dimanche 18 septembre 2022

[...]


Get Out de Jordan Peele (2017).

Sur quelques films vus/revus (suite):

Tout Peele.

Les Cahiers, en couverture de leur numéro de septembre, nous demandent si on a bien vu Nope... pas si on l'a vu (nous sommes nombreux à l'avoir vu, le film est sorti depuis plus d'un mois) mais si on l'a bien vu, sous-entendu que si on l'a vu on l'a peut-être mal vu, les Cahiers, eux, qui savent regarder les films, se chargeant dès lors de nous dessiller les yeux, pauvres myopes que nous sommes, ce qui tombe bien et d'autant mieux que la question du regard est au cœur de Nope (et du cinéma de Peele en général).
Bon, j'ironise, ce n'est pas bien, la raison est aussi économique, il faut accrocher le lecteur et, puisque les Cahiers ont décidé de faire d'un film déjà sorti l'événement du mois, il n'est pas question pour eux de suivre le mouvement (c'est tout le problème de ces films qui sortent en plein été, cf. Old de Shyamalan l'an dernier), il faut faire comme si le film allait sortir, comme si le spectateur ne l'avait pas vu et qu'il fallait alors lui donner envie de le voir... ce qui s'appelle remettre les pendules à l'heure.
La difficulté est de trouver autre chose à dire que ce qui a déjà été dit. Or, tout a été dit sur Nope, peut-être pas dans les revues de cinéma, mais partout ailleurs, sur les sites et autres blogs dédiés à ce type de films, semés d'indices en tout genre, qui nourrissent les interprétations les plus diverses (du détail "révélateur" au plan-mystère, du chausson de ballerine, se tenant debout sur la pointe, au titre même du film: Nope = Not Of Planet Earth), d'où une foultitude d'analyses et de commentaires visant, à défaut de résoudre l'énigme qui sous-tendrait le film, du moins à la cerner au plus près.
Parce que finalement ça veut dire quoi "bien voir"? Il y a deux façons de mieux voir un film "à clés" — à ne pas confondre avec le film "à tiroirs" qui, lui, procède davantage de la digression. Soit en le disséquant, méthodiquement, pour y découvrir ce que personne n'avait vu jusque-là, c'est le travail du geek; soit en soulevant le voile, pour y déceler ce qu'est vraiment le film, au-delà des apparences, c'est le travail du critique. Je ne pratique aucune de ces activités, mais j'aime lire ceux qui s'y adonnent complètement, les uns dans une sorte d'archéologie compulsive (et souvent délirante), les autres dans une forme d'approche disons plus clairvoyante de l'œuvre, sachant que les deux activités ne sont pas compatibles, le vrai geek ne se mêlant pas de critique, pas plus que le vrai critique ne s'amuse à jouer les geeks (même si, dans ce dernier cas, la tentation est grande).
Revenons à Nope. Que peut-on dire de plus sur le film, du point de vue critique, sans se muer en geek? Plus précisément: comment mieux voir Nope s'il apparaît, à la lumière de tout ce qui s'est écrit dessus, que finalement ce film, on l'avait très bien vu la première fois, et que le revoir n'apporterait rien de plus. En revanche, pour aller plus loin, dans la vision du film, une démarche s'impose dont je m'étonne qu'elle n'ait pas été suivie par les Cahiers: confronter Nope aux deux premiers Peele. Je n'ai pas revu Nope mais j'ai revu Get Out et Us, et ce que je peux dire c'est que les revoir m'a non seulement conforté dans l'impression très mitigée laissée par Nope, mais plus encore éclairé sur le cinéma de Peele, son évolution de plus en plus auteuriste et les dangers qui le guette, du fait même de cette évolution.
Des trois films, il se révèle que le plus convaincant reste le premier, Get Out, au sens où il se dégage, outre la fraîcheur qui est propre à un premier film, une réelle homogénéité entre le fond et la forme, la simplicité de la mise en scène (style plutôt neutre, sinon banal, en accord avec une production à petit budget, c'est un film Blumhouse, dans la veine des found footage qui ont fait le succès de Blum, dans la veine surtout des derniers Shyamalan: The Visit, Glass...) allant de pair avec la ténuité de l'histoire, fidèle aux codes du cinéma d'horreur.
Us, à l'inverse, est gâché par l'esthétisme pour le moins excessif auquel cède Peele, qui s'accorde mal avec la trame du récit — dont le thème laissait espérer un film du genre The People Under the Stairs de Craven —, le côté froid, abstrait et cynique du dispositif évoquant davantage Funny Games d'Haneke, de sorte que, de l'esprit shyamalanien qui caractérisait Get Out, humour compris (je pense au personnage joué par Lil Rel), il ne reste plus grand-chose sinon, à la fin, ce gros clin d'œil à Mr. Night sous la forme d'un twist particulièrement pataud (l'inversion Adelaide/Red).
Avec Nope, Peele redresse la barre dans la mesure où fond et forme s'accordent mieux que dans Us, mais au prix d'une surenchère auteuriste qui plombe vraiment le film. Peele boursoufle aussi bien ce qu'il montre (le côté tape-à-l'œil de la mise en scène) que ce qu'il raconte (le côté redondant des signifiants), tout ce qui touche au regard, via le concept de spectacle — du latin spectare = regarder, ha ha —, saisi du point de vue des minorités (le héros noir vs. l'animal extra-terrestre). Tout ça fait de Nope un film "dope", c'est-à-dire cool (à l'image d'OJ le héros, c'est l'aspect sympa du film), mais aussi, hélas, survitaminé, "bigger than bigger than life", qui voit Peele recycler ses motifs habituels (l'autre en tant que freak, sous-humain ou "objet" de fascination), sans beaucoup de finesse mais dans un cadre prestigieux (la "grande forme" du cinéma américain, exemplairement le western, davantage que la SF), celui qui plaît tant aux critiques, et ainsi — pour parler farbérien — passer du termite (idéalement Get Out) à... l'éléphant blanc (si je puis dire).
Son prochain film... à Cannes en sélection officielle?

