L'Amour l'après-midi d'Eric Rohmer (1972).
Le dernier des contes moraux.
Dans le n°653 des Cahiers du cinéma (février 2010), Claude Chabrol rappelait à quel point Eric Rohmer avait été — durant toute une époque: les années 50-60 — proche de l'écrivain Paul Gégauff (scénariste et acteur de son premier film, Journal d'un scélérat, un court métrage aujourd'hui perdu, c'est de lui aussi dont s'inspire le personnage du Signe du Lion, premier long de Rohmer dont il avait co-écrit les dialogues — né un 10 août, il était du signe du Lion). Gégauff, le dandy qui, selon l'expression de Chabrol, "déboutonnait" Rohmer, du genre, lui, plutôt "coincé". Jusqu'au jour où, "à la fin des années 60, Rohmer appelle Gégauff: "Il faut que je te voie, c'est important". Ils déjeunent, et là, solennel, Rohmer lui annonce: "Ecoute, je vais te dire quelque chose. Je cesse de subir ton influence". Formidable, non? Gégauff a dû répondre comme à son habitude: "Ça s'arrose!"
L'influence de Gégauff sur Rohmer (et la volonté de ce dernier de s'y soustraire à un moment précis de sa vie) n'est pas anodine. On a trop tendance à analyser l'œuvre de Rohmer à l'aune de ses écrits théoriques et critiques, délaissant la part intime qui pourtant nourrit toute œuvre. Il ne faut pas chercher ailleurs l'abandon après les Contes moraux du personnage masculin — le séducteur gégauvien — comme personnage principal, tel celui qu'interprète Jean-Claude Brialy dans le Genou de Claire. Non pas qu'il disparaisse complètement par la suite (cf. Féodor Atkine dans Pauline à la plage), mais qu'il ne persiste plus que comme personnage excentré, et de plus en plus, à mesure que l'œuvre avance, jusqu'à son ultime avatar, sous les traits du libertin Hylas, dans les Amours d'Astrée.
Ce tournant, Rohmer l'a même "mis en scène" dans l'Amour l'après-midi, le dernier des Contes moraux, à travers la fameuse séquence dans laquelle le narrateur s'imagine "possesseur d'un petit appareil qu'on suspend à son cou et qui émet un fluide magnétique capable d'annihiler toute volonté étrangère", en l'occurrence celle des femmes qu'il rêve ainsi de posséder. Et la séquence de nous montrer comment, en parfait disciple gégauvien, il séduit en un tour de main Fabienne Fabian, Marie-Christine Barrault, Haydée Politoff, Aurore Cornu, Laurence de Monaghan, soit les principaux personnages féminins des précédents "contes moraux"... sauf la dernière, Béatrice Romand qui, elle, en ne lui cédant pas, vient signifier de manière explicite que le fluide, autrement dit l'influence de Gégauff, a cessé d'agir.
A venir:
Rohmer "mathématissien": séries, thèmes et variations.
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