Dune de Denis Villeneuve (2021).
La peur tue l'esprit.
Je me souviens (2)
Je me souviens du premier Dune, celui de Lynch, de son côté hétéroclite, pour ne pas dire kitsch, qui par moments flirtait avec le pur nanar mais surtout dégageait une étrange poésie. Pour ce qui est du nanar, on citera les scènes d'action (celles notamment avec les Fremen, le peuple aux yeux bleus sur fond bleu d'Arrakis) et les brèves scènes d'amour ou de baiser (le Duc Leto avec Dame Jessica, Paul avec Chani), dans le style des telenovelas, soit l'aspect mexicana du film. Pour ce qui est de la poésie, nous citerons (pressé) les machines, qui donnent au film son look "industriel", l'archaïsme de certains trucages, le décorum de la maison de l'Empereur et, plus encore, le cadre de vie des Atréides, rappelant l'univers très "Jules Verne" d'un Karel Zeman (ah, l'intérieur du vaisseau capitonné de cuir!). Etant entendu aussi que beaucoup de la poésie s'était évanouie en même temps que les nombreuses scènes supprimées au montage — je pense, entre autres, à celle où le maître d'armes Gurney Halleck qui est aussi troubadour (Patrick Stewart, le futur capitaine Picard de Star Trek) joue du baliset. Mais ce dont je me souviens le plus (outre la musique de Toto, du moins le thème principal), ce sont évidemment: 1) les vers des sables, franchement terrifiants quand ils ouvraient la gueule, semblables à des plantes carnivores; 2) le monde des Harkonnen, en particulier leur chef, le Baron, probablement le personnage le plus répugnant que j'ai jamais vu au cinéma, avec toutes ces pustules sur la fiole que son médecin aspirait avec amour. Oui, c'est ça: du Dune de Lynch, il me reste avant tout l'image des vers géants dans le désert et celle de l'écœurant Baron, flottant dans les airs à l'aide de suspenseurs (il avait un petit côté Münchhausen, ou plutôt Crac, pour rester avec Zeman). Vers, pustules... on ajoutera le Navigateur de la Guilde, comparable à une grosse larve immonde, et les "mentats" avec leurs sourcils hirsutes et leur menton rougi par l'élixir de Sapho, comme s'ils s'étaient goinfrés de ketchup... (me revient également l'épais glaviot du Baron s'écrasant sur la joue de Jessica!). Tout ça c'était du Lynch pur jus (l'aspect "sale sci-fi" du film), dans la lignée "tératologique" de ses films précédents (le bébé d'Eraserhead, les difformités d'Elephant Man). A l'arrivée, un film inégal, en partie gâché par la voix off (surtout là pour renseigner le spectateur et compléter le scénario — le roman, mixte philosophico-mystique inspiré de la tragédie grecque et nourri d'idéologie féodale, est touffu, limite indigeste) et les nombreuses lacunes du récit (la plus manifeste concernant le personnage du Dr Kynes, le planétologiste d'Arrakis, interprété par Max von Sydow). Et pourtant, ce Dune-là, par son indéniable beauté — beauté vénéneuse — m'avait profondément marqué.
Le ver de trop?
Qu'en est-il du nouveau Dune (1), dont on s'attend à ce qu'il soit décrié, autant par les fans d'Herbert que par les lynchophiles. D'abord, parce qu'en cherchant à rendre l'histoire plus compréhensible, Villeneuve dénature l'esprit de la saga, fondé justement sur la complexité des personnages et des intrigues, aussi complexes que les effets de l'Epice, ce "mélange" mystérieux qui permet d'accéder à la prescience ou encore de plier l'espace pour voyager entre les planètes — ce qu'on appelle un "trou de... ver"! (2). Et puis un Dune "décanté", capable de séduire le plus grand nombre et ainsi favoriser des suites (3), on l'a déjà connu avec Star Wars, qui est largement pompé sur le roman d'Herbert, à la limite du plagiat, la principale différence résidant dans le fait qu'on y trouve encore des robots (plus exactement des droïdes) là où chez Herbert les "machines pensantes" n'existent plus depuis longtemps (rançon du "jihad butlérien" mené par les humains, bien avant que ne commence le roman, pour mettre fin à leur suprématie); ensuite, parce qu'en cherchant à se démarquer du Lynch, Villeneuve édulcore la part déviante du roman, que représente notamment la pédérastie du baron Harkonnen. Pas de ça dans un blockbuster hollywoodien... de la même façon que les méchants Harkonnen perdent leurs cheveux "poil de carotte" (en fait, une invention de Lynch — dans le roman, c'est l'Empereur qui a les cheveux roux). Il y a dans le Dune de Villeneuve une volonté évidente de politiquement correct. Si les références à la pédophilie (et sa dimension sadique, sinon sadienne) ont disparu, à l'instar du personnage de Feyd-Rautha que jouait Sting — la civilisation des Harkonnen est apparentée à la Rome décadente —, on peut voir aussi l'abandon de leurs cheveux roux comme une sorte de polissage bienpensant (ils n'ont plus de cheveux, ce qui règle le problème), pour ne pas être accusé, bêtement mais accusé quand même, de racisme antiroux (je rigole mais pas tant que ça). Et pour faire bonne figure, le Dr Kynes, grand mâle blanc chez Lynch, devient ici une femme noire (4).
