Li per li de Pierre Léon (1994).
Le club des cinq.
Li per li (sous-titré "féerie critique") est signé Pierre Léon. C’est un film absolument magnifique (un de ses premiers), tourné en noir et blanc, avec trois francs six sous, expliquant l'instabilité du cadre (1), mais sans que cela le pénalise tant l’essentiel est ailleurs. Où exactement? Disons dans cet art de la captation (le premier plan montre un personnage enregistrant les bruits de la nature) qui fait de l’instant présent (li per li = sur le moment/sur le champ) le cœur révélateur du film. Le temps ici est celui de l'oisiveté (dolce farniente) et du passe-temps (déchiffrer une chanson russe, construire des miroirs avec des bouts d’assiettes, lire des recettes de cuisine, danser sous la lune, etc.), alors que les personnages ne se sont pas vus depuis quinze ans et que, apprend-on, ils doivent bientôt disparaître: "Cinq extra-terrestres pas comme les autres profitent de leurs derniers moments sur la planète Terre. Un seul restera pour garder les secrets"; ainsi Pierre Léon résume-t-il son film, un film qu'on pourrait qualifier de science-fiction, mieux, de séance-fiction: une fiction durant laquelle des hommes s'occupent. Autant dire que ce temps est autant celui des acteurs, amis de longue date (outre Pierre Léon et son frère Vladimir, on retrouve là Mathieu Riboulet, Renaud Legrand et Serge Renko, le futur "triple agent" de Rohmer), vivant ensemble le tournage d’un film, que celui des personnages dont on ne saura jamais exactement ce qu’ils ont fait pendant ces quinze ans, sinon accomplir une étrange mission ("la guerre des cinq sens"), celle de la vie j’imagine, de leur jeunesse dont ils conservent, plus que le souvenir, la trace sous la forme d'un petit pansement au cou — le baiser du vampire? — qu’ils ne quitteront qu’à la fin, quand le personnage muet joué par Pierre Léon viendra les chercher.
Rythmé par le célèbre sonnet de Louise Labé ("je vis, je meurs, je me brûle et me noie; j’ai chaud extrême en endurant froidure..."), qui exalte les tourments de l’amour et qui sert ici de mot de passe à l’arrivée — à pied, en vélo ou en Mercedes — de trois des personnages dans une grande maison de campagne, une sorte de datcha située à l’écart du monde, où les attend un quatrième, apparemment le chef, alors que le cinquième (Pierre Léon) attend lui son heure, on l'a dit, en se consacrant à des taches domestiques (peler des pommes, passer la serpillière...), le film est empreint d’une douce mélancolie, à l’image des séquences chantées (par Renaud Legrand, les yeux fermés, Vladimir Léon, regard caméra, et Pierre Léon, en voix off, à la fin du film) et surtout de ce plan merveilleux où des roses apparaissent furtivement en couleurs, comme si elles avaient été peintes au pochoir. Reste ce qui est peut-être la scène la plus significative du film, quand Mathieu Riboulet apprend à Serge Renko à "lire" un poème, en l’occurrence celui de Louise Labé, et, par la tonalité et le rythme que ce dernier finit par trouver, à transformer un simple "mot de passe" (c’est-à-dire une suite de mots sans véritable sens) en pure coulée d’émotion. N'est-ce pas ainsi qu'il faut "lire" les films de Pierre Léon?
(1) Découvert initialement sur Dailymotion, le film a depuis été restauré par son auteur. On peut le voir là sur Vimeo.
J'ai tenu 15 minutes... Votre texte, c'est une blague j'espère ?
RépondreSupprimerDites Buster, est-ce que parler de films très peu connus des années 90 n'est pas chez vous une façon de réagir contre la ligne actuelle des Cahiers ? Parce que faire un long entretien avec Tarantino pour accompagner la sortie de son livre après celui avec Léa Seydoux parce qu'elle jouait dans quatre films à Cannes, ça fait très "chic et convivial", non ?
RépondreSupprimerNon non... il faut arrêter de m'opposer systématiquement aux Cahiers comme si mon blog, ultra confidentiel, avait un poids quelconque. Après, c'est sûr, les grands entretiens je ne suis pas fan quand ils renvoient à une actualité. Je préfère quand ça sert à mettre en avant un auteur un peu oublié ou qui est dans la marge... D'une manière générale, tout ce qui est présenté comme "événement" et cette façon de vouloir le couvrir m'a toujours posé problème, ça tend à magazinifier la revue, à donner à ces entretiens un côté promotionnel.
SupprimerLes Cahiers font du bon boulot mais ils se dispersent trop, à vouloir tout traiter de l'actualité. Sur la notion d'événement j'avais déjà écrit quelques mots dans un précédent texte qui parlait des Cahiers des années 80-90: "événement", mot atroce qui sera officialisé en octobre 2000, lors du rachat des Cahiers par Le Monde, et dont on s'étonne qu'il perdure encore aujourd'hui, vingt ans après, tant il y a quelque chose d'antinomique entre la notion d'événement et le principe d'une revue (re-vue) de cinéma...
Et puis multiplier les rubriques qui permettent de remplir copieusement chaque numéro c'est au détriment du travail critique proprement dit, qui dès lors se réduit à la seule critique de films (avec d'ailleurs trop de films), ne laissant plus de place aux grands textes de fond (esthétiques, théoriques...) qui questionnent le cinéma, remettent en cause ses principes, le contestent, autrement dit le maintiennent en crise (définition même du mot "critique")
Bien parlé Buster !
SupprimerSeydoux, Tarantino, ça fait putassier ?
SupprimerPas de souci : un édito contre la récupération "nauséabonde" d'un film "nauséabond" et le tour est joué. Tant qu'il y a l'extrême-droite pour détourner les regards, tout est permis.
Que feraient les intellectuels de gauche si Le Pen et Zemmour n'étaient plus là ? Ils les ressusciteraient !
Tiens, vous avez supprimé des commentaires ?
RépondreSupprimerQuelques coms ont sauté, non ?
RépondreSupprimerOui j'aimais pas la tournure que ça prenait
SupprimerC'était par rapport aux Cahiers ?
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