dimanche 12 mars 2023

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Ricky de François Ozon (2009).

"Ozon c'est pas Othon."
(bon mot attribué à Straub mais probablement apocryphe)

Notes sur Ozon.

1. C'est juste un caméo dans Une nouvelle amie. Après une journée de shopping bien remplie, Romain Duris, travesti en femme, et Anaïs Demoustier sont au cinéma (ils regardent Waterloo Bridge de Mervyn LeRoy), quand un type vient s'asseoir à côté de Duris et commence à lui caresser le genou. C'est Ozon lui-même qui tient le rôle du dragueur (il est crédité au générique sous le pseudo — plus néovaguien tu meurs — de François Godard). Ah la bonne blague! La scène est à l'image du film et plus généralement du cinéma d'Ozon. Du flirt. Ozon, le chouchou de Positif et de Télérama, est un cinéaste qui aime flirter, papillonner d'une idée à l'autre (ici le deuil et le travestissement), d'un genre à l'autre (le drame, la comédie...), préférant glisser à la surface des choses — confiant dans le talent de ses interprètes — plutôt que de se risquer un minimum... Ozon il ose que dalle. C'est du cinéma sans consistance, à l'émotion factice (plages musicales redondantes... la chanson de Nicole Croisille, "Une femme avec toi", reprise in extenso dans la scène du cabaret), un truc à l'identité gentiment ambiguë mais sans trouble réel (du trans bon chic bon genre), car débarrassé de tout enjeu un tant soit peu fort, Ozon ne s'embarrassant pas avec les difficultés qu'un bon récit génère inévitablement, se contentant de les balayer d'un revers de main (au détour d'une réplique) dès qu'elles se présentent, mieux: s'arrangeant pour qu'elles n'apparaissent même pas (ah l'épilogue "Sept ans plus tard"), bref du cinéma-pépère, confortablement installé dans l'air du temps...

2. Cet aspect "sur la ligne", qui ne s'aventure jamais vraiment, c'est dans Tout s'est bien passé, adapté du roman d'Emmanuèle Bernheim, qu'il se manifeste le mieux (façon de parler), alors qu'au départ tout était pourtant réuni pour sortir des rails. Si Sophie Marceau n'a pas les yeux bleus — ils sont verts (ou noisette), elle ne ressemble pas du tout à Emmanuèle Bernheim —, son regard est pétillant et elle est plutôt convaincante dans le rôle de l'écrivaine; de même qu'Eric Caravaca dans celui de Serge Toubiana, surtout que l'acteur, lui par contre, ressemble beaucoup à l'ex-critique des Cahiers et ancien directeur de la Cinémathèque. Mais c'est tout. Pour le reste, Ozon se contente d'adapter fidèlement le livre, au nom de la belle amitié qui existait avec Emmanuèle Bernheim (ils ont écrit plusieurs films ensemble), sans qu'on comprenne d'ailleurs en quoi l'amitié impose de rester fidèle au livre qu'on adapte — on s'attendrait plutôt à l'inverse (cf. Etre vivant et le savoir, adaptation pour le moins personnelle du livre par Alain Cavalier qui était aussi très ami avec Bernheim) —, sinon à quoi bon? Le pire, c'est qu'en voulant rester fidèle au livre, Ozon passe finalement à côté. L'exemple le plus criant porte sur la question du tragique et du burlesque, auxquels Ozon recourt, puisque c'est dans le livre, mais qu'il ne fait qu'appliquer, comme l'aurait fait n'importe quel réalisateur lambda: soit dans le registre du document réaliste (les scènes à l'hôpital comme si vous y étiez), où tout sonne faux, du fait de l'incapacité d'Ozon, confondant le concret (qui apporte au récit sa matière) et le véridique (dont on n'a que faire), d'aller au-delà d'un naturalisme convenu (pas aidé en cela par le jeu outrancier de Dussolier, insupportable en vieillard décrépi, la gueule en biais); soit dans le registre de la comédie bien française, avec ces grosses blagues à effet calculé (la lettre "q" de l'enseigne "La coquille" qui tombe de la porte du restaurant — ha ha ha). De sorte que le film, toujours à côté de la plaque quel que soit le registre, n'atteint jamais cette espèce de "gravité légère" qui permet dans le livre à Emmanuèle Bernheim non seulement de surmonter la détresse provoquée par la supplique du père, mais, en accédant à sa demande et, plus encore, faisant tout pour qu'elle aboutisse, d'écrire le plus beau des chants d'amour. 