Deux Sirk.

A Scandal in Paris (1946). Un de mes films préférés. L’ouverture est géniale, comme souvent chez Sirk — s’il fallait jauger la grandeur d’un cinéaste à la manière dont il ouvre ses films (ici on pense à Guitry), Sirk serait assurément l’un des plus grands, ce qu'il est de toute façon. Je ne peux résister au plaisir de la décrire: cela débute par un mouvement de caméra, qui part des barreaux d’une fenêtre et descend vers le visage illuminé d’un bébé dans son berceau, pendant qu’en voix off le narrateur (George Sanders, alias François Eugène Vidocq) explique qu’il est né en prison, issu d’une famille pauvre mais honnête, à vrai dire plus pauvre qu’honnête, ce qui obligeait sa mère, à chaque fois qu’elle attendait un enfant, à voler un pain pour bénéficier d’un abri, en l’occurrence celui de la prison, lorsqu’elle accoucherait. Voilà pourquoi, nous dit-il, alors que se substitue à l’image de la mère et de l’enfant celle de Sanders allongé sur la paille, il retourne depuis si souvent en prison, un besoin chez lui de retrouver sa plus tendre enfance. Je pense aussi à la tâche d’encre que fait la geôlière/sage-femme sur le registre des naissances lorsqu’elle veut inscrire le nom du père, tâche qui masquera à jamais l’identité du père, engageant le film sur le thème de l’initiation, thème récurrent chez Sirk, moins parce que cette tache décide du sort qui attend désormais le héros, multipliant les noms d’emprunt dont celui de Vidocq, que parce qu’elle fonde toute la morale de l'œuvre sirkienne, ici à travers l'image de "Saint Georges terrassant le dragon", soit la part obscure, sinon monstrueuse, qui est en chacun de nous. Pour Sirk, il ne s’agit pas de s’en libérer — "j’ai toujours su que les hommes n’étaient pas des saints", dit la petite fille à la fin du film — mais d’essayer de la dompter. Encore que chez lui il n’y a pas vraiment de lutte entre le Bien et le Mal. Quand Sanders finit par tuer Akim Tamiroff, l’acolyte devenu trop encombrant, c’est moins la victoire du Bien sur le Mal qu’il faut voir que celle de l’intelligence sur la bêtise, de la culture sur l’ignorance, d’un certain raffinement aussi sur toute forme de vulgarité.

