jeudi 20 août 2020

The Kinks, une odyssée




6 Denmark Terrace.

La maison d'enfance de Ray et Dave Davies dans la quartier de Muswell Hill au nord de Londres.

L'histoire (connue) des Kinks et de Ray Davies, l'ultime Englishman, racontée par Neil Spencer dans Rock & Folk, à l'occasion de la sortie fin 2008 du coffret six-CD Picture Book qui rassemblait, outre une sélection des meilleurs titres du groupe, de nombreuses démos et autres outtakes, couvrant 40 ans de carrière, dont par exemple Don't Ever Let Me Go (1964), l'ébauche de "You Really Got Me", I Go to Sleep (1965), qui restera au stade de maquette jusqu'à ce que Chrissie Hynde et les Pretenders le reprennent et en fassent un tube, Time Will Tell (1965), outtake de The Kink Kontroversy, Lavender Hill (1967), outtake de Something Else, Berkeley Mews (1970), la face B de "Lola"...

L’histoire collective du quatuor commence dans les quartiers miteux du Nord de Londres au début des années 60. Ray et Dave, adolescents exclus du système scolaire britannique, sont frappés par le virus de la musique touchant leur génération. Le groupe qui balance du blues et du rock’n’roll dans les pubs, caves et salles des fêtes poussiéreuses a plusieurs noms (les Ramrods, les Bo Weevils, les Ravens) et divers membres dont Rod Stewart pour deux concerts. Bientôt, le copain de classe de Ray, Pete Quaife, s’installe à la basse, puis Mick Avory, un batteur de jazz, arrive grâce à une petite annonce dans un magazine musical. Au début de 1964, ils deviennent les Kinks. Le nom est l’idée de leurs managers, Robert Wace et Grenville Collins, deux hommes d’affaires de la bonne société en quête d’excitation. Les vêtements fétichistes (kinky) - cuir et harnachements truffés de sous-entendus sexuels - sont à la mode et le groupe posera même pour des photos avec capes et fouets. Les Kinks foirent leur audition pour Philips Records, mais une bande se retrouve entre les mains du producteur Shel Talmy qui leur décroche un contrat avec Pye Records, petit label qui se démène pour suivre l’explosion du Merseybeat. Les managers des Kinks s’associent avec Larry Page, personnage influent du show-business qui, à l’inverse de Wace et Collins, connaît les rouages du métier. Il leur obtient un contrat d’édition musicale sur lequel il prend sa part et alimente les médias. Même si leurs deux premiers singles sont des flops - une reprise de "Long Tall Sally" de Little Richard et "You Still Want Me" sous influence Merseybeat - ils se font remarquer dans les magazines pour adolescentes et passent dans l’émission télé la plus branchée du pays, Ready Steady Go! Leurs managers s’assurent qu’ils n’ont pas que leur musique à proposer. Le groupe arbore des costumes de chasse version pop: vestes écarlates, chemises blanches à jabots, le tout couronné par les cheveux les plus longs de la ville. C’est le "gang hirsute" comme l’annonce un présentateur à la radio sur le premier titre de Picture Book.
Lorsque "You Really Got Me" sort au printemps 1964, ce troisième single embrase tout et file vers la première place où il reste. Les Kinks font irruption dans la psyché nationale comme un quatuor de chevelus lascifs et Ray, avec ses dents du bonheur, est tout sauf le gendre idéal. Derrière lui, Dave, 17 ans, balance des riffs tueurs, sa guitare hurlant comme aucune autre. Car si "You Really Got Me" n’est rien qu’une version dopée de "Louie Louie", il en a personnalisé le son, découpant les cônes de haut-parleur de son petit ampli Elpico (connu ensuite sous le nom de petit ampli vert) pour créer une attaque électrique primaire qu’on qualifiera au fil du temps de proto-metal ou de proto-grunge. C’est aussi le riff qui a inspiré Eddie Van Halen d’empoigner une guitare électrique.
Le groupe enchaîne avec "All Day and All of the Night", autre cri d’amour frénétique, puis travaille "de façon herculéenne" selon Ray. En quinze mois, les Kinks ont enregistré trois albums, deux EP et six singles qui montrent leur évolution rapide. Si "I Go to Sleep" ne dépasse pas le stade de la maquette, il y a le traînant "Tired of Waiting for You", le sarcastique "I Need You", la tendresse étonnante de "Stop Your Sobbing"... Sur Picture Book, on découvre également de brillantes démos de "There’s a New World Opening for Me" et "All Night Stand" où l’on peut voir Ray Davies affûter son écriture sur le R&B rudimentaire qui lui sert d’ordinaire.

