mercredi 8 novembre 2023

France, 1971


La Maison des bois de Maurice Pialat (1971).

L'année 1971 dans le cinéma français, ce n'est pas rien. Alors qu'Eric Rohmer prépare — en même temps que sa thèse sur le "Faust" de Murnau — l'Amour l'après-midi, son sixième et dernier "Conte moral", qui lui permet — c'est une hypothèse — de se libérer à la fois de l'influence de Paul Gégauff (ainsi que se plaisait à le raconter Chabrol), via la séquence du rêve (cf. ) et de ce qui pouvait relever chez Rohmer d'un fantasme: le corps de Zouzou... Alors que Jean-Luc Godard, dépressif après le départ d'Anne Wiazemsky — c'est dorénavant... Jean-Pierre Gorin, avec qui il a formé le Groupe Dziga Vertov, qui occupe les lieux — est victime d'un terrible accident de moto qui retarde Tout va bien, son projet de film avec Yves Montand et Jane Fonda (des vedettes pour renflouer les caisses vides du Groupe), autant dire que tout ne va pas si bien... Alors que Philippe Garrel et Nico ont fini leur voyage aux quatre coins du monde, pour ce grand film-trip, estampillé Zanzibar, que doit être la Cicatrice intérieure... Alors que Jean-Marie Straub et Danièle Huillet découvrent Ah! Ernesto de Marguerite Duras, qu'ils adapteront dix ans plus tard — sous forme d'un court-métrage: En rachâchant —, et qu'en attendant ils font partie des très rares spectateurs qui ont vu chez lui le film "invisible" de Jean Eustache, Numéro zéro, dans lequel le cinéaste s'entretient avec sa grand-mère Odette Robert — une version courte sera diffusée à la télé en 1980... Alors que Paul Vecchiali attend toujours que l'Etrangleur, présenté à Cannes l'année précédente, sorte enfin sur les écrans (ce sera fait l'année suivante)... Et alors que les Cahiers du cinéma poursuivent leur lente dérive maoïste mais restent encore lisibles (si si) en ces années 1971-72 — c'est à partir de 1973 et jusqu'en 1975 qu'ils sombreront dans le grand délire idéologique, jusqu'à abandonner le cinéma!

Eh bien, pendant ce temps-là:

— François Truffaut, dépressif comme Godard, mais lui parce que c'est Catherine Deneuve qui l'a quitté, nous livrait les Deux Anglaises et le Continent, adaptation sublime du roman de Henri-Pierre Roché qu'il avait lu, relu et annoté (dans tous les sens) durant sa "cure de sommeil", une œuvre à vertu thérapeutique, dans laquelle Truffaut dira avoir voulu "presser l'amour comme un citron".
— Claude Chabrol, pas dépressif, lui, pour un sou, prolongeait avec Juste avant la nuit (d'après un roman que Mikio Naruse venait d'adapter sous le titre l'Etranger à l'intérieur d'une femme), un de ses meilleurs "Audran-films" — je jette un voile pudique sur son autre film de 1971, sorti en fin d'année.
— Jean-Daniel Pollet nous proposait le génial L'amour c'est gai, l'amour c'est triste avec le non moins génial Claude Melki.
— Robert Bresson, plus dostoïevskien que jamais, revenait à la Quinzaine — deux ans après Une femme douce — présenter Quatre Nuits d'un rêveur, œuvre de reflets, et à ce titre lumineuse, mais aussi vacillante, la rendant plus magique encore.
— Jacques Tati nous embarquait dans son Trafic, direction Amsterdam, et la jubilation était totale.
— Jacques Rivette tentait l'expérience ultime, en matière de cinéma, qui mêle fiction (Balzac) et documentaire (le "cinéma direct") avec son monstrueux Out 1: noli me tangere, plongée unique de 12h40 pour les deux à trois cents spectateurs venus découvrir le "monstre" les 9 et 10 octobre 1971 à la Maison de la culture du Havre — une version "fantomatique" de 4 heures, Out 1: spectre, sortira en 1974.
— Et Maurice Pialat nous offrait, cerise sur le gâteau, La Maison des bois, chef-d'œuvre impressionniste (et impérissable), vibrant de mille couleurs durant les sept épisodes qui, à partir du 11 septembre, et tous les dimanches soirs jusqu'au 24 octobre 1971 sur la deuxième chaîne de l'ORTF, vont illuminer l'automne des téléspectateurs français, au son des Trois beaux oiseaux du Paradis, la chanson "toute pleine de tendresse" (Jankélévitch), malgré "la guerre et son afflux de mauvaises nouvelles", que Ravel créa en 1917 et qui ouvre ici chaque épisode.

Donc, les 8 de 1971: (par ordre alphabétique)

L'amour c'est gai, l'amour c'est triste de Jean-Daniel Pollet
Les Deux Anglaises et le Continent de François Truffaut
Juste avant la nuit de Claude Chabrol
La Maison des bois de Maurice Pialat
Numéro zéro de Jean Eustache
Out 1: noli me tangere de Jacques Rivette
Quatre Nuits d'un rêveur de Robert Bresson
Trafic de Jacques Tati

PS. Pour faire 10, ajoutons l'Albatros de Jean-Pierre Mocky et les Amis de Gérard Blain.

2 commentaires:

  1. Les Amis est pour moi un des plus beaux films des années 70, délicat, secret.

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    1. Oui un très beau film que je me souviens avoir aimé mais qu'il faudrait que je revoie, car c'est trop ancien

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