La salle de bains du Belvédère, la maison (située à Montfort-l'Amaury)
où vécut Ravel les quinze dernières années de sa vie.
Dans le bain avec Ravel.
"On s'en veut quelquefois de sortir de son bain. D'abord il est dommage d'abandonner l'eau tiède et savonneuse, où des cheveux perdus enlacent des bulles parmi les cellules de peau frictionnée, pour l'air brutal d'une maison mal chauffée. Ensuite, pour peu qu'on soit de petite taille et que soit élevé le bord de cette baignoire montée sur pieds de griffon, c'est toujours une affaire de l'enjamber pour aller chercher, d'un orteil hésitant, le carreau dérapant de la salle de bains. Il convient de procéder avec prudence pour ne pas se heurter l'entrejambe ni risquer en glissant de faire une mauvaise chute. La solution de cet embarras serait bien sûr de se faire fabriquer une baignoire sur mesure, mais cela représente des frais, peut-être encore plus hauts que le devis d'installation du chauffage central, toujours insuffisant bien que récent. Mieux vaudrait rester jusqu'au cou dans son bain, des heures sinon perpétuellement, actionnant le robinet du pied droit par intermittence pour rajouter un peu d'eau chaude et, réglant ainsi le thermostat, maintenir une bonne atmosphère amniotique." (Jean Echenoz, Ravel, 2006).
C'est vrai que Ravel était petit, de la taille d'un violoncelle pique et manche compris, mais pas plus que Mozart, Beethoven, Schubert...
Ravel/Samson François: Concerto en sol majeur + Concerto pour la main gauche (1929-1931), Orchestre de la Société des concerts du Conservatoire, dir. André Cluytens, 1959.
Un petit Renoir.
Bonne Chance! De et avec Sacha Guitry (1935). Un de mes préférés parmi les "Delubac-films" (les Guitry des années 30)... Jacqueline Delubac, à la fraîcheur toute moderne, elle dont Guitry disait, parce qu'il avait le double de son âge (ce que rappelle d'ailleurs Pauline Carton dans le film), qu'il était juste qu'elle soit sa moitié... un Delubac-film donc, un petit bijou (rapport au solitaire que lui offre Guitry), un "petit Renoir" aussi (rapport au tableau qu'il s'offre à lui-même), un voyage de noces (avant les noces), très Nouvelle vague, qui se contente de son programme et de quelques "vues"... bref du pur Guitry comme je les aime, avec sa verve (la séquence au restaurant, un régal), ses bons mots, sa fantaisie, qui semble inépuisable, sa modernité, déjà là (c'est le premier film de Guitry ou presque, supervisé par Fernand Rivers, aka Plouf), cette façon de mêler les formes, de télescoper les histoires, l'aspect brinquebalant du récit, à la Pierre Prévert, mais sans le côté subversif. Guitry appartient pleinement, et de façon gourmande pourrait-on dire, au milieu bourgeois qu'il dépeint (son fond de commerce), même si là c'est davantage petit-bourgeois, le peintre et la blanchisseuse, c'est l'aspect pré-beckérien du film, petit monde que Guitry caricature sans méchanceté, à la manière du personnage qu'il incarne. Quant à l'emphase contrôlée de son jeu, faussement théâtreuse, loin de surplomber l'ensemble, elle se place plutôt en contrepoint, conférant à toutes ces intrigues hautement improbables (faisons un rêve...) qu'il imagine puis dirige, la discrète distanciation, légère autant que subtile, qui sied aux plus beaux films. Guitry avait tout compris au cinéma.
Un extrait du scénario: (lui-même extrait des Cahiers du cinéma n°471, septembre 1993)
La scène se passe au restaurant où Claude (Sacha Guitry), qui tient à la main une petite valise, a emmené Marie (Jacqueline Delubac) pour fêter les deux millions qu’ils viennent de gagner à la loterie. Ils ont rejoint le dernier des "bosquets" encore disponible, ces petites tonnelles fleuries où l’on peut dîner en amoureux, à l’abri des regards ("Ah voilà enfin une chambre libre, eh bien entrons..." dit l'homme, non sans malice).
Claude (au maître d’hôtel qui lui a présenté la carte) – Alors, dites-moi mon ami, aux voix! (il lit le menu et regarde Marie) Caviar. (ils lèvent tous deux la main)
Le maître d’hôtel (Seller, comédien habituel des films de Guitry, il jouera à nouveau un maître d'hôtel dans Faisons un rêve...) – Caviar.
Claude – Bon. Potage (Marie fait une épouvantable grimace) Sole? Non, pas de sole. Merlan? Non, pas de merlan. Le turbot. Le... rouget grillé. Non, pas de rouget grillé. Truite au bleu... (Marie acquiesce) Ah, truite au bleu! (ils lèvent la main)
Le maître d’hôtel, triomphal – Deux truites au bleu!