Par-dessus tout, en juillet 1965, il y a "See My Friends", avec ses drones de sitar étranges et ses paroles hermétiques qui, quelques mois avant "Norvegian Woods", marque l’introduction de la musique indienne dans la pop. L’atmosphère orientale planante coïncide avec les premières vapeurs de patchouli sur Londres, mais Ray n’a rien d’un pionnier hippie. Lors d’une escale à Bombay au cours d’une tournée australienne, il a entendu un pêcheur indien chanter à Chowparti Beach, et ce souvenir, gravé dans sa mémoire, sert de base à "See My Friends".

Mais de quels "amis" parle-t-il? Ray a toujours exsudé quelque chose d’efféminé, un certain dandysme à la mode de Carnaby Street qui a encouragé les jeunes hommes à porter du velours, des couleurs vives et des cheveux longs. "La chanson parle, dit Ray, à un journaliste, d’homosexualité... d’un mec normal, mais qui devient plus ou moins gay à causes des mauvaises expériences qu’il a eues avec les filles."
La qualité de l’écriture de Ray et l’envie du groupe d’expérimenter musicalement permettent aux Kinks de se distinguer sur la scène pop anglaise. Parmi les autres chevelus en boots et costumes cintrés, les Kinks sont plus brutaux, plus grands, mieux habillés. Ils ne font pas partie du chic Swinging London - stars de cinéma et artistes que fréquentent de plus en plus les Beatles - ni de l’aristocratie décadente que les Stones se sont appropriée. Ils demeurent quatre types d’un quartier démodé du Nord de Londres, ce dont Ray est parfaitement conscient. L’adolescente qu’il a récemment épousée est enceinte et le couple habite dans un petit pavillon respectable, une situation à laquelle tentent d’échapper la plupart des groupes et leurs fans. Au sein des Kinks, on redoute que cette vie rangée assèche le flot ininterrompu de hits de Ray Davies.
Par contraste, les Kinks ont la réputation d’être des fauteurs de trouble sur scène et dans le civil. A 18 ans, Dave est le plus déchaîné et sa relation avec son frère est basée sur les conflits constants et la rivalité. C’est encore pire entre Avory et lui, allant jusqu’à une bagarre sur scène à Cardiff où Dave finit à l’hôpital à cause d’un coup de pédale de batterie. A Copenhague, le groupe est au centre d’une émeute. Il y a des concerts annulés à la dernière minute et des accès de mauvais humeur sur scène: le public français a droit à un show où le groupe ne joue que "You Really Got Me".
Le refus de Ray de suivre la règle du jeu culmine lors de la première tournée des Kinks en Amérique à l’été 1965. A l’époque, il conteste déjà le contrat d’édition qu’il a signé avec Page car, même s’il a composé une série de singles vendus à millions, il subsiste toujours avec les 40 livres hebdomadaires allouées par le management. Devant partager une affiche avec les Beach Boys au Hollywood Bowl, Ray refuse de jouer tant que Wace et Collins n’auront pas viré Page. Pire encore, Ray et le groupe ont une conversation agitée avec un membre du syndicat des musiciens américains qui les accuse d’être des communistes détestant les USA. Cet incident et leur attitude sur scène leur valent une exclusion par le syndicat qui nuira à leur carrière outre-Atlantique durant des années.
Il leur reste cependant des endroits où tourner (Europe, Australie et Royaume-Uni) et les Kinks passent la fin de l’année et le début de 1966 sur la route. Ils n’en sont pas moins prolifiques. Un nouveau single, "Till the End of the Day", précède leur troisième album, The Kink Kontroversy, un progrès flagrant par rapport aux standards de R&B dominant leur deux premiers albums, Kinks et Kinda Kinks.
Malgré les pressions de la vie en tournée et de sa famille à la maison, Ray continue de chercher un son plus profond, plus riche en émotions et fait tourner à plein régime ses talents de compositeur. Au début de 1966 arrive un nouveau genre de chanson des Kinks: "A Well Respected Man" raille un gentleman de la haute société - modelé sur Robert Wace - et des désirs sexuels camouflés sous une façade raffinée. "Dedicated Follower of Fashion", portrait d’un dandy du Swinging London, dont la phrase "lorsqu’il remonte ses sous-vêtements de nylon froufroutants" fait allusion à l’homosexualité, est encore meilleure.
Auprès d’un public anglais imprégné de satire - l’ironie est un passe-temps national - cette nouvelle tendance marche aussitôt et les Kinks redeviennent ceux qui donnent le ton.
Cependant, Ray paye cher son succès et en mars 1966, il s’effondre physiquement et mentalement. Débarquant à Denmark Street, le Tin Pan Alley londonien, il agresse son attaché de presse qui appelle la police. Après une course-poursuite digne d’un dessin animé, Ray est embarqué en taxi par un médecin et alité de force. En 1977, Ray a raconté au NME: "J’étais un zombie. Je n’avais pas arrêté depuis nos débuts et je devenais complètement fou. Je suis allé me coucher et me suis réveillé cinq jours plus tard avec barbe et moustache. Le groupe, lui, était parti en tournée."
Effectivement, avec un guitariste embauché d’urgence et Dave savourant son rôle de leader. Aïe.
La dépression de Ray ouvre le deuxième et meilleur chapitre de l’histoire des Kinks. Il a effrayé tout le monde, y compris lui-même. Sans les tournées, il peut se reposer et même s’il "essaie de ne pas écrire", les chansons déboulent sans prévenir. Parmi celles-ci, "I’m Not Like Everybody Else", "End of the Season" et "Sunny Afternoon" dont l’atmosphère mélancolique va définir le long été brûlant de 1966, pratiquement en même temps que Aftermath des Stones et quelques semaines avant Revolver des Beatles.
Le Royaume-Uni est à ce moment-là en pleine euphorie collective. Un nouveau gouvernement socialiste vient d’être élu, grâce aux votes des baby boomers devenus majeurs. Bientôt l’équipe anglaise de football aura la coupe du monde entre les mains. A Buckingham Palace, les Beatles ont reçu leur décoration de Membres de l’Empire Britannique, geste symbolisant bien le pacte entre l’ordre établi et la jeune génération qu’il ne comprend pas et commence à redouter.
"Sunny Afternoon" fait partie de la révolution sociale avec son aristocrate ruiné, accablé d’impôts socialistes, qui somnole sur la pelouse d’un manoir qu’il va bientôt perdre. Tendre moquerie sur fond de musique de music-hall fin de siècle, avec une touche de jazz... On est loin du sarcasme stonien de "Play with Fire". Dix ans plus tard, Greil Marcus décrira la chanson comme "une ode à l’ennui de la haute société dans laquelle le chasseur a été capturé par le gibier".
Ray est désormais capable d’habiter n’importe quelle vie qu’il décrit. Il a trouvé son sujet, celui qui va l'occuper pour le restant de la carrière du groupe et au-delà: le mode de vie anglais. Sur l’album suivant des Kinks, Face to Face, ses chansons adoptent le rôle d’une mère suppliant sa fille ("Rosie won’t You Please Come Home"), d’une fashion victim ("Dandy") et le single, "Dead End Street", celui d’un couple pris au piège de la pauvreté. Au printemps 1967, son "Waterloo Sunset", sans doute le summum du groupe, morceau célébrant la vie ordinaire et les plaisirs du foyer. Inspiré en partie par les souvenirs d’enfance de Ray - il était à l’hôpital, avec vue sur la "dirty old river" dont il parle - "Waterloo Sunset" réussit à faire s’émerveiller sur des banalités.

