L'Amour l'après-midi d'Eric Rohmer (1972).
"Ce qui donne tant de prix, à mes yeux, au décor de la rue parisienne, c'est la présence constante et fugitive de ces femmes croisées à chaque instant, et que j'ai la quasi-certitude de ne jamais plus revoir. Il suffit qu'elles soient là, indifférentes et conscientes de leur charme, heureuses de vérifier son efficacité auprès de moi, comme je vérifie le mien auprès d'elles, par un accord tacite, sans besoin d'un sourire ou d'un regard, même à peine appuyé. Je ressens profondément leur attirance, sans être attiré pour autant, et cela ne m'éloigne pas d'Hélène, bien au contraire.
Je me dis que ces beautés qui passent sont le prolongement nécessaire de la beauté de ma femme. Elles l'enrichissent de leur propre beauté, tout en recevant un peu de la sienne en retour. Sa beauté est le garant de la beauté du monde, et vice versa: en étreignant Hélène, j'étreins toutes les femmes.
Mais, d'autre part, je sens que ma vie passe et que d'autres vies se déroulent parallèlement à la mienne, et je suis comme frustré d'être resté étranger à ces vies, de n'avoir pas retenu chacune de ces femmes, ne serait-ce qu'un instant, dans leur marche précipitée vers je ne sais quel travail, vers je ne sais quel plaisir.
Et je rêve: je rêve que je les possède toutes, effectivement..." (Eric Rohmer, Six Contes moraux, "VI. L'Amour l'après-midi", L'Herne, 1974)
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