lundi 12 juin 2023

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Glenn Gould joue Bach: la Partita n°6 en mi mineur (Toccata). Tout y est: la fusion avec le piano, l'artiste qui fredonne, la main qui dirige...

Ce qui traîne sur mon bureau:

Le coffret DVD édité par Potemkine des quatre longs métrages de Jacques Rozier (Adieu Philippine, Du côté d'Orouët, les Naufragés de l'île de la Tortue, Maine Océan + Rentrée des classes et Blue Jeans), un autre DVD, des "naufragés" là aussi... les Naufragés de la D17 de Luc Moullet. Des bouquins, celui sur Rozier publié par les Cahiers en 2001: Jacques Rozier — Le funambule, ainsi que deux autres livres: le Delphine Seyrig de Jean-Marc Lalanne (pas encore lu) et L'attrait des toilettes par Gabriel Bortzmeyer que, lui par contre, j'ai lu (mais pas aux toilettes comme nous y invite l'auteur à la fin, suite à son évocation du film de Cavalier, Lieux saints, sur les toilettes publiques): "Si les lieux sont saints, c'est parce qu'ils sont propices au recueillement: cabinets d'aisance pour une pensée soucieuse de s'accorder à la mesure du monde. Peut-être la raison pour laquelle cet espace est si souvent associé à un art d'être au monde en s'évadant, la lecture. Autant dire que le livre que vous tenez entre les mains souhaite être lu dans un tel sanctuaire, pour que vous regardiez d'un œil neuf ce sur quoi vous vous êtes distraitement assis." Des revues de cinéma et divers documents sur lesquels je passe... Et puis des CD: Cheyenne Autumn et Le Manteau de pluie de Murat [la version 10 titres pour le second, sans le morceau de bossa "Le mendiant de Rio", ce qui tombe rien car je ne l'ai jamais aimé, au contraire de son équivalent "Pars" sur le premier], Can Cladders des High Llamas et les Symphonies Nos. 3 & 5 de Sibelius par le Helsinki Philharmonic Orchestra, dirigé par Leif Segerstam.
 
Glenn Gould: Donc vous ne vous attendez pas à ce que votre souhait d'extinction de l'art se concrétise de votre vivant.
Glenn Gould: Non, je ne pourrais pas vivre sans la Cinquième de Sibelius. 

(Glenn Gould par Glenn Gould sur Glenn Gould, 1974)

[13-06-23]

Vu l’Amour de l’actrice Samuko, un Mizoguchi de 1947 tourné juste après Utamaro. Le film est assez déroutant, très lacunaire, au sens où de nombreuses séquences ne vont pas jusqu’au bout, qu’elles s’arrêtent brutalement, sans atteindre cette tension qui caractérise habituellement le cinéma de Mizoguchi et dont l’absence ici crée de véritables trous noirs, dans lesquels semblent aspirés l’homme et la femme. Il ne s’agit pas de coupes abruptes, pour aller à l’essentiel, mais de scènes inachevées, comme si Mizoguchi n’avait pas voulu montrer ce que les personnages — une actrice et son mentor devenu amant, vivant pleinement leur passion du théâtre — recherchaient eux-mêmes dans les scènes très réussies, elles, des répétitions. Comme si cette fois Mizoguchi était resté volontairement en deçà, se situant aux portes non pas d’une vérité inaccessible mais d’un secret jalousement gardé.
Si l’on retrouve le thème cher à Mizoguchi de la femme prisonnière des conventions, cherchant désespérément à s’en libérer, ici à travers le destin d’une actrice identifiée au départ à la Nora d’Ibsen puis à la fin à la Carmen de Mérimée (ou de Bizet), jusqu’à transformer son "assassinat" en suicide, quelque chose pourtant achoppe, instaurant un point de résistance, empêchant d'entrer tout à fait dans le film, formule au demeurant impropre en ce qui concerne le cinéma de Mizoguchi tant justement on n’y entre pas si facilement (du fait même de la complexité des points de vue) et qui néanmoins n’en finit pas de me questionner, de me relancer — pensée obsédante — comme si, confronté pour la première fois à un film de Mizoguchi qui ne soit entièrement convaincant (il fallait bien que ça arrive un jour), je ressentais de façon encore plus violente, par le manque ainsi créé, ce qui fait le génie de Mizoguchi.
Il y a surtout cet étonnant changement de perspective au moment de la mort de l’actrice, pendant la représentation de "Carmen". La scène est d’abord filmée de près, du point de vue de Don José, il me semble, lorsque Carmen danse devant lui. Mais le meurtre, lui, on ne le voit pas. On aperçoit juste l’actrice tomber au loin, le plan étant filmé cette fois du fond de la salle. Et c’est seulement après qu’on apprend qu’elle s’est suicidée. Où exactement? Quand exactement? On ne le sait pas. Le raccord est terrifiant. La rupture entre les deux plans est si marquée que la mort en est presque incertaine. Je ne crois pas que Mizoguchi veuille ici nous signifier quoi que ce soit sur le geste de Samuko, ou qu’il cherche à questionner les rapports entre spectacle et réalité. Pour cela, il n’était pas besoin de se placer aussi loin. A vrai dire, le sens m’échappe un peu. Ce qui est sûr, c’est que pour Mizoguchi l’art ne se confond pas avec la vie. Non pas qu’il lui soit nécessairement supérieur mais parce qu’il en est au contraire le prolongement, son exagération, dans un moment de pure fascination où la mort, pour le coup, n’est jamais très loin. Alors oui, vu comme ça, on se dit que Mizoguchi a forcément raison, qu’il n’y avait pas deux manières de filmer la scène. Enfin si, il y en avait bien deux: la sienne, impossible, au sens où on ne s’y attend pas (chez Mizoguchi, cela vous tombe littéralement dessus), et celle des autres, de tous les autres. 

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