3. Parfois, l'esprit d'aventure, qui ne se réduit pas à cet éclectisme dont on loue généralement Ozon (pour le choix varié de ses sujets et la façon de les traiter, ce qui fonctionnait plutôt bien dans ses premiers films)... parfois donc, une amorce d'aventure se dessine; ainsi dans Ricky, un film que je choisis à dessein parce qu'il est symptomatique (mais il y en a d'autres), Ricky que j'avais qualifié en son temps de riquiqui, ce qui était facile, j'en conviens, sauf que c’est exactement ce que j’avais ressenti, comme si Ozon filmait son histoire avec des ailes de poulet (ça aussi c’est facile). C'est que dans Ricky tout manque d’envergure. Les intentions sont là, clairement affichées: mêler fantastique (Polanski, Cronenberg) et réalisme social (les Dardenne, Loach), mais le projet, si ample soit-il, accouche d'un film étriqué et sans réelle surprise (de sorte que — j'ouvre une parenthèse — ne pas dévoiler le "prodige": des ailes qui poussent dans le dos d’un bébé, comme s'étaient résolus à l'époque Les Inrocks et Positif, était ridicule puisque tout le film étant articulé autour de ce phénomène, non seulement ça ne relevait pas du spoiler que d’en parler, mais surtout c’était se condamner aux pires circonlocutions, donc à ne rien dire du film, que de ne pas vouloir en parler — je ferme la parenthèse)... un film étriqué, disais-je, dont le résultat n’est pas à la hauteur. Et qu’on ne prenne pas prétexte d’une certaine "ankylose du cinéma français" pour le trouver audacieux, en considérant comme une prise de risque au niveau de la fiction ce qui n’est en réalité qu’une astuce scénaristique (un bébé avec des ailes). Question risque, on a connu des films autrement plus hardis. En fait si Ricky n’arrive pas à décoller, c’est parce qu’Ozon, comme tout auteur talentueux mais trop sûr de son talent, refuse que le film lui échappe par instants, qu’à la différence de son héroïne il ne lâche jamais la ficelle, autrement dit nous rappelle en permanence les enjeux de son film, au risque (c’est bien le seul) de le réduire à ces œuvres trop bien ficelées qu’on voit avec un certain plaisir mais dont il ne reste rien une fois vues. Il y a pourtant des moments où le film semble se libérer, où quelque chose se passe qui n’était peut-être pas prévu dans le scénario, des moments assez beaux qui concernent essentiellement le personnage de la petite fille, moments enveloppés de mystère où l’on se demande si le personnage n’est pas l’instigateur de tout ce qui arrive (le fait que la jeune actrice s’appelle Mélusine n’est peut-être pas étranger à mon envie de lui voir jouer le rôle d’une petite fée). Mais non, fausse piste, Ozon est beaucoup trop sérieux, il suit implacablement la ligne qu’il s’est fixé: d’abord injecter un peu d’étrangeté, qui passe surtout par la musique, dans un univers au réalisme volontairement glauque, le tout rythmé par les cris et les pleurs du bébé; puis greffer du fantastique (plus exactement du merveilleux, car l’idée c’est ça: s’extraire du sordide par le biais du merveilleux), mais sans rompre avec la veine naturaliste du début (ainsi le développement hyper-réaliste des ailes du bébé, un bébé qui semble lui tout droit sorti d'une pub Pampers). Arrivé à ce stade, on pouvait espérer que le film se détourne enfin de sa trajectoire, qu’il nous prenne à revers. Hélas il n’en est rien. La fable s’alourdit de plus en plus, ça prend même l'allure d’une allégorie incroyablement cucul (l’enfant qui vole de ses propres ailes) et la morale tartignolle qu'on ne voulait pas entendre (sur la famille, la relation mère-enfant, le rôle du père, etc.), eh bien elle finit par nous éclater en pleine gueule, avec ce dernier plan d'une mièvrerie confondante sur l'héroïne allongée et béate, le ventre rond baigné de soleil, enfin réconciliée avec son désir d'enfant...

