Tralala de Jean-Marie et Arnaud Larrieu (2021).
Un film un vrai.
Tralala fait un bien fou. Pendant que la majorité des films français/francophones s'encroûtent, plombés par des scénarios surécrits, horriblement discursifs, là pour faire d'un roman de Balzac un film "contemporain" (1), là pour nous faire comprendre les affres de la bipolarité (2) ou encore le pouvoir insidieux du négationnisme (3)... Tralala, lui, nous la joue tranquille, encombré de babioles en tous genres et pourtant incroyablement léger, vagabondant au gré de l'inspiration, en toute liberté (eh oui, "l'électron libre"), sans nous asséner de message, si ce n'est "ne soyez pas vous-même", message katerinesque, réduit à son seul slogan, qui tient entier sur un bout de papier, mieux: un rond à bière (qui plus est "formidable"), et s'applique autant au personnage principal (Amalric en clochard à la fois céleste, kerouaquien, et lunaire, bouduesque) qu'au film, appelé lui aussi à ne pas être lui-même... certes une comédie musicale, avec Demy à l'horizon, mais à l'horizon si lointain (Lourdes, la ville des miracles mais surtout des Larrieu, n'ouvre pas vers le large) qu'il n'en reste plus grand-chose (un "embarcadère", des références à Trois Places pour le 26, le Paradis, un vague soupçon d'inceste...), de sorte que Tralala est moins un hommage au genre musical qu'un retour aux sources pour Arnaud et Jean-Marie Larrieu... pas seulement leurs chères Pyrénées, qu'ils n'ont jamais vraiment quittées, mais leur ville natale, celle de leur adolescence qui mêle amours et musique, famille et cinéma...
Et puisque le film ne doit pas être ce qu'il est (une comédie musicale avec ses numéros chantés parfaitement intégrés à l'ensemble), voyons-le plutôt comme une simple comédie avec des passages en chansons surgissant à l'improviste, parfois courts, parfois longs, parfois isolés composant toute la scène, parfois regroupés et formant une séquence, autant dire avec la même liberté que dans le reste du film. Reste que parler de liberté à propos de Tralala, c'est un peu enfoncer des portes ouvertes tant le cinéma des Larrieu en est imprégné, de liberté, et ce depuis le début, qu'il s'agisse de la narration, empruntant à l'envi des chemins de traverse, ou de la mise en scène, toujours décidée au dernier moment en fonction de facteurs difficiles à prévoir. Si la liberté n'a peut-être jamais été poussée aussi loin qu'ici, conférant à Tralala une dimension volontiers anar, il y a autre chose dans le dernier film des Larrieu qui tient au sens même du mot "tralala": le refrain réduit à trois petites notes à la place des vraies paroles (Tralala est-il vraiment Pat, le fils prodigue parti de la maison il y a vingt ans? — l'imposture, un thème récurrent chez les Larrieu). Cette question de la place, et plus précisément de la "bonne place", traverse tout le film. Pour Tralala, c'est la place à occuper en tant que fils, en tant que grand frère, en tant que père (quand bien même tous ces rôles seraient faux), mais aussi en tant qu'amant (double), une place qu'on aura vite fait d'estimer usurpée, sauf que non, puisque les autres, séduits, y croient ou finissent par y croire (on est à Lourdes), et que donc Pat est "Pat" (Pat épate), même s'il a perdu son grain de beauté sur la fesse gauche, fausse tautologie plus vraie en tous les cas que "Virginie est une apparition de la Vierge", mais surtout parce que la place qu'on lui réserve est de celles qui embrigadent et qu'elle ne peut donc que le faire fuir à nouveau.
L'essentiel est ailleurs. Peu importe finalement de savoir qui est Tralala, l'important est qu'il soit passé à Lourdes et que, par son passage, il a certes ré-enchanté tout un petit monde mais plus encore, et de façon plus durable, redonné vie à son "frère" (comme on dirait son prochain), en la personne de Seb (le bashunguien Bertrand Belin). Et que la (bonne) parole: "ne soyez pas vous-même", que la "fille en bleu" lui avait transmis, il la transmet à son tour. Tralala joue le rôle de passeur, de la même manière que Tralala serait une sorte de cheminement, mais à rebours, se nourrissant des différents films tournés jusque-là par les frères Larrieu, pour revenir, comme le vrai-faux Pat, une vingtaine d'années en arrière, soit l'époque du court Madonna à Lourdes (je le cite pour la référence topographique car je ne l'ai jamais vu), du premier des cinq Amalric-films réalisés par les Larrieu, la Brèche de Roland, et surtout du premier combo Amalric-Katerine (Amalric en tant qu'acteur, Katerine en tant que musicien), Un homme un vrai, auquel Tralala fait écho non seulement parce qu'on y retrouve Amalric et Katerine, les deux figures les plus emblématiques du système larrieusien, mais aussi parce que dans Un homme un vrai était déjà présent, encore inassouvi, le désir de comédie musicale et que s'y trouvait posée la question de la place. Dans Tralala, c'est Katerine qui au départ devait jouer le rôle de Tralala, ce qui explique qu'il est l'auteur de toutes les chansons réservées au personnage. Amalric ayant finalement hérité du rôle, cela crée une forme d'illusion, l'aspect composite de Tralala le devant pour beaucoup au fait qu'Amalric réendosse ce qui appartient à Katerine (le banjolélé est un ustensile typiquement katerinien). Le tralala de Tralala, c'est ça aussi: des "trucs" empruntés à Katerine et qu'Amalric se réapproprie, jusqu'à la grande scène de la boîte de nuit, où il reprend la chanson Sexy cool, mais modifiée: "je suis moi quand je suis toi"... auquel répond l'autre, quel qu'il soit: "je suis moi quand t'es toi" (c'est là). Arnaud et Jean-Marie, Amalric et Katerine, Pat et Seb, l'un e(s)t l'autre... bref "ne soyez pas vous-même", d'aucuns auraient fait de cette maxime une profonde et pénible mise en abyme, les Larrieu se contentent de la décliner en surface, en chansons, révélant, via Tralala, ce qu'il en est du tralala d'un personnage, ce petit truc qui lui sert de (faux) semblant et sans lequel il se sentirait démuni. Tralala: un film, un vrai.