Lured (1947). Un film mineur, comme on dit. Il n’est même pas sûr qu’il soit supérieur à celui de Siodmak, Pièges, dont il est le remake. Heureusement il y a George Sanders, égal à lui-même, c’est-à-dire génial, et sans qui le film perdrait beaucoup de son ironie, comme il perdrait de cette ambivalence voulue par Sirk, mais que n’assument pas entièrement les autres personnages (le double jeu de Lucille Ball, la démence de Boris Karloff, la perversité de Cedric Harwicke). Pour le coup, c’est ailleurs qu’il faut chercher le trouble que le film finit malgré tout par distiller: moins dans l’histoire — et son conventionnel whodunit (qui est le poète assassin, cet amateur de Baudelaire qui attire des filles à travers des petites annonces avant de les faire disparaître?) — que dans cette étrange impression d'assister là à une sorte de répétition des grandes séries télé à venir. Ainsi Lucille Ball et son aspiration au bonheur, comme la future héroïne du sitcom "I Love Lucy", Boris Karloff en grand couturier fou, recréant minablement son univers d’antan, personnage digne de ceux, les plus tordus, qui peupleront la série "Alfred Hitchcock Presents", ou encore le chef de la police dont le face-à-face final avec le meurtrier, et sa façon de le piéger, n’est pas sans rappeler un certain Columbo...

PS. Godard sur Sirk.

A Time to Love and A Time to Die de Douglas Sirk (1958).

Le plus intime des films de Sirk, hanté par la disparition du fils, A Time to Love... est aussi un hymne à la beauté, comme aurait dit Baudelaire, et comme l'a bien vu Godard dans son célèbre texte ("Des larmes et de la vitesse"), où il est question d'autruches et de Radiguet, de bons mots ("Douglas... cirque", "Lise, ôte ton pull over") et d'écran large, mais surtout de ce qui fait la beauté du film, du titre modifié (vivre ⟶ aimer) à la "vitesse" particulière que le cinéaste y imprime (ce fameux "temps" d'aimer qui est est aussi celui de mourir). Extraits:

(...) Je félicite à haute voix l'Universal-International d'avoir changé le titre du bouquin d'Erich Maria Remarque qui s'appelait "Le temps de vivre et le temps de mourir": en effet, ces chers vieux bandits internationaux et universels ont embarqué par la même occasion Douglas dans un cirque que Boris Barnett [sic] aurait été prodigieusement content de filmer... parce qu'en remplaçant vivre par le verbe aimer ils posaient implicitement à leur metteur en scène cette question, admirable point de départ du scénario: "Faut-il vivre pour aimer ou aimer pour vivre?"
(...) Je trouve ce film beau parce qu'il me donne l'impression qu'Ernest et sa Lisbeth, les deux héros au si doux visage prémingérien, à force de fermer les yeux avec une ingénuité rageuse dans Berlin sous les bombes, arrivent en fin de compte plus au fond d'eux-mêmes qu'aucun autre personnage de film à ce jour. Ainsi que le dit plus haut Rossellini [Godard fait référence à l'entretien avec Rossellini publié dans le même numéro des Cahiers], c'est grâce à la guerre qu'ils retrouvent l'amour... C'est parce qu'il faut aimer pour vivre qu'il faut vivre pour aimer nous dit Ernest en zigouillant une partisane russe, ou Elisabeth en buvant à petits coups son champagne. Aimer à loisir, nous dit avec eux Sirk à chaque image, en hommage à Baudelaire, aimer donc et mourir. Et son film est beau parce que l'on pense à la guerre en regardant défiler ses images d'amour, et vice-versa.
(...) Avant de parler de la forme, parlons rapidement de celles de Liselotte Pulver. Tout le monde la méprise. Moi, je l'aime. Vous la trouvez maigrichonne. Mais quoi, nous sommes en guerre, et le sujet du film n'est pas: Lise, ôte ton pullover. Et pour ma part, je n'ai jamais cru autant à une jeune Allemande, dans le Troisième Reich qui s'effondre, qu'en voyant cette zurichoise tressauter nerveusement à chaque recadrage. Allons plus loin. Je n'ai jamais cru autant à l'Allemagne en guerre qu'en voyant ce film américain tourné en temps de paix... Sirk sait nous faire voir les choses de si près que nous les touchons, que nous les respirons. Le visage d'un mort gelé sous les frimas du front russe, les bouteilles de vin, un appartement tout neuf dans une ville en ruines, nous y croyons comme si c'était une Caméflex de reportage qui les avait filmés, et non une grosse caméra Cinémascope maniée par la main de ce qu'il faut bien appeler un maître. Il est de bon ton aujourd'hui de dire que l'écran large, c'est de la frime. Moi, à tous ces René qui n'ont pas les idées claires, je dis poliment: mon œil! Que le Cinémascope multiplie d'autant le format normal, il suffit d'avoir vu les deux derniers Douglas Sirk pour en être définitivement persuadé. Il faut bien dire ici que notre vieux cinéaste retrouve ses jeunes jambes et bat tous les jeunes sur leur terrain, panoramiquant à toute volée, reculant ou avançant itou. Et ce qu'il y a d'étonnamment beau dans ces mouvements d'appareil qui s'emballent comme des moteurs, où les flous sont masqués par la vitesse même d'exécution, c'est qu'ils donnent l'impression d'être faits à la main, alors qu'ils le sont à la grue, un peu comme si le crayonnage virevoltant d'un Fragonard était le fait d'une machinerie compliquée. Conclusion: ceux qui n'ont pas vu ou aimé Liselotte Pulver courir sur la berge de je ne sais plus quel Rhin ou Danube, se baisser brusquement pour passer sous une barrière, puis se redresser, hop, d'un coup de reins, ceux qui n'ont pas vu à ce moment la grosse Mitchell de Douglas Sirk se baisser en même temps, puis, hop, se redresser du même et souple mouvement de jarret, eh bien! ceux-là n'ont rien vu, ou alors, ils ne savent pas ce qui est beau.


