dimanche 22 novembre 2020

The Pretty Things 1965-1970


De g. à d.: Jon Povey, Phil May (assis), Wally Waller, Dick Taylor et Skip Alan (assis).

The Pretty Things.

"Les grosses collections de disques de rhythm'n'blues étaient très rares au début des années 60... Le petit nombre d'entre nous qui s'y intéressait ne possédait que quelques albums et des enregistrements qui circulaient dans notre bande. On ne pouvait pas entendre la musique qu'on aimait, à moins de la jouer soi-même": Phil Wadey, dit "Phil May", explique ainsi la genèse des Pretty Things et des Rolling Stones. Originaires, comme Mick Jagger, de Dartford, dans la banlieue est de Londres, Dick Taylor et Keith Richards se sont liés au Sidcup Art College, où ils ont rencontré May. Taylor a d'ailleurs déjà croisé Jagger au lycée. Il a été bassiste dans la première incarnation des Stones, Little Boy Blue and The Blue Boys, mais, après avoir joué à l'Ealing Blues Club d'Alexis Korner et Cyril Davies, il a préféré poursuivre ses études de graphisme. Plus puristes encore que les Stones, Taylor et May sont des passionnés de rhythm'n'blues noir en version originale: outre Chuck Berry et Jimmy Reed, ils vouent un culte particulier à Bo Diddley, d'une chanson duquel ils tirent leur nom. Surtout, ils ne font de la musique que pour leur propre plaisir, considérant comme vulgaire la notion de spectacle. Ils portent déjà les cheveux longs et, en bons étudiants anticonformistes, affectionnent un négligé crasseux. Sur un chantier où il travaille, May [chanteur et harmoniciste du groupe] embauche John Fullagar, dit "John Stax", à la basse; Taylor passe à la guitare solo; les Pretty Things sont complétés par le guitariste Brian Pendleton et, après l'essai de deux batteurs, par Viv Prince.

Malgré leur refus de se transformer en attractions, les Pretty Things sont rattrapés par l'industrie du spectacle après avoir donné un concert d'une sauvagerie exceptionnelle à la fête de Noël 1963 d'une art school à Londres. Pourvus d'un imprésario, Bryan Morrison, et d'un contrat avec Fontana, ils publient en juin 1964 leur premier 45 tours, Rosalyn (une composition de Jimmy Duncan, avec pour face B une reprise du "Big Boss Man" de Willie Dixon, popularisé par jimmy Reed): un succès modeste, suivi à l'automne d'un premier tube, "Don't Bring Me Down", une composition de Johnnie Dee. Après "Honey, I Need", une composition originale de Dick Taylor, un second tube au début de l'année, les Pretty Things s'illustrent par leur refus du compromis: invités à passer à l'Ed Sullivan Show, ils refusent d'aller aux Etats-Unis et résistent à la suggestion de leur imprésario qui veut leur faire reprendre "Mr Tambourine Man" de Bob Dylan. Un premier album (sans titre) assemblent compositions originales et reprises de Bo Diddley ("Road Runner", "Pretty Things") et Jimmy Reed ("The Moon Is Rising"): l'influence de Diddley est la plus forte, avec ce style scandé et heurté caractéristique, interprété avec une rage et une tension hors du commun. Sur scène, les Pretty Things ont une réputation de furieux, du en partie à Viv Prince, un batteur incontrôlable et destructeur qui servira de modèle à Keith Moon des Who. David Bowie et Malcolm McLaren, sans oublier Iggy Pop, diront à quel point ils ont alors été impressionnés par la sauvagerie des Pretty Things (Bowie reprendra d'ailleurs "Don't Bring Me Down" dans Pin-Ups).

