Titane de Julia Ducournau (2021).
Titane et le Titan.
Soit Titane et Bergman Island, deux films qui s'opposent et ne se complètent pas, l'un rejetant nécessairement l'autre. Si on aime vraiment le film de Julia Ducournau, on ne peut que détester celui de Mia Hansen-Løve, et inversement (cf. Marcos Uzal aux Cahiers et Julien Gester à Libé), sauf à se mentir sur la valeur d'au moins un des deux films... Après, on peut les refuser tous les deux, c'est mon cas, mais alors sans violence ni passion. Parce que le choc "en pleine tronche" que représente Titane, à bien regarder, fait quand même assez toc et que le chic classieux d'une résidence chez Bergman, à bien écouter, n'est quand même pas sans tics.
Soit donc Julia et Mia... la première très premier degré, la seconde, bah plutôt second, deux femmes qui aiment et font du cinéma. Julia a le goût du mauvais goût, des trucs bien trash, Cronenberg (période body horror) est sa came, jusqu'à se l'injecter direct, à fortes doses, depuis ses débuts au cinéma. Mia a le goût du bon goût, des choses qui filent avec le temps, comme les sentiments amoureux, Assayas a été son mentor, et comme celui-ci a toujours été fan de Bergman, la transmission s'est faite naturellement, à petites doses, jusqu'à son dernier film où cette fois elle a décidé d'y aller voir de plus près. Julia a choisi la région PACA, qui rime avec caca. Mia, l'île de Fårö (parce que... Mia Fårö, et que Mia Farrow, hein, elle s'y connaît en cinéaste obsédé par Bergman). Donc Julia et Mia... Julia, l'huile de coupe, bien crade, bien grasse, pour faire coulisser les pièces et que la machine fonctionne; Mia, la plume qui sèche trop vite, qui fait que l'encre s'efface, empêchant d'aller jusqu'au bout... Et pour toutes les deux, un écueil à surmonter. Pour Julia: le succès tonitruant de son premier long métrage, Grave, l'écueil que représente "le film suivant" (les exemples fourmillent, citons, pour rester dans le "girly gore", le cas de Marina de Van avec Dans ma peau), comment le surpasser sans tomber dans la surenchère débile... Pour Mia: la difficulté à finir son nouveau film (problématique qui n'est pas nouvelle chez elle), l'écueil que représente "une fin qui bloque", comment s'en sortir sans tomber dans l'épilogue gnangnan.
La solution? Pour Julia: se lâcher totalement dans un grand n'importe quoi excrémentiel, l'exutoire tapageur par excellence, du gore qui jaillit, dégueule, se vide de partout, pour mieux oublier Grave (son héroïne, qu'on retrouve dans Titane est trucidée dès le début, histoire d'enfoncer le clou) et repartir de zéro, avec toujours Cronenberg en tête (de Crash — je n'insiste pas — à Cosmopolis — la coupe de cheveux asymétrique — en passant par Videodrome et eXistenZ), mais aussi une bonne pincée de Lynch, pour l'univers schizo et le récit plié en deux, et plus globalement, ce qui fait le cinéma horrifico-fantastique bien connu des amateurs (mais pas de Spike Lee visiblement, qui n'avait jamais vu ça)... Et ainsi commencer son "vrai nouveau film", quand Alexia, au cerveau "titanisé", à la fois pin-up badass de salon auto et tueuse en série, et qui s'est fait engrosser par une grosse berline en rut (genre Christine version mâle), devient Adrien et qu'elle/il, disons l'hybride, rencontre Vincent Lindon, le commandant des sapeurs pompiers, bodybuildé aux stéroïdes (jusque-là il n'y avait que la voix chez Lindon qui baignait dans la testostérone)...
Et pour Mia? Emboîter plusieurs histoires, qui tournent autour de Bergman et de ses démons (Tim Roth en cinéaste féru de Bergman lit Inferno de Strindberg), de son rapport à l'art, aux femmes, à la mort, etc... le tout assorti de quelques visites touristiques sur les lieux de l'île où le maître a tourné certains de ses films, pour arriver à la meilleure conclusion possible, qui serait l'aboutissement logique de ce qui a été décliné durant tout le film et se trouve concentré dans l'histoire que Vicky Krieps (le double de Mia) a écrite, laborieusement, et qu'elle raconte à Roth, c'est le cœur du film: une histoire d'amour, celle vécue par Amy (jouée par une troisième Mia, Mia Wasikowska... mamma mia, ça en fait des Mia!), histoire aujourd'hui finie, le vide que cela a laissé en elle (il faudrait un jour interroger le "o barré" du mot Løve) et le constat douloureux que cette histoire ne pourra jamais renaître, même si le désir est toujours là chez l'un comme chez l'autre. Et ainsi conjuguer la souffrance d'Amy avec celle de Chris (Vicky) et de Mia...