1967, l’année de Sgt Pepper... ne réussit pas aux Kinks. Pour commencer, ils sont en procès avec leur ancien manager, Page. Et ils ne font pas bon ménage avec la culture hippie. Bien sûr, ils portent des chemises à fleurs et Ray se laisse pousser la moustache. Lorsque Dave décroche un hit inattendu au cours de l’été 1967 avec "Death of a Clown", il arbore une tenue aussi flamboyante que le kaftan de tout bon hippie. Cependant, l’acide et le mysticisme ne sont pas pour Ray: au lieu de lire Hermann Hesse et Le Livre des morts tibétain, il écrit "Autumn Almanac", célébration sentimentale de la classe ouvrière anglaise. Les Kinks ne répondent pas non plus à l’appel des volutes d’orgues et des solos de guitares prog - ils préfèrent utiliser des cuivres et des refrains à reprendre en chœur au pub – et à l’âge de l’album, ils restent un groupe à singles avant tout. En conséquence, ils sont de plus en plus souvent considérés comme des poids légers au lieu de l’avant-garde d’une nouvelle ère de rock sérieux venue des USA, où ils sont toujours bannis. Leur album suivant, Something Else, n’a pas grand impact, même si y figure "David Watts", repris une décennie plus tard par The Jam, et le superbe "Two Sisters" et sa ligne de clavecin. Comme la face B perdue "Big Black Smoke" (absente de Picture Book), c’est une peinture touchante de la vie de famille.
Coupés d’une scène musicale en pleine évolution, mal conseillés, incapables d’obtenir des concerts en raison de leur côté imprévisible et sans Pete Quaife, victime d’un accident de voiture, les Kinks réagissent en enregistrant l’album jugé à présent comme leur apogée, The Kinks Are the Village Green Preservation Society, mais qui, à sa sortie à l’automne 1968, se vend mal et n’entre pas dans les charts. C’est un exercice de nostalgie et une apologie de la tradition, ode à l’Angleterre rurale et banlieusarde et à ses excentricités.
Bien qu’anti-psychédélique dans la structure de ses chansons, il n’est pas si décalé par rapport à l’air du temps. Après tout, c’est un tournant dans le développement du concept album, bien plus abouti que ses rivaux, et puis les hippies anglais ont toujours éprouvé une nostalgie pour le monde bucolique de l’enfance.
Ray Davies craint également que Village Green... signe la fin des Kinks. "Days", le single sorti en 1968 et à l’origine destiné à l’album (anglais), est accueilli comme une chanson d’amour, mais il s’agit de son adieu au groupe: "Et bien que tu sois parti, tu resteras avec moi chaque jour de ma vie, crois-moi."
Au sein des Kinks, les vieilles jalousies font à nouveau rage. Le départ de Pete Quaife marque effectivement la fin de la première phase de leur histoire.
Au moment où les Kinks sont sur le point d’exploser à l’automne 1969, Ray réagit et recrute un nouveau bassiste, John Dalton, alors que l’interdiction du groupe de jouer aux USA est levée. "On a promis d’être sages", dira plus tard Ray.

