La critique complète n’est peut-être ni celle qui vise à la totalité (comme fait le regard surplombant), ni celle qui vise à l’intimité (comme fait l’intuition identifiante); c’est un regard qui sait exiger tour à tour le surplomb et l’intimité, sachant par avance que la vérité n’est ni dans l’une ni dans l’autre tentative, mais dans le mouvement qui va inlassablement de l’une à l’autre. Il ne faut refuser ni le vertige de la distance, ni celui de la proximité: il faut désirer ce double excès où le regard est chaque fois près de perdre tout pouvoir.
Mais peut-être aussi la critique a-t-elle tort de vouloir à ce point régler l’exercice de son propre regard. Mieux vaut, en mainte circonstance, s’oublier soi-même et se laisser surprendre. En récompense, je sentirai, dans l’œuvre, naître un regard qui se dirige vers moi: ce regard n’est pas un reflet de mon interrogation. C’est une conscience étrangère, radicalement autre, qui me cherche, qui me fixe, et qui me somme de répondre. Je me sens exposé à cette question qui vient ainsi à ma rencontre. L’œuvre m’interroge. Avant de parler pour mon compte, je dois prêter ma propre voix à cette étrange puissance qui m’interpelle; or, si docile que je sois, je risque toujours de lui préférer les musiques rassurantes que j’invente. Il n’est pas facile de garder les yeux ouverts pour accueillir le regard qui nous cherche. Sans doute n’est-ce pas seulement pour la critique, mais pour toute entreprise de connaissance qu’il faut affirmer: "Regarde, afin que tu sois regardé." (Jean Starobinski, L'œil vivant, 1961)
A lire et relire avant chaque exercice de critique, non pas comme simple mise en garde mais bien comme rappel à l’ordre, tant s’adonner à la critique ne va pas de soi, qu’elle suppose une discipline. Ces "musiques rassurantes" dont parle Starobinski, on ne les connaît que trop bien, ce sont tous ces arguments qu’on avance, les pensant implacables, pour justifier notre réception d’une œuvre, au nom du "bon goût" (le nôtre), d’une "certaine morale" (la nôtre)... empressé que l’on est d’imposer ce qui n’est à ce stade qu’un avis, quand ce n’est pas un jugement, loin de ce que devrait être une critique: un vrai travail du regard, le temps - pas nécessairement long - que le film que j’ai vu, j’ai su le regarder, afin que la réception devienne recueil et que, fort de toutes ces choses que le film m’a soumis, je puisse y répondre, de manière plus ou moins complète - parfois c’est raté, on n’y arrive pas -, en tous les cas, de façon la plus objective, mais une objectivité subjective (la vérité est là), qui maintienne l’équilibre entre le "point de vue" (trop haut) et les "impressions" (trop proches). Une sorte d’entre-deux... sachant que l'exercice critique relève aussi du fantastique.
Mais peut-être aussi la critique a-t-elle tort de vouloir à ce point régler l’exercice de son propre regard. Mieux vaut, en mainte circonstance, s’oublier soi-même et se laisser surprendre. En récompense, je sentirai, dans l’œuvre, naître un regard qui se dirige vers moi: ce regard n’est pas un reflet de mon interrogation. C’est une conscience étrangère, radicalement autre, qui me cherche, qui me fixe, et qui me somme de répondre. Je me sens exposé à cette question qui vient ainsi à ma rencontre. L’œuvre m’interroge. Avant de parler pour mon compte, je dois prêter ma propre voix à cette étrange puissance qui m’interpelle; or, si docile que je sois, je risque toujours de lui préférer les musiques rassurantes que j’invente. Il n’est pas facile de garder les yeux ouverts pour accueillir le regard qui nous cherche. Sans doute n’est-ce pas seulement pour la critique, mais pour toute entreprise de connaissance qu’il faut affirmer: "Regarde, afin que tu sois regardé." (Jean Starobinski, L'œil vivant, 1961)
A lire et relire avant chaque exercice de critique, non pas comme simple mise en garde mais bien comme rappel à l’ordre, tant s’adonner à la critique ne va pas de soi, qu’elle suppose une discipline. Ces "musiques rassurantes" dont parle Starobinski, on ne les connaît que trop bien, ce sont tous ces arguments qu’on avance, les pensant implacables, pour justifier notre réception d’une œuvre, au nom du "bon goût" (le nôtre), d’une "certaine morale" (la nôtre)... empressé que l’on est d’imposer ce qui n’est à ce stade qu’un avis, quand ce n’est pas un jugement, loin de ce que devrait être une critique: un vrai travail du regard, le temps - pas nécessairement long - que le film que j’ai vu, j’ai su le regarder, afin que la réception devienne recueil et que, fort de toutes ces choses que le film m’a soumis, je puisse y répondre, de manière plus ou moins complète - parfois c’est raté, on n’y arrive pas -, en tous les cas, de façon la plus objective, mais une objectivité subjective (la vérité est là), qui maintienne l’équilibre entre le "point de vue" (trop haut) et les "impressions" (trop proches). Une sorte d’entre-deux... sachant que l'exercice critique relève aussi du fantastique.
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