La Salamandre d'Alain Tanner (1971).

La rose du monde.

Dans la Salamandre de Tanner — Tanner qui vient de mourir, sa mort coincée entre celle d'une Reine (Elisabeth) et celle d'un Dieu (Godard), suisse comme lui, qui plus est — oui eh bien, dans la Salamandre, les deux personnages masculins se prénomment Pierre (Jean-Luc Bideau) et Paul (Jacques Denis), comme dans le film de René Allio, Pierre et Paul (1969), où jouait d'ailleurs Bulle Ogier que l'on retrouve ici dans le rôle de Rosemonde... Evoquer Allio n'a rien d'arbitraire, il y a chez Tanner cette même "distanciation" (avec plus d'humour) que chez l'auteur de la Vieille Dame indigne... Tanner de Brecht! C'est qu'il était déjà là, Brecht, dans le premier long métrage de Tanner, Charles mort ou vif, que la Salamandre prolonge. Comment conjuguer, via la dialectique, réel et fiction, intellect et émotion, didactisme et distraction... C'est Tanner qui disait: "Pourquoi le montage est de gauche et le découpage de droite? Parce que le montage assemble des plans selon un rapport dialectique, critique, alors que le découpage, lui, assemble les images de manière invisible et fluide pour montrer que le monde est dénué de contradictions". Hum... On pense à la fameuse séquence où Bulle Ogier fabrique des saucisses à la chaîne, enfilant dans le boyau la chair qui sort du tuyau (à quoi fera écho plus tard l'anecdote rapportée par Bideau sur les tubes de mayonnaise), d'abord vue dans sa dimension aliénante (la séquence, volontairement étirée, est répétée une seconde fois), on peut même dire chaplinesque (les Temps modernes, évidemment, que Tanner cite également quand les personnages se retrouvent à la campagne et qu'on voit Rosemonde et Paul s'éloigner de dos sur la route... et, tant qu'on y est, Une vie de chien, à cause des chapelets de saucisses), puis dans sa dimension libertaire, quand Rosemonde, fatiguée des remontrances du chef, abandonne son boulot, laissant la machine "chier" littéralement la chair sur la table. Dans l'esprit, on est toujours chez Chaplin, mais les deux séquences réunies rappellent aussi Fassbinder, autre grand cinéaste "brechtien". Allio, Chaplin, Fassbinder... et bien sûr la Nouvelle vague dont Tanner, issu du cinéma-vérité, représentait, avec ses compatriotes Soutter et Goretta, une sorte d'équivalent suisse. On citera Godard (Deux ou trois choses que je sais d'elle), Rivette (l'Amour fou), mais c'est à Truffaut que la Salamandre fait le plus référence: Jules et Jim, le "ménage" à trois, et surtout Baisers volés, à travers les scènes savoureuses dans le magasin de chaussures où travaille maintenant Rosemonde — cf. la scène peut-être en partie improvisée de l'essayage de "godasses" avec Paul —, mais aussi de façon plus détournée la scène où Rosemonde décide de rester dormir chez Pierre, et par voie de conséquence, de coucher avec lui, écho à la scène où Fabienne Tabard retrouve Antoine chez lui, dans sa chambre... Ici tout repose sur la longueur de la scène, qui ne renvoie plus à une quelconque aliénation, mais serait plus à rattacher à la lenteur proverbiale des Suisses, genre "y'a pas l'feu au lac" (ça se passe à Genève), qui voit Rosemonde, décidée ("je reste, je dors ici, je couche dans votre lit et je couche avec vous") mais patiente, attendre que Pierre, impassible, ait fini de taper son truc à la machine. Qui dit dialectique dit dialogue, qui dit dialogue dit jeu des comédiens, c'est ça qui fait le sel du film.