L’Amérique où les Kinks retournent est très différente de celle qu’ils ont connue cinq ans plutôt. Comme le prouvera Woodstock, les groupes sont désormais jugés sur leur capacité à jouer fort et de façon théâtrale, à l’instar des Who, des Stones ou de Jimi Hendrix. Les Kinks, se débattant avec leur nouveau matos, se retrouvent dans des dancings minables, derrière des groupes hippies du genre Spirit ou, pire encore, des Who qu’ils considèrent comme des copieurs et dont l’opéra-rock Tommy est préféré à leur nouveau concept-album, Arthur (Or the Decline and Fall of the British Empire). Ehontément personnel et nostalgique, Arthur... est un épisode de plus dans la quête de Ray du portrait parfait de l’Angleterre d’après-guerre. Il donne lieu à un hit mineur, "Victoria", mais demeure strictement un disque culte.
Ray a cependant un atout dans sa manche. En juin 1970, un nouveau single, "Lola", atterrit dans les bacs, histoire brillante d’un hétéro dupé par un travesti et un moment clé dans le traitement de l’ambiguïté sexuelle dans la pop. Hit énorme des deux côtés de l’Atlantique, il réintroduit les Kinks dans la course et l’album qui suit, Lola versus Powerman and the Moneygoround, marche bien malgré ses commentaires acerbes sur le milieu de la musique. Il en est extrait un autre succès, le facétieux "Apeman".
A cette période, les ambitions de Ray sont réaffirmées de façon spectaculaire. Il renvoie ses managers et négocie un nouveau contrat avec RCA avec, à la clé, une avance d’un million de dollars qui permet à Dave et lui de construire leur propre studio du Nord de Londres, Konk (toujours en activité aujourd’hui).
Le concept-album que Ray soumet à RCA, Muswell Hillbillies, parle de l’exil de la classe ouvrière vers les banlieues. Avec cuivres et une forte influence country, il explore la relation entre l’Angleterre et les Etats-Unis et sera, dans les années à venir, considéré comme un chef-d’œuvre, même si en 1971, c’est un échec.
Les Kinks ne s’en émeuvent pas. Tout va bien pour eux aux USA où ils reprennent beaucoup de leurs succès des sixties. Au début des années 70, ils mènent des existences parallèles entre les concerts et l’obsession de Ray pour l’Angleterre, une division évidente sur le double disque de 1972, Everybody’s in Showbusiness, avec une moitié live et une moitié studio qui médite sur une préoccupation grandissante, les errances de la célébrité. Les Kinks sont à présent une sorte de troupe de théâtre, Ray Davies et ses musiciens, comprenant choristes, section de cuivres et un joueur de claviers, John Gosling. Ray s’habille comme ses personnages ou arbore d’énormes lavallières de l’époque du music-hall. Il va mal, est toujours sous le choc du départ de sa femme, Rasa, en 1973, qui l’a conduit à une tentative de suicide lors d’un concert à Londres en première partie de Sly Stone. Ironiquement, alors qu’il avale des pilules et annonce qu’il quitte le show-business pour toujours, son micro est coupé. Plus gravement, sur le plan créatif, Ray semble tourner en rond. En 1973, Preservation Act 1 et ... 2, censés former un double album mais sortis séparément, développent jusqu’à l’ennui les thèmes abordés sur The Village Green... et pourtant, deux hits mineurs en sont tirés, "Sitting in the Midday Sun" et "Sweet Lady Genevieve". Evidemment, c’est un flop. Pourtant, Ray n’est pas à court d’idées. Il écrit une pièce pour la télé, Starmaker, qui ne marche pas, puis un autre concept-album, Soap Opera, et lance son label Konk sur lequel il fait signer quelques groupes dont les débutants Café Society.
Alors que les dissensions font rage au sein des Kinks, Ray - qui compte les transformer en groupe de rock pour stades - réussit un gros coup en négociant un nouveau contrat avec Arista en 1976. Schoolboys in Disgrace, autre disque autobiographique, marque un retour en forme. Il y a plus de rock avec "The Hard Way" et "No More Looking Back", et des histoires (portant surtout sur l’enfance londonienne) bien présentées sur scène.

