jeudi 15 juin 2023

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L'Arbre aux papillons d'or de Thien An Pham (2023).

Notes.

Une coquille de cocon jaune.

On pourrait dire qu'intérieurement
l'homme est un assemblage de coquilles.
Gaston Bachelard

Si le titre français, l'Arbre aux papillons d'or, fait écho à une image du film (vue à deux reprises), le titre international, qui est aussi la traduction du titre original, Inside the Yellow Cocoon Shell, évoque un mouvement, celui-là même du film, à la fois de repli (l'intérieur) et de refuge (la coquille, le cocon). Etant entendu que les papillons d'or seraient ceux du mûrier et que la coquille de cocon jaune, elle, renverrait au ver à soie, inscrivant le film — une fois passé la première partie saigonienne et l'arrivée du titre sur l'écran — dans un climat de douceur (j'ai failli écrire "soyeux") qui dès lors accompagnera le personnage principal jusqu'à la fin... lequel personnage n'est autre que le cinéaste lui-même, du moins son double (il porte le même prénom et, comme Thien An Pham autrefois, réalise des films de mariage).
Avant, il y a donc cette première partie à Saigon, les bruits de la grande ville, l'accident mortel de la belle-sœur et ses conséquences (l'enfant, sorti indemne de l'accident, que le héros doit ramener à son père qui avait abandonné le foyer il y a plusieurs années)... impressionnant préambule qui, par ses plans-séquences, rappelle Tsai Ming-liang (jusqu'à la séquence de massage, conclue par une pratique sexuelle), alors que le reste du film: le voyage vers l'intérieur, genre "quête spirituelle" (sur le sens de la vie, la question de la foi...) en même temps que la recherche du frère, qui voit le héros retourner dans sa province natale, la province de Lam Dong, d'où est originaire T.A.P., avec ses montagnes et ses forêts, soit un retour aux sources pour les deux Thien... oui eh bien, toute cette seconde partie fait davantage penser à Weerasethakul, par sa dimension para-fantastique, l'état de demi-sommeil: "stay awake", enjoignait le précédent film — un court-métrage — de Thien An Pham, injonction à répéter ici avec d'autant plus de force que le film s'enfonce par moments dans de longs tunnels, plus léthargiques que véritablement hypnotiques, heureusement traversé de fulgurances, telles ces vues du Viêt Nam intérieur, d'une beauté à couper le souffle, ou encore, ce qui constitue le bestiaire du film, ces incroyables scènes d'animaux (les buffles qui barrent la route, les coqs chantant au petit matin — en fait un faux coq doré servant de leurre pour attirer un vrai — peut-être le sommet esthétique du film), surgissant sans crier gare... un voyage que le cinéaste, pour donner plus de consistance à son film, le sortir de son côté purement contemplatif, entrecoupe de scènes "journalistiques" (le témoignage d'un vieil homme sur la guerre du Viêt Nam, mais vue du côté Viêt-cong, ce qui nous change; le discours "radoté" d'une vieille femme à propos de l'âme — elle dit la même chose à tout le monde), autant d'éléments qui participent de ce mouvement évoqué plus haut, passant ainsi du dehors (Saigon et la réalité de la vie moderne) au dedans (la campagne vietnamienne, les rêves, les traditions, le passé qu'on revit par bribes: l'ancienne fiancée qui avait fini par entrer dans les ordres, épisode qui, dans un pays où l'on pratique surtout le culte des ancêtres, donne au récit une coloration surprenante, mais Thien An Pham est lui-même issu d'une famille catholique)... le dedans pour s'y loger (le cocon), mais pas s'y enfermer (un cocon c'est appelé à s'ouvrir) — "l'homme est l'être entr'ouvert", a écrit Bachelard —, simplement y demeurer le temps d'une "retraite", comme ici lorsque, à la fin, allongé dans le lit de la rivière, comme dans une baignoire, mieux: une grande conque, Thien peut enfin "méditer" sur sa vie, et le sens à lui donner.
A l'arrivée, un beau film, aux accents également "bélatarkovskiens", autant dire qu'il vise haut, c'est le reproche qu'on pourrait faire à Thien An Pham, de viser trop haut, de vouloir y mettre trop de choses, sous couvert d'autobiographie, ce qui est un peu le défaut des premiers films (les premiers longs trop longs), empêchant le spectateur d'accompagner le cinéaste dans son voyage, se contentant de le suivre à distance, du regard. Il y a trente-quatre ans, en 1989, l'année où est né Thien An Pham, était présenté à Cannes un film coréen, Pourquoi Bodhi-Darma est-il parti vers l'Orient? d'un certain Bae Yong-kyun, un premier long également, de trois heures lui aussi, et tourné, là encore, avec une équipe peu expérimentée, apprenant sur le tas... un film qui ne racontait pas exactement la même chose, ou alors dans un registre encore plus mystique, plus ancré dans la tradition, en l'occurrence le bouddhisme, mais qui souffrait d'un problème équivalent, celui qui touche à la poésie des œuvres, art plutôt ingrat concernant le cinéma, surtout quand il s'agit de films aussi longs. Bodhi-Darma n'avait pas remporté la Caméra d'or, le film est resté confidentiel et pour le coup unique dans la carrière du réalisateur (qui réalisa par la suite un second film que personne ne vit). Souhaitons que Thien An Pham ne connaisse pas le même sort, et que son film, prometteur bien qu'imparfait, qui bénéficie du battage médiatique que représente Cannes (+ l'attribution de la Caméra d'or), soit suivi d'un autre, qu'on espère aussi soyeux (ça y est, je l'ai écrit), tout en étant, comment dire... moins "insistant", dans son propos, comme dans son geste poétique. Car le talent, il l'a.

[21-06-23]

Un crowdfunding pour le prochain film d'Ado Arrieta: El misterio del anorak rojo.

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