Comme les Rolling Stones, les Pretty Things évoluent vers la soul en reprenant le "Cry to Me" interprété à l'origine par Solomon Burke (écrit par Bert Berns), mais avec un moindre succès. Ils reviennent fin 1965 avec l'excellent Midnight to Six Man et l'album Get the Picture?, où le tiers des titres est composé par Phil May et Dick Taylor dans une veine plutôt mélancolique: Taylor, notamment, se distingue avec un "London Town" folk-jazz, tout empreint de tristesse poisseuse. The Pretty Things on Film (1966), quatrième EP du groupe, censé être la bande-son d'un court-métrage, confirme cette impression avec "£.s.d." et ses accents prépsychédéliques (May prétendra qu'il ne fallait voir dans ce sigle qu'une allusion à la monnaie britannique, à savoir livres, shillings et pence...). Sans Viv Prince, resté en Nouvelle-Zélande après une altercation avec un pilote dans un avion, remplacé par le très jeune Skip Alan, et bientôt privé de Pendleton, qui ne donne plus de nouvelles, le groupe entame une mue qui le mènera à l'orée du psychédélisme. Si le 45 tours "Come See Me" (avec "£.s.d." en face B) n'est pas très significatif de ce tournant, la reprise d'"A House in the Country" des Kinks à l'été 1966, et, surtout, Progress (un titre pop-soul) en décembre indiquent la direction à venir: paroles à teneur plus sociale et musiques plus sophistiquées d'inspiration psychédélique. Comme les Rolling Stones et les Kinks, les Pretty Things se retrouvent au cœur du Swinging London, de ses rencontres avec des peintres, des comédiens et des metteurs en scène de théâtre. Ils essaient alors les drogues hallucinogènes et sous l'influence de celles-ci leur musique se modifiera. A Paris, où ils se produits début 1966 à la Locomotive, en première partie des Walker Brothers, puis en septembre à l'Alhambra, ils se sont constitué un noyau de fans irréductibles, tout comme aux Pays-Bas où ils comptent des inconditionnels. Début 1967, l'arrivée du claviériste et multi-instrumentiste Jo(h)n Povey et du bassiste Alan "Wally" Waller - parfois dit "Wally Allen" - à la place de John Stax, tous deux venus de de Bern Elliott and The Fenmen, va permettre aux Pretty Things d'évoluer vers des horizons nouveaux. Précédé de "Children", pas loin du style de Manfred Mann, l'album Emotions est publié en mai 1967: c'est un disque au climat serein où la subtilité, la richesse mélodique et l'alternance de climats mélancoliques et enjoués font merveille. Même si les orchestrations emphatiques de Reg Tilsley noient trop souvent les chansons sous une avalanche de cuivres, il reste de magistrales envolées où l'on côtoie souvent le sublime. Il est à noter que toutes les chansons sont, cette fois, signées Taylor-May, souvent en collaboration avec Waller. En fin de contrat, le groupe passe de Fontana à EMI (pour sa sous-marque britannique Columbia).

On sait trop peu que les Pretty Things ont précédé les Who et leur Tommy dans l'élaboration du premier opéra rock, S.F. Sorrow. Mais leur tentative sera néanmoins loin d'égaler en notoriété celle du groupe de Pete Townshend. Leurs deux 45 tours suivants, le superbe Defecting Grey, publié fin 1967, dont les passages doux rappellent Pink Floyd avec Syd Barrett, puis "Talking About the Good Times" en février 1968, proche des Beatles, n'obtiennent aucun succès. Une de leurs plus magistrales compositions ("Reincarnation") ne voit même pas le jour en studio. De plus, Skip Alan, perturbé par l'alcool et les hallucinogènes, décide sans crier gare de demeurer en France où il a rencontré l'amour; ce batteur très extraverti, dans la lignée de Viv Prince, a été immortalisé dans un document télévisé, enregistré au Palais des Sports à Paris, où on le voit descendre dans la salle et taper sur une cymbale comme un fou durant une version mémorable du légendaire "Reincarnation". Son remplaçant temporaire est le batteur Twink, issu des Fairies de Colchester et surtout de l'intéressant groupe psychédélique Tomorrow (avec le futur guitariste de Yes Steve Howe): personnage lunaire, pratiquant le mime et la danse, il sera le futur collaborateur des Pink Fairies et, de façon éphémère, de Syd Barrett. Les Pretty Things enregistreront leur opéra rock aux studios d'Abbey Road, avec Norman Smith, l'ingénieur du son d'EMI, qui travaille alors pour les Beatles et Pink Floyd. Précédé du 45 tours "Private Sorrow" (face B: "Balloon Burning") en novembre 1968, S.F. Sorrow est publié en décembre. Tommy, des Who, ne paraîtra qu'en avril 1969 et Arthur des Kinks en octobre de la même année. Cet opéra rock à l'étrange beauté, qui se propose de raconter la vie d'un homme, de sa naissance à sa mort, le dénommé Sebastian F. Sorrow, est un enchantement constant, une véritable féerie. Tout y est aérien, gracieux et émouvant, empreint d'une mélancolie grave déjà perçue dans Emotions. Il est à ranger parmi ces œuvres à part de la période psychédélique 1966-1968, entre pop, rock et musique baroque, comme Forever Changes de Love, Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles et Odessey and Oracle des Zombies.