Les Kinks prennent la sage décision de se consacrer à l’Amérique. Tandis que leur réputation se dégrade dans leur pays, aux USA un jeune public les voit comme un groupe de rock fun plutôt que des vestiges des années 60. Epaulés par des tournées incessantes, leurs disques de fin des seventies - Misfits (et son petit hit "Rock’n’Roll Fantasy"), Sleepwalker en 1978 et Low Budget en 1979 - grimpent dans les charts américains. Commercialement, ils sont à leur apogée et se produisent enfin au Madison Square Garden.
Créativement, aussi, l’heure est à la réflexion pour eux. Des groupes comme The Jam ou les Pretenders reprennent leurs vieilles chansons et Van Halen s’est approprié "You Really Got Me". Dans la guerre du punk, les Kinks ne sont pas vraiment ennemis. La position de Ray est compliquée par ses relations avec Tom Robinson de Café Society qui quitte Konk pour une carrière solo. Mais Ray sera assez malin pour conserver les droits des tubes de Robinson, "2-4-6-8 Motorway" et "Glad to be Gay". Ce qui ne l’empêche pas d’écrire le satirique "Prince of the Punks" (qui ne figure pas sur Picture Book) à propos de Robinson.
En fait, Ray n’apprécie pas vraiment le côté brut de décoffrage du punk et sur Low Budget, il compose des chansons efficaces et commerciales comme "Gallon of Gas" et "Catch Me Now I’m Falling" qu’il met en boîte à New York pour couper le groupe de sa zone de confort du Nord londonien. Leur succès encourage finalement Dave à enregistrer ses propres albums solo.
Les Kinks ont conquis l’Amérique et surfent sur leur succès durant quelques années encore, sortant en 1981 The People What They Want, vision intraitable de la façon dont fonctionnent les médias, même si son morceau central, "Yo Yo", parle des luttes de pouvoir au cours d’un mariage. State of Confusion en 1983 est disque d’or aux USA et ne laisse aucune trace dans les classements anglais, à l’exception du hit mineur "Come Dancing", regard nostalgique sur l’époque des bals, présent sur Picture Book sous forme d’une (peu satisfaisante) démo.
Mais le succès commercial dissimule d’énormes troubles. Ray est à présent marié en troisièmes noces avec Chrissie Hynde, leader des Pretenders, qui a mis au monde une fille. Leur histoire orageuse va bientôt s’achever. Ray est très occupé par un projet télévisuel, Return to Waterloo, sur un banlieusard qui s’imagine être un tueur en série. Au sein du groupe, les relations entre Dave Davies et Mick Avory n’ont jamais été aussi houleuses et Ray doit finalement choisir entre son frère et son batteur. Ce dernier s’en va.
Ce n’est pas étonnant si Word of Mouth en 1984 est un album décousu et décevant: plusieurs chansons figurent déjà sur Return to Waterloo, une boîte à rythmes remplace Avory par endroits et le meilleur morceau, "Living on a Thin Line", est signé Dave. Le single "Do It Again" sera le dernier des Kinks à pénétrer les classements américains.
S’ils vont survivre nominalement pendant une décennie, avec divers changements de personnel derrière Ray et Dave, les Kinks sont devenus un groupe fantôme. Ils tournent, sortent des disques, mais ne survivent que par la volonté de Ray et son refus de se retirer avec grâce. Picture Book compile le meilleur de leur long déclin et pioche dans Think Visual (1986), UK Jive (1989) et Phobia (1993), même si "Hatred", où Ray et Dave se moquent de leur relation agitée, manque à l’appel. Tout comme "Working in the Factory" et "Did Ya", de meilleures chansons que l’horrible "Phobia"... Désormais incapables de décrocher un contrat, les frères se tournent vers leur label Konk pour leur dernier acte, To the Bone, live issu des tournées de 1993-1994 où ils interprètent leurs premiers succès en versions acoustiques. Les Kinks ont déjà été intronisés au Rock and Roll Hall of Fame en 1990 en même temps que les Who et les Four Tops. Ray reçoit la récompense avec son sarcasme habituel. "En voyant tout ce monde, je me rends compte que le rock est devenu respectable. Quelle horreur!"