L'histoire à la base est simple: Pierre, un journaliste, qui ne croit qu'à la vérité des faits, s'adjoint les services de son ami Paul, écrivain (et peintre en bâtiment à ses heures) qui, lui, fait confiance à son imagination, pour raconter (un scénario destinée à la télévision) l'histoire de Rosemonde et de son oncle, un vieux réactionnaire chez qui elle logeait, quand un jour, alors que celui-ci nettoyait pour la énième fois son "fusil militaire", le coup est parti, le blessant à l'épaule. Accident ou tentative de meurtre, comme l'oncle le prétend? Pierre, présumant de l'innocence de Rosemonde, compte mener son enquête, en interviewant la jeune femme et son entourage. Paul, au contraire, ne veut rien savoir de la réalité, la fiction qu'il va construire, à partir de ce qu'il imagine s'être passé (et le fait que pour lui Rosemonde a bien tiré sur son oncle), doit suffire... Les deux conceptions vont interférer, l'une avec l'autre, pour finalement donner raison à... on le devine, je n'en dis pas plus. La force du film, outre sa drôlerie — cf. la visite de l'inspecteur de la défense civile — doit beaucoup à l'interprétation: Bideau, en grand échalas, fantasque et vaguement anarcho, Denis, plus adapté socialement — son personnage est un double de l'auteur et reviendra régulièrement dans l'œuvre de Tanner, jusqu'à son dernier film au titre explicite, Paul s'en va — et bien sûr Bulle Ogier, absolument géniale en jeune femme sans attaches, sans ambition particulière, désireuse avant tout qu'on lui foute la paix, affirmant sa liberté non par idéologie mais par une sorte de j'm'en foutisme, ne s'intéressant qu'à ce qu'elle aime: s'habiller à la mode (mini-jupe et maxi-manteau), écouter du rock, faire l'amour... bref, incarnant par elle-même toutes les contradictions de l'époque, renforcées par l'usage que fait Tanner du noir et blanc, avec cette image granuleuse (du 16mm gonflé en 35mm), comme si le grain de folie, pas loin de la schizophrénie, qu'on croit deviner chez la jeune femme, contaminait tout le film (et finalement le scénario écrit par Paul, de sorte qu'à l'arrivée cette histoire avec l'oncle n'a plus d'intérêt), grisaille diffuse, entre les "couleurs noires et blanches" (c'est ainsi que le film est présenté)... la dialectique est là encore, qui, à l'instar de la salamandre, capable disait-on de traverser le feu sans se brûler, permet à Rosemonde, par son détachement, sinon son absence au monde qui l'entoure (les paroles de Paul, à la fin, il n'est pas sûr qu'elle les entende), de traverser la vie, elle aussi, sans (trop) se brûler.

Bonus: Le finale (musique: Main Horse ft. Patrick Moraz).

3 commentaires:

  1. Parce que vous vous croyez l'avoir bien vu Nope ?

    RépondreSupprimer
  2. Notre cinéma de Morlaix se nomme la Salamandre. Et le projettera bientôt. J'ai pris ce film dans la tronche il y a 10 ans, ça m'a marqué, comme si je l'avais vu hier. Adieu, Tanner, l'autre suisse.

    RépondreSupprimer
  3. Nope est un bon petit film gonflé à l'hélium, plaisant à regarder mais pas impérissable.

    RépondreSupprimer