dimanche 5 décembre 2021

Cry macho


Cry Macho de Clint Eastwood (2021).

Jeunesse de Milo.

Le dernier Eastwood est un film étrange, raté à bien des égards et en même temps d'une telle nonchalance qu'on se demande si tout ça n'est pas délibéré, si Eastwood n'a pas poussé le bouchon exprès dans la direction du film paresseux, se moquant (gentiment) autant de lui-même que de la critique eastwoodienne, celle qui lui reste fidèle quoi qu'il fasse, surtout quand il se met en scène, et qui là ne manquera pas de s'attendrir à la vue de ce vieux corps fatigué, toujours à la traîne dans les plans, jusqu'à s'imposer des pauses "sieste" pour ne pas brûler la machine. Cry Macho est un film éminemment mineur dans la filmo d'Eastwood, mais son caractère tardif justifie peut-être une autre lecture. Ainsi l'idée qu'Eastwood — dans le rôle de Mike Milo, une ancienne star du rodéo — fait tout ici pour que son film n'ait rien de testamentaire, au sens du film terminal, suprêmement eastwoodien... sachant de surcroît que le film-testament ça n'existe pas, pas pour l'auteur en tout cas, qu'il s'agit plutôt d'une facilité critique, qu'on nous ressert le plus souvent après coup, une fois l'œuvre achevée, mais parfois avant, quand la critique subodore que le dernier film pourrait être vraiment le dernier, le film ultime... Balivernes tout ça, et dans Cry Macho il n'est pas impossible qu'Eastwood s'attache à démonter aussi bien son propre mythe, comme il le fait déjà depuis pas mal de temps, que le mythe "tarte à la crème" du film-testament. D'où cette impression de laisser-faire qui s'en dégage, limite "j'm'enfoutiste", où l'auteur semble se foutre de l'histoire comme de sa première chemise (de cowboy), de même que du jeu des acteurs, pour le moins approximatif (si l'on excepte le coq, genre pitbull à plumes), surtout de celui qui joue l'ado, mauvais comme un cochon... Impression qui ferait du film une sorte de prolongement en roue libre de Gran Torino et de la Mule (qui jouait déjà sur l'idée de "relâchement"), les deux précédentes contributions du scénariste Nick Schenk aux films d'Eastwood (ici à partir d'un roman des années 70, Cry Macho est d'ailleurs censé se passer à cette époque)... Sauf que, à mesure que le film avance, cette impression sonne de plus en plus faux, comme si quelque chose courait en filigrane, conférant au film une dimension beaucoup plus subtile qu'il n'y paraît, et qui toucherait à la part la plus intimiste du cinéma d'Eastwood, celle qui a toujours eu ma préférence, la part musicale. Si Cry Macho est un film mineur, c'est aussi en ce sens: écrit sur le mode mineur, avec l'effet bizarre que prend le bémol quand on recourt à ce mode d'écriture, qui fait ressortir les dissonances et autres grincements du film (et Cry Macho n'en manque pas, de "bémols", qu'il s'agisse du côté franchement mou de la mise en scène, en accord avec le corps usé d'Eastwood, ou des couacs narratifs qui ponctuent le récit)... Cette musique, c'est celle de la country, une des deux musiques, avec le jazz, à laquelle Eastwood est toujours resté attaché, notamment pour accompagner ses films les plus fragiles et qui, dans Cry Macho, après une entrée en matière tonitruante, plus macho que cry, descend peu à peu la gamme, inversant le rapport macho/cry — d'autant que dans le film ce sont les femmes qui portent la culotte —, et relègue ainsi la mission-prétexte du début (ramener du Mexique le fils d'un ami envers qui le héros a une dette) à l'arrière-plan, pour que se dévoile le vrai motif qui pousse le héros sur la route: "trouver un nouveau foyer" (c'est la chanson-phare du film chantée par Will Banister, un chanteur de country). Mouvement qui fait passer Cry Macho en douceur d'un genre à un autre, du road-movie bas de gamme, à la Doux, Dur et Dingue (le film est de James Fargo mais peu importe, c'est eastwoodien), avec ici un vrai doux (Eastwood), un faux dur (l'ado) et un drôle de dingue (le coq), au mélo un rien gnangnan (Eastwood en papy craquant) que constitue la rencontre amoureuse, écho lointain, improbable, au chef-d'œuvre qu'est Sur la route de Madison, comme si Eastwood s'était décidé, 25 ans après, à effectuer le retour que son personnage de l'époque n'avait jamais fait... Et par ce trajet, boucler non pas la boucle (puisqu'on vous dit que ce n'est pas testamentaire), mais, plus simplement, une des nombreuses boucles que son œuvre maintient encore ouvertes. Dans Cry Macho, c'est quitter l'image de la ligne droite, qui marque le début du film, pour celle du cercle, du manège où l'on débourre les chevaux aux petits pas de danse du vieux couple dans le café, le cercle jadis brisé — le héros s'y était cassé le dos en pratiquant le rodéo — et aujourd'hui réparé, signe d'une unité retrouvée, mieux: d'une jeunesse retrouvée. C'est en cela que le film est beau.

1 commentaire:

  1. Mohammed Ben Salman5 décembre 2021 à 10:59

    "C'est raté mais c'est voulu..." Balivernes tout ça !

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