(1) Dans Illusions perdues, Xavier Giannoli a de plus écarté ce qui, dans le roman de Balzac, constituait le contrechamp, la part noble incarnée par Séchard, l'ami d'Angoulême, et les gens du Cénacle (même si dans le film, le personnage de Nathan, qui s'appelle d'Anastazio, s'inspire aussi de d'Arthez, dudit Cénacle, la "bonne conscience" de Lucien), ce qui, faute d'une dialectique suffisamment présente, rend le film assez déplaisant, au-delà même du parallèle trop forcé, concernant le monde de l'édition et des critiques, entre l'époque de la Restauration et celle d'aujourd'hui (le film par instants, ce n'est plus les "illusions perdues" mais les "allusions perfides").
Il y a aussi l'Eugénie Grandet de Marc Dugain, film sans sève, un comble quand on adapte Balzac.
(2) Les Intranquilles de Joachim Lafosse, c'est quoi? Un manuel de psychiatrie, consciencieusement mis en scène, le DSM 5 avec toutes les cases parfaitement cochées pour porter le diagnostic de psychose maniaco-dépressive: la première partie bien maniaque, donc fatigante à la longue, qui fait qu'on attend la phase dépressive pour souffler un peu, sauf que, une fois celle-ci arrivée — c'est la deuxième partie du film —, on s'y ennuie tellement qu'on regrette la première, et qu'à la fin une question demeure, restée sans réponse: et Garouste là-dedans?
(3) L'Homme de la cave de Philippe Le Guay est une allégorie tout ce qu'il y a de plus évidente, mais les spectateurs ayant comme on le sait la comprenette difficile, on va leur expliquer, pas à pas, de façon presque scolaire, pourquoi c'est dangereux le négationnisme, surtout quand il s'avance masqué, et pour cela à travers la crise que déclenche, dans une famille mi-juive mi-catho puis dans l'immeuble tout entier (microcosme social), la présence d'un petit Faurisson du Net ayant élu domicile dans la cave que ladite famille lui a vendue sans savoir qui il était. Les stéréotypes se bousculent, chaque personnage en est un par rapport à l'homme-rat, tout ça est très édifiant, jusqu'au finale et sa symbolique XXL.
Vous avez vu The French Dispatch ? Il paraît que c'est affreux.
RépondreSupprimerNon pas vu. Ce que je vois surtout c'est que Tralala, tout le monde s'en fout. En même temps c'est pour ça que j'y consacre un article...
Supprimerhttps://www.legorafi.fr/2020/02/13/le-realisateur-wes-anderson-place-en-garde-a-vue-suite-a-des-plans-de-son-prochain-film-juges-pas-assez-symetriques/
SupprimerPas du tout d'accord avec votre vision du film de Giannoli qui d'ailleurs est très proche de ce qu'écrit Uzal dans les Cahiers du cinéma, à croire que vous faites partie du même... cénacle !
RépondreSupprimerHa ha... bah non le cénacle c'est fini... mais pas surpris par ce que vous dites, les liens ont beau être rompus, les goûts, eux, demeurent, et sur pas mal de films ils étaient plutôt communs
SupprimerVous parlez du cénacle des Cahiers ou d'un autre cénacle ?
Supprimerd'un autre... c'était le bon temps, mais je ne veux pas en parler
SupprimerMon tralala : https://www.youtube.com/watch?v=JTEymrXG-f4
RépondreSupprimerQuand tu fais (tr)la, la, la, pense aux conséquences :
RépondreSupprimerhttps://youtu.be/BgbtJtttQuY
:-D
Supprimer(j'espère que les frères Tralalarieu ne lisent pas mon blog, ils seraient consternés)
Bah non pourquoi ? Je pense que ça leur plairait ces exégèses et ces parallèles.
RépondreSupprimerAprès, le film m'a bien plu, mais je trouve qu'Amalric / Katerine, c'est un peu ton sur ton, quand même... J'adore les deux, mais il y a une forme d'"imitation" réciproque qui fait qu'on a un peu de mal à y croire, surtout dans la mise en place.
Balasko / Dominique A, le contraste est plus audacieux ! Et cela donne quelque chose de plus inattendu : la splendeur dans une lumière matinale de chambre d'hôtel...
Belin est super ! Il mérite un film en tête d'affiche !
Oui il est très bien Belin, qui fait son Clint Eastwood... mais il danse comme un manchot (à moins que ce soit exprès)
Supprimer