Faute de succès, les Pretty Things déclineront peu à peu, malgré quelques sursauts. Après avoir enregistré la musique d'un film érotique médiocre, What's Good for the Goose (Menahem Golan, 1969) avec Norman Wisdom - suivie de plusieurs autres BO -, sous le nom d'Electric Banana, ils essuient le départ de Dick Taylor, qui préfère l'expérimentation du courant underground et réalisera bientôt des albums pour Hawkwind, le groupe qu'il vient de rejoindre. Les Pretty Things diffusent leur album suivant sous l'étiquette Harvest, label underground d'EMI, que Pink Floyd rend alors prestigieux. Parachute (1970), précédé de l'excellent 45 tours "The Good Mr Square", une ballade à la Kinks, présente une nouvelle formation composée de May, Povey, Waller, Skip Alan, revenu à la batterie, et le guitariste Victor Unitt. Comme pour S.F. Sorrow, le succès critique est grand. Mais l'insuccès commercial a raison de cette version des Pretty Things qui se séparent (provisoirement) à l'été 1971.

[...]

En 2009 a émergé (...) un album enregistré en 1969 et resté inédit pendant quarante ans. Son histoire est assez surprenante.Cette année-là, le dénommé Philippe Debarge, playboy et riche fils de famille (héritier d'une fortune dans l'industrie pharmaceutique), se met en tête de devenir chanteur et d'enregistrer un disque de rock. A cette fin, cet admirateur de rock britannique, pour qui les Pretty Things sont ce qu'il y a de mieux, invite dans sa villa de Saint-Tropez Phil May et "Wally" Waller afin qu'ils lui écrivent des chansons. La ferveur du jeune homme, sa générosité, ainsi que son talent - réel - de chanteur convainquent les deux Anglais. Debarge finance ainsi des séances d'enregistrement au studio Nova à Marble Arch à Londres, qu'il aide à équiper d'instruments et appareils dernier cri. Une fois le disque réalisé, le Français repart avec les matrices sous le bras, ne le diffusant qu'auprès de ses amis et ne cherchant pas à le commercialiser. L'enregistrement gardera une réputation légendaire auprès d'un cercle d'initiés. Plusieurs années après la mort de Debarge, May et Waller rendront hommage à leur mécène de jadis en permettant au fanzine californien Ugly Things d'acquérir les droits de l'album, attribué aux Pretty Things et diffusé sous le titre Philippe DeBarge [sic]. C'est, pour ceux qui l'ont écouté et aimé, un disque de pop-rock psychédélique et baroque qui soutient amplement la comparaison avec S.F. Sorrow et Parachute. May et Waller ont ajouté un titre pour l'occasion: "Monsieur Rock (Ballad of Philippe)." (Didier Delinotte et Michka Assayas, Le Nouveau dictionnaire du rock, M-Z, 2014)

Emotions (1967)
S.F. Sorrow (1968)
Philippe DeBarge (1969, publié en 2009)
Parachute (1970)

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