4. Reste la question du théâtre chez Ozon, qu'il soit alternatif (Fassbinder) ou de boulevard, correspondant à ce qu'Ozon maîtrise le mieux (au niveau décors, costumes et direction d'acteurs), bien loin pourtant d'un Resnais, beaucoup plus inventif dans ce domaine, même si ce n'est pas ce que je préférais chez Resnais, sachant de plus que l'auteur de Mélo ne faisait pas dans le boulevard... j'y reviendrai (peut-être), une fois vu Mon Crime, qui forme avec 8 Femmes et Potiche, une sorte de triptyque, dont on rappellera quand même qu'il s'agit à la base de pièces à succès, ayant déjà été adaptées, et pour certaines mêmes plus d'une fois:

— Huit femmes de Robert Thomas (réalisateur par ailleurs de l'inénarrable Mon curé chez les nudistes), portée à l'écran sous le titre La Nuit des suspectes (ou 8 Femmes en noir) par Victor Merenda, avant d'être adaptée pour la télévision (dans le cadre notamment de "Au théâtre ce soir").
— Potiche de Barillet et Grédy, jouée près de 600 fois et diffusée elle aussi dans l'émission "Au théâtre ce soir" de Pierre Sabbagh.
— Mon crime!... de Berr et Verneuil, créée en 1934 (avec Edwige Feuillère pour la première fois dans une pièce de boulevard), puis adaptée deux fois au cinéma, via deux films américains, d'abord True Confession de Wesley Ruggles (auquel se réfère Ozon dans ses entretiens), puis Cross My Heart de John Berry, avec la chanteuse Betty Hutton (l'héroïne, écrivaine dans la pièce d'origine, est ici une chorus girl, passage obligé, pourrait-on dire, pour devenir comédienne dans le film d'Ozon), puis à la télé, là encore, dans l'incontournable "Au théâtre ce soir".

Ce que je veux dire, c'est que les qualités qu'on trouve à ce genre de films sont souvent les mêmes que celles qui ont fait le succès de l'œuvre initiale. Et que se pose donc, au niveau de l'adaptation, la question de savoir ce qu'elle apporte de plus, outre de retrouver, à défaut de reconduire puisque l'époque a changé, le succès attendu. Ce que dit aujourd'hui la critique qui s'enthousiasme sur Mon Crime, c'est peu ou prou ce que disait déjà la critique à propos de la pièce de Berr et Verneuil: une œuvre rapide, au ton ironique, qui touche au patriarcat, marquée par des dialogues incisifs, y ajoutant seulement l'inscription du film d'Ozon dans l'ère #MeToo. Pas la peine dès lors d'invoquer Lubitsch ou Guitry... Si Ozon arrive ne serait-ce qu'à préserver le style alerte de la pièce (qui est donc celui de Berr et Verneuil), on pourra dire de son film qu'il est réussi — car peu importe que ce soit dans les limites que le cinéaste s'est lui-même imposées, celles du théâtre de boulevard —, mais à condition que le film ne se réduise pas au pur exercice de style, rythmé par les morceaux de bravoure que l'auteur a réservé à ses "stars" (Luchini, Huppert, Boon...), pire encore, qu'il ne tombe dans le piège de la stylisation amidonnée, réglée aux petits oignons, de celle qui, sous couvert de recréer l'époque le plus fidèlement possible, ne fait qu'encroûter le film, et le rendre parfaitement ringard. Mon Crime échappe-t-il à tous ces écueils? [ajout du 26/03/22: la réponse est non.]

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