mercredi 8 février 2023

Toc toc (2)


Knock at the Cabin de M. Night Shyamalan (2023).

Je complète le texte sur Knock at the Cabin, suite à certains commentaires ici et là (pas tant ici d'ailleurs que là, c'est-à-dire en dehors du blog) qui reprochent, entre autres, à Shyamalan son mysticisme de pacotille. C'est, pour moi, se tromper dans l'approche critique qui n'a pas pour fonction de juger l'auteur sur ses convictions (religieuses ou autres), même si dans ses films il les exprime ou les laisse deviner, dans la mesure où ce qui compte c'est moins les convictions par elles-mêmes (qu'on les partage ou non importe peu, si elles demeurent "acceptables") que ce qu'il en fait, la manière de les intégrer à son récit et, partant de là, de conduire le récit [s'il fallait un exemple, je citerais McCarey]. Que Shyamalan croit en certaines choses ne doit pas nous détourner, surtout et d'autant plus si cette croyance nous agace, de ce qui aujourd'hui est le plus important dans l'appréciation de ses films, à savoir le récit (étant donné que sur la mise en scène, l'affaire est entendue depuis longtemps: Shyamalan est passé maître). 

Ceci étant posé, je reviens donc sur Knock at the Cabin et ce qu'il en est du récit (avec toujours cette épée de Damoclès au-dessus de la tête: ne pas divulguer la fin). Rappelons le dilemme qui sert de base au récit:

Convaincus de l'imminence de la fin du monde, "quatre étranges cavaliers" (sans leurs chevaux) qui séparément ont eu les mêmes visions apocalyptiques, s'introduisent de force dans un chalet pour implorer ceux qui y passent leurs vacances: un couple gay, papas d'une petite fille (des âmes pures, c'est pour ça qu'ils ont été choisis), de sacrifier un des leurs afin d'empêcher l'Apocalypse et ainsi de sauver l'humanité. Pour les convaincre, chaque fois qu'un fléau n'a pu être évité, du fait que le couple refuse de céder à un tel chantage, un des membres du groupe est exécuté par les autres, selon un ordre préétabli et un rituel bien codifié... bref l'horreur absolue, seul moyen de faire comprendre au couple l'urgence de leur décision, la réalité de l'Apocalypse leur étant régulièrement rappelée par la vision à la télé des catastrophes annoncées.

Sur le papier, c'est complètement délirant, sinon grotesque. A l'écran, ça l'est tout autant. Certains s'en contenteront pour juger de la réussite ou non de Knock.... Sauf que l'intérêt du film réside moins dans cette espèce de spirale infernale où se trouvent entraînés les personnages, et le spectateur avec (mécanique habituelle de ce genre de film), que dans le conflit intérieur qu'une telle situation vient à produire chez l'un des deux parents, Eric, le plus à même d'être troublé par tout ce qu'on lui raconte et qu'il voit à la télé, d'abord parce qu'il est croyant (à la différence de son compagnon), ensuite parce que victime d'un choc à la tête au début du film, il n'est pas sûr qu'il ait gardé toute sa lucidité, enfin, conséquence ou non de ce qui précède, parce qu'il est témoin, semble-t-il, lors de l'exécution du premier cavalier d'une révélation: l'apparition, à travers la fenêtre, d'une "silhouette de lumière". Autant d'éléments qui font du personnage d'Eric (davantage que de celui de l'enfant) le point "sensible" du film, comme on dit de quelqu'un qu'il est sensible à la lumière, susceptible, de par cette vulnérabilité aux événements, d'évoluer durant le film, au contraire des autres dont la position reste fixe, et ainsi conférer au récit son mouvement. C'est le deuxième niveau du film qui se superpose au premier que constitue donc la résistance du couple à la torture morale que leur imposent les assaillants (en dépit de leur bienveillance) avec ce dilemme qui, à bien réfléchir, rend le choix impossible.

Et puis il y a un troisième niveau, celui qui s'attache plus spécifiquement à la direction que doit prendre le récit pour arriver à sa conclusion. C'est aussi le plus important pour Shyamalan parce que c'est ce qui l'a motivé à adapter le roman de Paul Tremblay. Rappelons que ce roman, The Cabin at the End of the World, avait été conçu dans l'optique justement d'une future adaptation, expliquant peut-être pourquoi il n'est pas très bien écrit, ressemblant à un script surchargé de détails, expliquant surtout qu'on l'ait proposé à Shyamalan, et que celui-ci, au départ réticent, n'a accepté de le produire puis de le réaliser qu'à la condition d'en modifier la fin. De cette fin, qu'on ne révélera toujours pas, disons tout de même que dans le roman elle a tout du twist, et que si le film de Shyamalan en est dépourvu (la fin s'inscrit dans la logique du récit), c'est peut-être à cause de ça. En changeant radicalement la fin, Shyamalan s'interdisait d'y greffer un autre twist. Ce troisième niveau place Knock at the Cabin, toujours à partir du personnage d'Eric, sur un autre plan, qui dépasse le cadre purement horrifique du film, mais sans grimper à des hauteurs sublimales — c'est de la mystique à petite échelle —, de sorte qu'on pourrait plutôt parler de métaphysique (qui a à voir avec la foi), s'opposant aussi bien à l'obscurantisme dément des quatre cavaliers qu'au rationalisme obtus d'Andrew, l'autre papa...

Cette voie intermédiaire qu'emprunte le récit, jusqu'au finale sans twist (qui s'en trouve pour le coup justifié), fait du choix finalement retenu par Shyamalan le moins pire des choix à partir du moment où il y a choix, s'opposant au finale du roman qui, lui, en termes de récit et si on tient compte du "parcours" effectué jusque-là par le personnage d'Eric, relevait quand même de la pirouette, obligeant d'ailleurs l'auteur, pour le justifier, d'inventer en amont un subterfuge (sous la forme d'un "accident"), rendant la fin très artificielle: une sorte de relativisme postmoderne dont on comprend qu'il ne pouvait satisfaire Shyamalan. Là, au contraire, par son finale à la fois redouté et attendu, redouté parce qu'attendu, Knock at the Cabin déjoue les pièges qui le menaçait, celui, très premier degré, du "grand n'importe quoi" schizo-mystique, mais aussi celui, plus second degré, du cynisme contemporain, tel qu'il se dégage de l'autre papa. Si le personnage d'Eric incarne une forme disons soft de "piétisme évangélique" (estampillé Nouvelle-Angleterre: dans le roman l'intrigue se passe dans le New Hampshire, mais Shyamalan, comme toujours, la transpose "chez lui" en Pennsylvanie), ainsi qu'il est suggéré, il me semble, via tous ces plans où on voit le personnage, lui plus que son compagnon, porter l'enfant dans ses bras, dépassant la simple idée qu'il représenterait le pôle féminin du couple... il s'en détache aussi, et de plus en plus nettement à mesure que le film avance, pour devenir une pure figure de mélodrame. