Les Olympiades de Jacques Audiard (2021).
La carte et le territoire.
Avec les Frères Sisters, je ne sais pas si Audiard, à l’instar de l’improbable chimiste du film, avait lui aussi trouvé la formule qui permet non pas de transformer son art en or mais d’y révéler quelques secrets dorés qui jusque-là étaient restés cachés, le fait est que ce film était sûrement son meilleur, arrivant après Dheepan qui, lui, était assurément le pire. A quoi cela tenait-il? Peut-être au genre, le western, et son univers traditionnellement couillu, régi par la violence, dans lequel s'était comme dilué le cinéma naturellement viril d'Audiard, d'autant qu'au personnage immature de Charlie, l'incarnation même de cette violence, se trouvaient associés non seulement Eli le frère aîné, plus sensible, qui pleure la mort de son cheval et s'endort avec le châle de sa bien-aimée (les frères Sisters, ce n'est pas les frères James), mais aussi deux idéalistes, le chimiste en question, qui rêvait de phalanstère, et un détective, amoureux de la nature, qui, lui, convoquait Thoreau. Peut-être... mais surtout par le mouvement qu'Audiard imprimait à son film, sorte de retour aux origines, qui mêlait au récit œdipien, sinon shakespearien, et au mythe de Castor (le dompteur de chevaux) et Pollux (le boxeur), une forme plus ample de "régression" (le giron maternel), à la fois picaresque et comique, avec ce que cela suppose d'initiatique, d'épreuves à surmonter, combinées évidemment à la figure du père — le Commodore (une sorte de spectre, comme dans Hamlet), mais également Mayfield (la "tenancière" du saloon), tout marchait par deux dans le film —, pour rejoindre, via le personnage de la mère, ces deux autres figures maternelles, matricielles, que sont Lilian Gish dans la Nuit du chasseur (que rappelait aussi la rivière étoilée) et Olive Carey dans la Prisonnière du désert (le retour à la maison filmé dans l'encadrement d'une porte). Soit l'âge d'or d'Hollywood, une autre forme de retour aux sources. Fort de ça, Les Olympiades, le nouveau film d'Audiard, avec sa référence "olympique", pouvait être vu, du moins attendu, prolongeant le précédent, comme un film pérecquien, une sorte de souvenir d'enfance... Las, Audiard a préféré tourner la page, se disant qu'il allait répondre à ses détracteurs qui lui reprochent (entre autres) le manque d'incarnation de ses figures féminines...
Il s'est dit: "OK, je vais faire comme Garrel aujourd'hui, des histoires de cul à Paris et en noir et blanc mais écrites par deux nanas, qui permettent de sortir du cinéma masculino-centré, et même franchement burné pour ce qui est du mien, de mon cinéma. Du Garrel donc, et même mieux, qui aille plus loin que lui dans le sexuel et surtout la représentation des minorités, notamment ethniques, qui ne se limite pas à quelques franco-maghrébins injectés ici et là, mais témoigne d'une vraie mixité, beaucoup plus dense... dans le 13ème ce sera parfait... avec une petite "Chinoise" qui couche avec un grand Noir, lequel après couche avec une belle Blanche, laquelle rencontre via Skype une autre Blanche (en l'occurrence une cam-girl), l'amour finissant par naître de leur rencontre, alors que le Noir retrouve la première fille (comme chez Rohmer mais avec un Noir), les deux, le Noir et la "Chinoise", finissant, eux aussi, par s'avouer leur amour... Ce sera génial, Garrel + Rohmer pour parler de la génération Y, celle des "connectés" en tous genres, à l'ère d'Internet et des smartphones, et de la circulation du désir — certains évoqueront Ophuls, mais moi je pense surtout à Schnitzler qui, à propos de La Ronde qu'il estimait trop en avance sur son temps, disait qu'on en découvrira la portée que dans une centaine d'années au moins, eh bien voilà on y est... Et pour raconter tout ça, m'adjoindre les services d'une scénariste qui sait entrelacer les fils du narratif (comme chez Desplechin) et une autre, pour la touche disons plus féministe (je verrais bien Sciamma)... Restera plus qu'à inscrire l'ensemble dans le cadre qui s'y prête le mieux, bah les Grands ensembles justement. Et dans le 13ème, rien de tel que les Olympiades, avec ses tours, ses barres, sa grande dalle, les "forteresses quadrangulaires" dont parlait Houellebecq, toute cette géométrie dans laquelle s'intégrera, s'emboîtera, la vie de mes personnages, et leur parcours semblable à des disciplines olympiques, comme le ping-pong (quartier chinois oblige) ou mieux, le 4x100m, un tour de piste, une boucle à refermer, avec passage de témoin, ce fameux flambeau qu'est le sexe ("passage obligé pour que s'opère la fusion amoureuse" écrivait encore Houellebecq)... Bref, je tiens là mon chef-d'œuvre, un truc sensuel et classieux, qui séduira le public (parce que dans l'air du temps, "branché" quoi, en plus il y aura de l'électro), qui séduira aussi, puisque j'ai changé, les critiques qui n'aiment pas le côté manhood de mon cinéma, et enfin remportera un maximum de prix (comme d'habitude, là il ne faut pas que ça change), surtout la médaille d'or, la seule qui me manque, médaille non pas olympique (lol) mais académique, celle qu'avait décernée il y a quelques années l'Académie des César à Luc Besson et que je mérite amplement vu que je suis meilleur que lui."
Ce qui est marrant c'est que Makita Samba a joué dans L'Amant d'un jour de Garrel.
RépondreSupprimerAh oui c'est marrant (j'en ai aucun souvenir)
SupprimerVous n'avez rien compris. Lisez donc le dernier Positif pour retrouver vite la raison.
RépondreSupprimerj'ai pas aimé le film mais la critique de Positif au moins est lisible alors que j'ai rien compris à celle des Cahiers
SupprimerAu contraire la critique des Cahiers est parfaitement lisible, hélas.
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