On note un decrescendo sur les deux derniers CD de Picture Book alors que les Kinks tentent de vieillir avec grâce, vrai dilemme du rock’n’roll, sachant qu’ils ne pourront jamais surpasser l’impact de leurs premières chansons. Même les louanges d’une nouvelle génération de groupes (Blur, Oasis, Pulp) ne peuvent pas les sauver de leur redondance affichée.

Cependant, Ray est un personnage trop mercurial pour simplement disparaître et ses trois albums solo subséquents (Storyteller en 1996, Other People’s Lives en 2006 et Working Man Café en 2007) sont bien plus plaisants que la production des Kinks de l’époque, chéris du college rock américain. Ray a également écrit sa propre biographie non autorisée, X-Ray (1994), et un recueil de nouvelles, Waterloo Sunset, décrit comme "un concept-album sur papier". L’année dernière, Ray a réalisé un vieux rêve: monter une comédie musicale. Come Dancing est, comme la chanson éponyme, un regard sur l’époque des bals dans les années 50 et, après une belle saison dans le West End londonien, semble promis à un succès grand public. Il y a quelques années, Ray remarquait: "Si je pouvais refaire ma vie, je ferais tout différemment." Peut-être mais, à présent, il semble un peu plus satisfait. Inutile d’attendre un retour des Kinks - Dave se remet ces jours-ci d’une crise cardiaque - mais un album de vieilles chansons enregistrées avec des "amis" et sir Ray Davies reste une possibilité. Il est, après tout, le plus grand Anglais vivant. Sérieusement. (Neil Spencer, Rock & Folk n°498, février 2009)

Mon Top Kinks 1964-71:

- You Really Got Me, single, 1964

- All Day and All of the Night, single, 1964
- Tired of Waiting for You, single, 1965
- Set Me Free, single, 1965
- See My Friends, single, 1965
- Till the End of the Day, single, 1965
- What Have All the Good Times Gone, face B de "Till the End of the Day", 1965
- Sunny Afternoon, single, 1966
- Rosie Won’t You Please Come Home, Face to Face, 1966
- You’re Lookin’ Fine, Face to Face, 1966
- Dead End Street, Face to Face, 1966
- Waterloo Sunset, single, 1967
- Love Me Till the Sun Shines, single, face B de "Death of a Clown", 1967 (Dave Davies)
- Two Sisters, Something Else by the Kinks, 1967
- No Return, Something Else by the Kinks, 1967
- Lazy Old Sun, Something Else by the Kinks, 1967
- End of Season, Something Else by the Kinks, 1967
- Days, single, 1968
- The Village Green Preservation Society, The Kinks Are The Village Green Preservation Society, 1968
- Do You Remember Walter The Kinks Are The Village Green..., 1968
- Picture Book, The Kinks Are The Village Green..., 1968
- Village Green, The Kinks Are The Village Green..., 1968
- Mr. Churchill SaysArthur (Or the Decline and Fall of the British Empire), 1969
- This Time Tomorrow, Lola versus Powerman and the Moneygoround, Part One, 1970
- Powerman, Lola versus Powerman..., 1970
- The Way Love Used to Be, Percy, 1971.
- Just Friends, Percy, 1971
- Kentucky Moon, Muswell Hillbillies, 1971

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