samedi 18 février 2023

L'homme au bras d'or


La Montagne de Thomas Salvador (2023).

Poétique des hauteurs.

Tous les vingt ans (vingt-deux pour être précis), la montagne accouche d'un ovni dans le paysage cinématographique français. Après le Passe montagne de Stévenin, la Brèche de Roland des Larrieu, c'est aujourd'hui la Montagne de Thomas Salvador, un film fabuleux à tout point de vue, parfait prolongement, en termes de "physique" (le corps de l'acteur, dans son rapport à la nature, mais aussi la Physique, ses lois et ses mystères), de Vincent n'a pas d'écailles, la luminescence (acquise au contact de la roche) succédant à la superpuissance (révélée au contact de l'eau).
Ainsi, à l'horizontalité, merveilleuse, du premier, qui fait qu'on se laissait glisser à la surface des choses, Salvador substitue-t-il dans le second une verticalité, tout aussi merveilleuse, qui cette fois fait regarder vers le haut, tout en haut, en direction des cimes. Les deux films se complètent, formant une sorte d'algèbre — abscisse et ordonnée —, telle qu'elle se dessine, initialement, sur le papier (le plan cartésien) mais que chacun se devra de pervertir, en "incurvant" les lignes, par la voie du fantastique. De ce type d'opération, littéralement alchimique, qui justifie que le passage soit patient et progressif (comme doit l'être ici l'escalade mais aussi la rencontre amoureuse), on peut dire que Thomas Salvador est le spécialiste, peut-être même le seul, qui apparente ses films à de véritables prototypes, à l'image du nouveau robot que le héros présente au début du film (il est ingénieur) et dont le bras articulé préfigure la suite. Si la Montagne est belle, elle est aussi magique, une magie qui ne relève pas du coup de baguette, opérant davantage par étapes pour atteindre à la "fusion". Fusion froide, évidemment, qui voit le minéral Pierre finir par faire corps avec la montagne, organisme vivant et bienveillant (pour peu qu'on se montre soi-même attentionné, comme l'est Pierre avec Léa, la jolie cheffe cuistot), un mille-feuilles, dit-on dans le film, avec sa surface glacée et son ventre en forme de grotte, susceptible de l'accueillir, via d'étranges créatures — des petites larves lumineuses —, mieux: de lui conférer un pouvoir, celui de la luminescence: un bras fluorescent qui s'allume quand la nuit tombe.
La beauté de la Montagne tient à ça: une magie qui ne s'enflamme pas — nulle incandescence, nulle transcendance —, le surnaturel circonscrit dans les limites du naturel (sachant que ça touche à la Physique qui, elle, est sans limite), l'extrême singularité d'une histoire dont on ne sait jamais, à mesure que le film avance, où elle va nous conduire (la seule chose dont on est sûr, c'est que Louise Bourgoin ne conservera pas son chignon jusqu'à la fin), mais dont on devine que pour Thomas Salvador le but est, comme dans Vincent..., de mener à bien l'expérience, un peu folle et pourtant longuement mûrie qu'il s'est fixée, qui ferait de la Montagne, film d'alpiniste et d'acrobate (au sens premier du mot: "qui pratique des exercices en hauteur"), une sorte d'Abyss des montagnes, sauf qu'on en reste à l'aspect physico-chimique de la fable, l'expérience se voulant juste... philosophale (c'est pour ça aussi que le héros s'appelle Pierre), qui transforme la roche en pure lumière (métaphore du film qui prend vie sur l'écran?) et, à travers cette opération, permet au héros d'accéder, peut-être pas à un niveau supérieur de conscience mais, plus modestement, à cette autre vie, disons moins matérialiste, à laquelle il aspirait. Une expérience de cinéma tout bonnement. Pas étonnant dès lors que, une fois acquis ce qu'il recherchait de façon à la fois discrète et obstinée, symboliquement un bras qui puisse le guider dans l'obscurité, il s'en retourne d'où il est venu, là-bas dans la vallée.

3 commentaires:

  1. Mais oui, Stévenin ! Double Messieurs a le même schéma ascensionnel : fuite de la ville, rencontre amoureuse, jeux sur la montagne !

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  2. Je précise que le commentaire précédent est de moi.

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