Mais réduire le nouveau Dune à cet aspect des choses serait faire fi de ce que le film a de réussi par ailleurs. A défaut d'apporter un regard neuf sur le roman, Villeneuve fait preuve d'un réel talent d'imageur (ne cherchez pas, c'est du québécois). Son approche du désert est vraiment très belle, différente des clichés habituels, à la Lawrence d'Arabie... Le désert y est un personnage à part entière avec son image granuleuse ocre, gris et blanc cassé (pourtant c'est du numérique), une dimension concrète renforcée par la violence du vent qui, par moments, en soulevant le sable, transforme les plans en étonnants monochromes. Cette tendance à l'homogénéisation, au niveau chromatique, on la retrouve dans les thèmes que Villeneuve traite à parts égales, qu'il s'agisse d'écologie (l'eau sacralisée), de guerre (sainte) pour la liberté ou encore de transhumanisme, d'où ce côté polissé, sans vagues (sauf celles de sable), qui ne verse pas dans la grandiloquence — même Hans Zimmer nous offre une BO moins assourdissante qu'à l'accoutumée, par contre le Dolby immersif, quelle torture! pire que l'aiguille et la boîte du Gom Jabbar! —, comme si Villeneuve, quels que soient les moyens (colossaux) dont il disposait, s'était mis au diapason de l'Univers qu'il nous décrit, un Univers soumis à des luttes intestines, mais, extérieurement, formant un tout relativement homogène (c'est parce que les Atréides ont acquis une trop grande popularité au sein du Landsraad que l'Empereur, par le biais des Harkonnen, veut s'en débarrasser), homogénéité du fait aussi de l'absence de technologies de pointe (pas d'intelligence artificielle depuis des siècles) qui tend à placer les quatre planètes sur un même plan, régulées par la Guilde. Parce qu'un blockbuster, finalement, c'est ça: aligner les planètes pour que le succès soit au rendes-vous, que le film attire le plus grand nombre. Le Dune de Villeneuve, c'est surtout ça.
(1) Entre-temps est sortie à la télévision une version longue du film de Lynch, version que je ne connais pas. Cela dit, on peut découvrir sur Internet une dizaine des scènes initialement coupées et finalement réintégrées, sans que cette version corresponde à la version définitive, Lynch, sans droit de regard sur le final cut, l'ayant reniée. Est sortie également une mini-série (Frank Hebert's Dune) réalisée par John Harrison, suivie d'une autre (Children of Dune), des versions du roman que je ne connais pas davantage.
(2) La complexité n'est pas un écueil en soi, la question étant de savoir comment la mettre en scène et en faire un atout qui soit euphorisant pour le spectateur. Se rappeler que le meilleur film de SF de ces dix dernières années, c'est quand même Interstellar de Christopher Nolan.
(3) Une suite (la partie 2 du film) est prévue, sous réserve que la première partie ait été un succès, argument bassement marketing (il ne fait aucun doute qu'il y aura une seconde partie quelle que soit la réussite du premier), et c'est aussi une des limites du film. Si le Lynch était mal "fagoté" avec tout ce blabla pour faire tenir l'histoire debout, le Villeneuve souffre à l'inverse d'une sorte de frein narratif pour ne pas empiéter sur ce que sera la deuxième partie (cf. le personnage de Chani joué par Zendaya qui n'apparaît là que comme accroche publicitaire).
(4) Reste que Villeneuve ne pousse pas trop loin la question de la diversité qui aurait consisté, comme dans les comics de super-héros (Thor devenu femme, Captain America devenu noir) à faire de Paul Atréides un héros non-blanc. S'il ne le fait pas, c'est tout simplement que Paul n'est pas que le messie attendu par tout un peuple, les Fremen, dont il devient le chef de guerre, c'est aussi (peut-être) l'Elu pour le Bene Gesserit, cet Ordre exclusivement féminin qui depuis plusieurs siècles cherche par sélection génétique à créer un surhomme. A ce titre, Paul est appelé à incarner l'impérialisme dans toute sa splendeur, autrement dit ce qu'il a de plus conquérant, et ne peut donc que rester "blanc". En revanche, il est logique que Chani, la fille du Dr Kynes, en tant que représentante d'une minorité (les Fremen), et sans préjuger de ce que sera son destin (quid de la seconde partie?), ne soit pas blanche, au regard de ce qu'est la société aujourd'hui, justifiant pour le coup, et après coup, que le Dr Kynes ne le soit pas non plus.
l'aspect "sale sci-fi" du Lynch.. trop fort Buster :D
RépondreSupprimerVous avez vu Buster ? Delorme a pris possession du corps de Marcos Uzal !
RépondreSupprimerhttps://www.cahiersducinema.com/produit/editorial-n-780-octobre-2021-bac-nord-la-verite-si-tu-mens/
Hé hé... sacré Delorme
SupprimerEst-ce que Marcos Uzal aurait été aussi virulent si le film avait été "(co)produit ou distribué par une société dans laquelle l'un des actionnaires des Cahiers du Cinéma a une participation" ?
SupprimerFinalement sur Dune vous êtes plus proche de Positif que des Cahiers
RépondreSupprimerAh bon? j'en sais rien... je n'ai pas lu les critiques
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