dimanche 12 février 2023

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Hollywood et les "éléphants blancs".

De Babylon (Chazelle) et de Tár (Field), deux films "éléphant blanc" (ce style décrit par Manny Farber au début des années 60, marqué par la surcharge, les effets accrocheurs, le modèle globalisant... nourri à grands frais et aux seules fins ou presque de gagner des globes et des statuettes), lequel a, malgré tout, sans que cela lui enlève cet aspect de gros machin boursouflé, un côté un peu plus "termite" (au sens toujours farbérien: "qui s'enfouit et s'enfuit dans le monde obscur de l'intimité"), ce qui pour le coup le rendrait moins rebutant? Oui, parce qu'aujourd'hui, qui voit le style "éléphant blanc" pulluler sur les écrans, bien en évidence dans la vitrine, au contraire du style "termite", condamné, lui, à débarrasser le plancher, toujours plus xylophéné, de la production courante, il s'avère que les films éléphants blancs ne le sont jamais totalement, on peut toujours y déceler un peu de termite, de la même manière que les films termites ne sont pas exempts de traits éléphants blancs (surtout que les films purement termites, eux, ont disparu depuis longtemps). Donc voilà, le film aujourd'hui, dans la très grande majorité des cas (pour ce qui est du cinéma dit d'auteur), c'est devenu un mixte de termite et d'éléphant blanc, à proportions variables, de sorte qu'en fonction de ce qui est dominant, on le classera en termite ou en éléphant blanc. Cela a peut-être toujours été le cas, depuis les années 50, mais c'est plus flagrant de nos jours. C'est pourquoi, alors qu'on ne devrait s'intéresser qu'aux films termites ou à dominante termite, on se trouve contraint, faute de termites suffisants à se mettre sous la dent (je sais, ce n'est pas très ragoûtant) et aussi pour s'occuper l'esprit, à devoir départager Babylon et Tár.
Alors? Quel est le moins pire des deux? Il est évident que sur un plan purement "auteuriste", il n'y a pas photo, mieux vaut Târ que Babylon... mais en tant qu'éléphant blanc, la réponse est moins évidente. Surtout si on s'attache aux critères retenus par Farber dans son texte devenu célèbre (et du coup un peu "éléphant blanc", au détriment de ses autres textes, alors que la prose de Farber y est justement "termite": grouillante et rhizomique — c'est dans Espace négatif qu'il faut la lire, qui rassemble ses textes les plus importants, magnifiquement traduits par Brice Matthieussent), où l'on peut lire, donc, que "l'art style termite, ver solitaire, mousse ou champignon, a la particularité de progresser en s'attaquant à ses propres contraintes, pour ne laisser d'ordinaire sur son passage que des signes d'activité dévorante, industrieuse et désordonnée". Ce que Farber réaffirmera plus tard sous une autre forme: "Presque tout ce que j'ai aimé appartient au royaume des termites. Le trait majeur de l'art termite-champignon-mille-pattes est une création ambulatoire, à la fois une observation du monde et un être-au-monde, un voyage dans lequel l'artiste semble ingérer tant le matériau de son art que le monde extérieur à travers un recouvrement horizontal."
Certes, il n'apparaît rien de tout ça, ni dans Babylon ni dans Tár, sinon ce serait des films termites. Pour autant, on peut dire que la question de l'être-au-monde est présente dans Tár (cf. la partie finale), sauf que la forme y est prétentieuse, lourdingue et que ce qui s'y dit est bourré de clichés; de même qu'on peut relever dans Babylon une activité dévorante et désordonnée (un peu comme dans la Babylone de Griffith avec ses éléphants blancs), sauf qu'elle est aussi outrageusement tapageuse... Egalité alors, à moins de remonter plus loin, dans ce qui a servi de terreau chez Farber, dans son amour du cinéma, à savoir les films d'action des années 30, quand il était adolescent, films de durs à cuire signés Walsh, Hawks ou Wellman... mais aussi, plus généralement, tous ces films aux "fils spatiaux tricotés sans couture pour le naturalisme illustratif" qui font du cinéma chéri de Farber un art de l'espace (c'est le peintre qui parle), du territoire (c'est de l'Amérique dont il s'agit, expliquant que les grands films termites soient d'abord et avant tout des films américains), qui se déploie de façon acharnée et prodigue, quant à la construction du film (c'est aussi le charpentier qui parle), renvoyant, au-delà des films d'action, pour remonter encore plus loin, au burlesque, genre par excellence de l'être-au-monde, qui travaille la notion de cadre... Alors oui, peut-être, par ce biais là, celui de l'espace, du cadre dynamité, à la manière également des films de Chuck Jones (dont raffolait Farber), ou encore par le biais des acteurs, qui ferait préférer le jeu goguenard de Brad Pitt à la performance quatre étoiles de Cate Blanchett... il se pourrait que Babylon, qui pourtant, question débilité, atteint des sommets dans sa dernière partie ("Dieu que c'est con!" soupirait ma voisine dans la salle où j'ai vu le film), sans compter le finale, cucupralinesque... soit malgré tout un poil moins "éléphant blanc" (il y a bien un éléphant dans le film, qui d'ailleurs au début nous chie carrément dessus, mais il est gris) que Tár, film aussi goudronneux que son titre, qui, lui, cumule toutes les "tares" du Cinéma d'Auteur.

2 commentaires:

  1. Et le dernier Shyamalan c'est du termite ou de l'éléphant blanc ?

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    1. Les deux, mais plus termite qu'éléphant blanc, par contre moins termite que dans les précédents, The Visit, Glass, Old...

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