vendredi 30 septembre 2022

Comment savoir


How Do You Know / Comment savoir de James L. Brooks (2010).

Play-doh.

On ne sait par où commencer. Il y a tellement de belles choses dans Comment savoir qu’on voudrait toutes les citer. On pourrait énumérer les scènes les plus brillantes (la première rencontre entre Witherspoon et Rudd au restaurant italien, les appels téléphoniques de Wilson à Witherspoon après que celle-ci a décidé de ne plus vivre chez lui, la dernière soirée à l’issue de laquelle Witherspoon choisira entre Wilson et Rudd), mais ce serait oublier non seulement les nombreuses autres scènes, presque aussi belles — ainsi celle de l'explication, longtemps différée, entre Rudd et Nicholson, ou encore celle qui se passe à la maternité, une scène qu’on aurait tort de considérer comme secondaire (parce que centrée sur un personnage secondaire), sinon digressive, tant elle est au contraire essentielle au récit (expliquant qu’on la joue en partie deux fois) —, mais surtout le fait que le film, justement, n’est pas une succession de scènes à "effets" (comiques ou dramatiques) mises bout à bout, à l’instar de nombreuses comédies, souvent sympathiques, parfois même très drôles, mais manquant par trop d’unité, alors que là tout s'agence merveilleusement, chaque scène faisant écho à la précédente tout en préparant la suivante, selon un rythme à la fois capricieux et minutieusement réglé car en accord avec les questions que se posent les personnages (sur eux-mêmes). Et quels personnages! Tous égaux quelle que soit leur importance, car tous traités avec le même égard, le même regard... Il n'y a que chez Brooks où l'on voit des personnages secondaires, tels ici la secrétaire, son compagnon, le portier d’hôtel ou encore la partenaire de softball, capables de rivaliser, sur le plan de l'émotion, avec les héros du film. C’est aussi ce qui rend la rivalité (à distance) entre Wilson et Rudd si peu conflictuelle. Car cette rivalité, si elle repose au départ sur une opposition bien tranchée, proche du cliché, entre d'un côté, le blond égocentrique, sportif de haut niveau, aimant la fête et les coups d'un soir — un vrai "baiseballeur" —, et de l'autre, le brun prise de tête, col blanc crédule, victime des magouilles de son papa, c'est surtout pour mieux s'en détacher, tant ces deux personnages apparaissent finalement très proches, de par leur fragilité, leur côté démuni, affiché d'emblée chez Rudd, progressivement révélé chez Wilson (on peut d'ailleurs les voir comme deux facettes d'un même personnage, celui de l'idiot).

La force du film tient bien sûr à son génial bavardage qui emmène les personnages plus loin qu'ils ne le "pensent", au-delà même de ce dont ils se croient capables, mais aussi à la combinaison, parfaitement équilibrée, de deux types de comédie: 1) la screwball comedy dans la relation Witherspoon/Wilson (rappelons que le terme screwball est emprunté justement au baseball, désignant un effet particulier donné à la balle par le lanceur pour rendre la trajectoire de celle-ci imprévisible), marquée, entre autres, par la vivacité des dialogues ("good talk" répète à l'envi Wilson) et la loufoquerie des situations; 2) la comédie romantique dans la relation Witherspoon/Rudd, caractérisée par des scènes plus longues, plus lentes, plus introspectives aussi, où l'humour réside moins dans la drôlerie d'une réplique que dans l'incongruité d'une réaction (cf. la scène du restaurant italien, déjà citée, où Witherspoon invite Rudd à ne plus parler pendant toute la durée du repas). On peut bien sûr préférer l'une à l'autre, mais ce qui compte ici, et fait l'exceptionnelle réussite du film, c'est bien le savant dosage qui existe entre ces deux formes de comédie, entre vitesse et temporisation, décharge et reprise... Si l'émotion naît directement de certaines scènes, admirables de justesse, elle sourd aussi de cette harmonie entre le screwball et le romantique qui ne privilégie pas un personnage au détriment d’un autre mais prône au contraire l’égalitarisme, je me répète, une sorte de comédie démocratique (que d’aucuns trouveront mièvre car pas assez méchante ou vulgaire), justifiant le choix amoureux de Witherspoon, à la fin du film, dans la mesure où ce choix ne vient pas signifier on ne sait quelle revanche du personnage élu sur son rival mais simplement s'inscrire dans la logique du récit (à ce titre, le finale, avec Nicholson sur la terrasse, est absolument magnifique... je n'en dis pas plus). Reste la mise en scène, discrète mais bien présente, où Brooks multiplie les changements d'échelle (du plan d'ensemble au gros plan), en accord là aussi avec le discours des personnages, conférant au film une sorte de plasticité inédite, jubilatoire, à l'image du cadeau offert par Rudd à Witherspoon pour son (lendemain d') anniversaire: un jouet Play-Doh. Comment savoir n'est pas qu'une merveille de comédie, c'est aussi une vraie leçon de cinéma.

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