Le résultat? Somme toute, décevant. Chez Julia: quelques bonnes scènes: Vincent Lindon s'essayant à la barre de muscu et retombant invariablement sur le tapis, le massage cardiaque au rythme de "Macarena"... on peut dire que Lindon par sa présence, son abattage, apporte une indéniable plus-value au film, mais c'est la cerise sans le gâteau tant Titane s'enlise parallèlement dans une sorte de grandiloquence arty (culminant dans l'accouchement final) où se devine, outre les figures déjà citées, tout un jeu de références auteuriste, de Bonello (présent dans le film) à Claire Denis (les corps des pompiers en train de danser), mais aussi Dumont (les difformités d'Adrien)... certes des auteurs qui aiment se frotter au genre, mais d'abord des auteurs auxquels la réalisatrice cherche, on dirait, à s'identifier: le genre non plus comme matériau idéal pour se faire remarquer ("la femme cinéaste spécialisée dans un sous-genre plutôt réservé aux mecs"), mais comme signe d'appartenance au gratin du cinéma d'auteur (à ce titre, la Palme "dure" à Cannes n'a rien d'étonnant)... Chez Mia: un beau personnage, celui qu'incarne Mia justement, Mia W., qui, par sa présence, sa grâce, confère au film l'émotion (on aime la voir danser le Mia sur "I Love to Love" de Tina Charles) qui sinon fait défaut. Mais la fin? Ratée une nouvelle fois. On y convoque les fantômes, ceux de Bergman, le Titan suédois dont l'ombre a plané sur le film tout du long et auxquels font écho les pensées tristes des différentes Mia, quant à la "cruauté (bergmanienne) des hommes (artistes) à l'égard des femmes (avec qui ils vivent)". Or que voit-on? Une mère et son enfant enfin réunies, comme si l'absence de l'enfant, finalement, avait été le seul tourment du film, et sa présence la seule issue (joyeuse) pour la femme. Autant dire que la page aurait mieux fait de rester blanche. Là, on ne sait pas, blanc cassé ou peut-être beige, comme la robe d'Amy, en tous les cas sans éclat, comme le cinéma élégant mais toujours un peu terne de Mia.
Bref d'un côté, Titane et ses monstres, un film surfait, le cinéma de genre auteurisé à outrance; de l'autre, Bergman Island et ses fantômes, un film ni fait ni à faire, le cinéma d'auteur immanquablement contrarié. Rien qui justifie l'encensement (pour le premier, on évitera le blabla sur le dynamitage des codes, des genres et autres stéréotypes... pour le second, le coup du charme indéfinissable, des choses invisibles qui circulent dans la lumière d'un été), mais rien non plus qui justifie l'éreintement (pour le premier ça ne sert à rien, le film est blindé, comme le titane, et peut résister à tout; pour le second c'est trop facile, le film est comme les méduses au nord de l'île, inoffensif et donc sans défense). Disons simplement que le cinéma de Julia, déjà complètement saturé après seulement deux films, se doit de se renouveler (sans tarder) sous peine d'être rapidement enterré avec les autres gloires éphémères du cinéma français... Quant au cinéma de Mia, qui est plus ancien (même si les deux femmes ont à peu près le même âge) et se poursuit aujourd'hui au rythme régulier d'un vieux briscard, il n'est pas impératif qu'il se renouvelle (de toute façon c'est trop tard), mais il gagnerait vraiment à s'assurer les services d'un bon scénariste, ne serait-ce que pour voir, au moins une fois, ce que ça donne.
Devoir présenter un pass sanitaire et justifier de son identité pour aller au cinéma ne vous gêne pas ?
RépondreSupprimerBref... Uzal ou Gester ?
RépondreSupprimerun film surfait et un film ni fait ni à faire, vous éreintez quand même, mais c'est exactement ça
RépondreSupprimerEreinter un film c'est vraiment vouloir le démolir... je n'en suis pas là.
Supprimeron vous a connu plus saignant, Buster !
SupprimerComme dirait Moullet, Buster commence à avoir l'air d'un steak trop cuit !
SupprimerPossible, avec l'âge, mais c'est qu'aujourd'hui les films à éreinter j'en vois beaucoup moins (je sélectionne de plus en plus ce que je vais voir) et aussi parce que ça ne m'intéresse plus trop d'écrire dessus (cela dit j'en ai vu un hier, pour faire plaisir à des amis, la Loi de Téhéran, du Jacques Audiard à l'iranienne: mise en scène dopée, boursouflée, un truc de frimeur... en plus l'acteur Peyman Maadi qui gueule tout le temps dans le film a une voix insupportable)
Supprimer"PACA rime avec caca" ?! Il y a un message politique ?
RépondreSupprimerQui sait...
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