lundi 10 août 2020

Viva Zapatow !

The King of Staten Island de Judd Apatow.

"Le cinéma doux-amer ou aigre-doux d’Apatow, c’est comme le sucré-salé - je ne sais pas pourquoi, je pense à un truc yiddish: le veau farci au raisin et à la cannelle -, il suffit d’un peu trop de sucré pour que ça devienne mielleux, et inversement, d’un peu trop de salé pour que ça devienne graveleux... Si Apatow n’a jamais fait dans la subtilité, le style de ses comédies repose néanmoins sur un savant dosage de vulgarité et de tendresse, de drôlerie et d’inquiétude, de férocité et d’émotion... En choisissant pour son dernier film, Funny People, la figure du stand-up, Apatow prenait un risque. Le stand-up c'est avant tout une question de rythme (c'est d'ailleurs dit dans le film). Une bonne vanne, lancée sur un mauvais rythme, risque de tomber à plat, alors qu’une mauvaise, si le rythme est bon, a toutes les chances de passer. Problème d’allure donc. Funny People manque-t-il d’allure? Pas vraiment. Le film a au contraire de l’allure, au sens où il fait preuve d’une réelle originalité, à défaut de rigueur, dans la conduite, totalement imprévisible, sinon cyclothymique, de sa narration. Sauf que le rythme n’est pas toujours adapté: ça commence à la bonne vitesse, puis ça ralentit, plus ou moins dangereusement, puis ça reprend de la vitesse, et puis ça ralentit à nouveau, ça patine même complètement, avant de repartir, pépère..."



Voilà ce que j'écrivais il y a une dizaine d'années à propos de Funny People, un film déroutant, pas spécialement aimable et pourtant attachant, ne serait-ce que par sa forme, plutôt flasque, s'étirant sur près de deux heures trente, avec ses envolées et ses tunnels, ses traits de génie et ses coups de barre... car l'intérêt de ce genre de film c'est que justement, à l'image du stand-up, ça fonctionne surtout sur le long cours. The King of Staten Island est du même tonneau, le film est presque aussi long, il est confié à des spécialistes du stand-up, Pete Davidson et Bill Burr ayant pris le relais d'Adam Sandler et Seth Rogen... et, à bien des égards, épouse la même structure, en phase avec le caractère indolent de son héros et son allure dégingandée. Sauf que ce qui marchait mais de façon "laborieuse" dans Funny People, comme les premiers pas d'un adepte de stand-up, se révèle dans The King... plus performant, comme si l'expérience avait joué, que le métier finissait par rentrer. Cela tient au personnage incarné par Pete Davidson, son évolution, pas au sens de maturation, nul "apprentissage" ici (le personnage conserve son côté immature, à l'instar d'un Jerry Lewis à qui d'ailleurs il fait penser quand il accompagne les enfants du "beau-père" à l'école), mais simplement d'adaptation, fait de hauts et de bas, de tensions et de relâchements, d'avancées et de surplaces, avec cette particularité que dans The King... c'est moins le sujet qui tente de s'adapter au monde que l'inverse, et ce à travers l'expérience que constitue non pas une vie de pompier, comme avait été celle du père, mais de vivre au milieu des pompiers, un vécu à valeur évidemment cathartique (on sait que Pete Davidson, qui a écrit le scénario avec Apatow, a lui-même perdu son père pompier, quand il était enfant, mort en intervention lors des attentats du 11 septembre) et dont la beauté réside dans le fait que s'y devine une ligne de force qui vient contredire l'aspect déstructuré, voire invertébré, du film. Et cette ligne, comme dans bon nombre de (bons) films américains, passe par la figure du Père. Pas la figure en soi, mais la façon dont elle est travaillée, ici à travers les tatouages et leur symbolique. De ceux que l'on se fait sur soi, comme autant de scarifications, à celui qu'on finira par graver, véritable tableau, sur le dos du "beau-père", qui est la copie du père (et son dos une page blanche), en passant par ceux qu'on exécute sur le corps des copains, qui servent alors de "cahiers de brouillons", et celui, avorté, sur le bras du gamin qui, lui, servira de médiateur (via toujours les dessins) dans le processus compliqué de réconciliation avec l'image du père... Des tatouages qui remplissent le film, symboles tout à la fois d'un mal-être, d'un besoin de reconnaissance et, in fine, d'un (ré)attachement au père. La ligne est là, qui n'a rien de lâche, au contraire bien solide, sur laquelle peuvent se développer toutes les déformations scénaristiques possibles, justifiant la durée du film, qui fait au bout du compte de The King of Staten Island un film merveilleux (le plus beau - avec Hotel by the River de Hong Sang-soo et Eva en août de Jonás Trueba - des films post-confinement vus jusqu'à présent), encore plus brooksien que Funny People, où il ne s'agit plus de concilier punchlines et notes mélancoliques, mais de laisser vivre le film en l'état, de le laisser s'épanouir, sans (trop) s'occuper du temps que ça prendra, d'abord parce que s'il y a quand même maturation, c'est de la lente maturation des fleurs, soumises à leur environnement, dont il est question ici, mais surtout parce que les choses qui doivent mûrir dans le film (pour être acceptées) ne mûrissent pas à la même vitesse, que le temps qu'il faut à Scott (Pete Davidson, qui a choisi pour le rôle le prénom de son père) ne peut être que plus long, déjà naturellement mais aussi de par son côté glandeur (Tanguy également), son recours à la drogue et aux antidépresseurs, comparativement au temps nécessaire à Ray (Bill Burr) et à Margie la mère (Marisa Tomei) pour reformer un couple, ce qui les oblige à patienter, créant de nouvelles tensions... Des différences de régimes que le film n'accentue pas, qu'il ne cherche pas non plus à atténuer, mais qu'il respecte, ni plus ni moins, et c'est en cela aussi qu'il est si beau. 

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