Claude – Bien. Ensuite, poulet cocotte?
Marie – Mais oui, coco.
Claude – Poulet coco, euh... poulet cocotte.
Le maître d’hôtel – Et pour finir?
Claude – Et pour finir, pour finir, je ne sais pas. Est-ce que vous préférez... (mimant une gifle) vous préférez une tarte ou un soufflé?
Marie – Un soufflé.
Le maître d’hôtel – A la vanille?
Claude – Pour les petites filles.
Le maître d’hôtel – ou... au citron?
Marie – Pour les petits garçons.
Le maître d’hôtel – Au chocolat?
Claude – Pour les papas.
Marie – Réflexion faite, je préfère une tarte.
Le maître d’hôtel – Bien, madame. Aux fraises ou aux frises? Euh... aux frises ou aux ceraises?
Claude – Dites-le doucement.
Le maître d’hôtel – Bien. Aux cerises ou aux cerises?
Marie – Aux fraises.
Le maître d’hôtel – Bien, madame. Pour boire?
Claude – Ah, déjà! (le maître d'hôtel s'embrouille dans ses dénégations et montre la carte des vins) Cela me semblait un peu prématuré. (il prend la carte) Pardon. Champagne?
Marie – Oh oui!
Claude – Du champagne, du champagne, du champagne, voyons... Sec?
Marie – Très sec!
Claude – Très sec. Du champagne extrêmement sec. Donnez-nous donc ça, tenez.
La maître d'hôtel – Bon.
Claude – Très bon?
Le maître d'hôtel – Ah, très, très, très bon.
Claude – Bon, voilà. Et maintenant, maintenant fermez les yeux.
Le maître d'hôtel – Vous pouvez être tranquille, nous avons l'habitude.
Claude – Je ne vous parle pas.
Le maître d'hôtel – Oh, pardon. (il sort)
Claude – Et maintenant, excusez-moi. Fermez les yeux. Je sais bien que c'est un crime, des yeux comme cela devraient rester ouverts dimanche et jours de fêtes, néanmoins, s'il vous plaît, fermez les yeux. C'est promis?
Marie – Promis.
Claude – Ah.
Marie – Juré.
Claude (il prend la mallette et l'ouvre) – Vous savez que le bon Dieu vous voit, n'est-ce pas? (elle rit) Il ne faut pas rire.
Marie – Je peux les ouvrir?
Claude – Non, c'est absolument défendu!
Marie – Et maintenant?
Tout en parlant, il a sorti un petit tableau qu'il pose face à eux sur la table et un écrin qu'il dissimule sous la serviette de Marie.
Claude – Chut. Pas encore.
Marie – Je peux les ouvrir?
Claude – Oui.
Marie découvrant le tableau – Oh! Que c'est joli! Qu'est-ce que c'est que ça?
Claude – C'est un Renoir, un ravissant Renoir.
Marie – Que vous m'offrez?
Claude – Ah non, ça, pardon, mais c'est pour moi, ça. On va dîner ensemble tous les trois. C'était le rêve de ma vie d'avoir un petit Renoir. C'est une des folies que j'ai faites tantôt, mais je n'ai pas fait que des folies tantôt, oh, non, non! Tenez, quand il le faut, moi, je sais très bien être sage... Vous en aurez la preuve quand vous aurez la bonté de bien vouloir soulever votre serviette.
Marie – Ma serviette?
Claude – Oui, oui, oui... (elle soulève sa serviette et s'exclame à la vue de l'écrin) Oui.
Marie – Un écrin!
Claude – Oui, un petit écrin vide, une petite boîte en somme pour mettre vos épingles à cheveux ou votre coton à broder...
Marie – Mmm, pour un écrin vide, il me paraît bien lourd.
Claude – Ah? Est-ce que par hasard le marchand nous aurait fait une surprise?
Marie – Ou une farce?
Claude – Ce serait curieux ça.
Marie ouvrant l'écrin – Il nous a fait une farce. Eh bien, vous savez, moi qui généralement n'aime pas les farces, celle-là me plaît infiniment. (le solitaire resplendissant) Oh, qu'il est beau. Oh merci, merci, merci...
Claude – Non, non, non... Ben non, ne me remerciez pas, mon Dieu. Si vous saviez comme c'est agréable de faire des cadeaux avec l'argent des autres. Dites-moi qu'il n'est pas trop mal choisi.
Marie – Il est extraordinaire!
Claude – Tant mieux... Il m'a semblé joli. Permettez. (il le lui passe au doigt) Vous savez que, dans les bosquets voisins, je crois qu'on s'embrasse pour bien moins que cela.
Il lui baise la main.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire