qui était parti deux minutes avant lui et venait pourtant de réaliser un super chrono, reléguant Van Aert à plus d'une minute, la première image qui m'est venue à l'esprit c'est celle de Ben Johnson à Séoul, mystifiant Carl Lewis... Et depuis, impossible de la chasser. Reprendre en moyenne plus de quatre secondes par kilomètre à Pogačar, plus de sept à Van Aert, sur une si courte distance (22,4 km), même si la course s'apparentait à l'ascension en deux temps d'un bon petit col, ne relève plus de l'exploit mais bien de l'irrationnel. J'ai lu que pour retrouver l'équivalent dans le Tour il fallait remonter à 1961 et la victoire d'Anquetil sur Albert Bouvet (plus de cinq secondes par kilomètre), sachant que dans ce domaine, celui du contre-la-montre, maître Jacques, qui ne marchait pas à l'eau claire, était considéré et de loin — depuis la retraite forcée de Roger Rivière — comme le meilleur spécialiste, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent, loin de là, de Vingegaard. Non, la victoire de ce dernier, écrasante, sur Pogačar qui l'avait toujours devancé dans cet exercice, et Van Aert, souvent monstrueux lui aussi dans les contre-la-montre du Tour, ne peut s'expliquer que par le recours à un "truc" dont ne bénéficient (à première vue) ni le Slovène ni le Belge. Quoi? Je ne sais pas, mais quelque chose qui n'aurait rien de mécanique ou de technologique (sinon Van Aert en serait pourvu, même si un dopage mécanique expliquerait que Vingegaard puisse déclarer en toute bonne foi qu'il ne prend rien qu'il ne donnerait pas à sa fille), et n'aurait rien à voir non plus avec une quelconque stratégie — être à l'attaque dès le premier virage, faire la descente à fond, ne pas changer de vélo pour gravir la côte, etc. —, qui de toute façon ne sert qu'à grappiller des secondes. Car c'est un fait, la seule chose dont tout le monde était convaincu avant l'étape, coureurs comme suiveurs, c'est qu'entre Vingegaard et Pogačar, au soir du contre-la-montre, l'écart serait toujours aussi faible, peu importe l'ordre, la course devant se jouer sur des détails, expliquant que chez Jumbo on se soit justement astreint à les peaufiner ces détails... Mais une minute trente-huit secondes, non, c'était impensable. D'où la surprise, aussi bien pour Pogačar (qui se voyait bien en jaune à l'issue de l'étape) que pour Vingegaard (qui n'en croyait pas ses yeux en regardant pendant la course son compteur de puissance). Alors? Si on élargit la question aux étapes précédentes et plus précisément au numéro offert par les deux champions aux sommets des grands cols (à faire pâlir de jalousie Bjarne Riis, "monsieur 60%" en référence à son taux d'hématocrite, dont le sang "EPOïsé" était à l'époque aussi épais qu'un concentré de tomates), numéro qui les a vu frôler les 600 watts de puissance (comme Froome en son temps), aux dires d'Antoine Vayer, le grand pourfendeur de tous ces champions qui selon lui faussent les courses parce que leurs performances de "mutants" impliquent nécessairement l'usage de produits dopants, sauf qu'on n'en a pas la preuve (1), oui, eh bien, cette rivalité qui se traduisait jusque-là par un match nul, comment l'interpréter, maintenant que 1) Vingegaard a, lors du contre-la-montre, éparpillé façon puzzle toute concurrence et que 2) Pogačar, dès le lendemain, a sombré corps et âme sur les pentes de la Loze, sa chute dès le départ n'ayant pas arrangé les choses, mais sans que cela ait vraiment joué un rôle dans sa défaillance, laquelle finalement était assez prévisible (après la claque du chrono, pas sûr qu'il ait fermé l'œil de la nuit). De deux choses l'une: ou bien Vingegaard est plus "efficacement" dopé que Pogačar (un "truc" donc, propre à Jonas, qui s'ajouterait aux "recettes" de la Jumbo appliquées, elles, à toute l'équipe); ou bien Pogačar, lui, n'est pas si dopé que ça... un peu mais raisonnablement, si l'expression a un sens... qu'il est réellement un phénomène, plus qu'un extra-terrestre, comme on qualifie pour l'instant Vingegaard, faute de mieux, et qui, dans le Tour de France, pour lutter contre le Danois, doit aller au bout de ses limites, et de ses forces, qu'il coure comme un chien fou (2022) ou place ses attaques à l'approche de l'arrivée (2023), pour un gain à chaque fois dérisoire (une poignée de secondes), et au bout du compte voir ses forces le lâcher au moment crucial (la fameuse troisième semaine). Ce qui expliquerait l'espèce de mantra que n'arrêtaient pas de (se) répéter Vingegaard et son équipe depuis le début: "tout va bien, on est serein, la victoire ne se jouera pas à coups de secondes mais de minutes, dans les Alpes"... quand — là c'est moi qui ajoute — Pogačar aura brûlé toutes ses cartouches. Il n'en reste pas moins que ce qu'a réalisé Vingegaard dans le contre-la-montre n'a pas seulement écœuré Pogačar, il risque aussi d'avoir dégoûté pas mal d'amoureux du Tour (dont je suis), pour ce qui est non seulement de la fin de l'édition actuelle, mais surtout des suivantes, tant l'envie d'y croire, aux beaux exploits et à la dramaturgie qu'ils font naître, en a pris (à nouveau) un sacré coup.

(1) Que Vingegaard et Pogačar grimpent des cols plus vite que les "grands dopés" des années EPO, tels Rominger et Pantani, n'a rien de surprenant, cela s'inscrit dans la progression logique des performances sportives avec le temps... c'est le différentiel entre les deux coureurs lors du chrono qui interroge, le fait surtout que Vingegaard ait fait mieux, en termes de puissance, que ce qu'il atteint habituellement lors des tests d'entraînement (1% seulement de plus selon son staff, mais peut-être 5% si l'on en croit Vingegaard lui-même, quand il avoue avoir par moments atteint une puissance supérieure de 20 watts à ce qu'il pensait développer, au point d'ailleurs d'imaginer son compteur détraqué!). Et ce, aux 2/3 du Tour, après deux semaines de course menées tambour battant.

8 commentaires:

  1. Dans Asteroid City, le nom du personnage de Jason Schwartzman n’est pas Steinbeck, mais Steenbeck, marque de célèbres tables de montage. Je ne sais pas si on peut extrapoler, mais évidemment, ces tables sont aussi des machineries très wes-andersoniennes. Ça roule parfaitement jusqu’à ce qu’il manque une toute petite pièce. Et comme le film joue aussi sur la part manquante (aussi bien la pièce qui provoque la panne de la voiture que la mère disparue), peut-être que…. Voilà pour la sur-interprétation.

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  2. Oui j'avais bien vu que c'était pas Steinbeck malgré la pipe, la (fausse) barbe et le fait que le personnage est correspondant de guerre, mais Steenbeck, sauf que les tables de montage Steenbeck je ne connaissais pas... donc d'accord pour la surinterprétation

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  3. Vous êtes belge, Buster ?

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  4. Sympa le top films. Et côté esgourdes?

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  5. A quel moment on apprend que le Coyote a été écrasé ? (je me souviens pas de la scène)

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    1. Pas vraiment une scène, on l'apprend au détour d'une phrase, quand une des trois fillettes dit à papy Hanks en arrivant à Asteroid City qu'elle a vu sur la route un coyote écrasé

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    2. Ah d'accord. Merci.

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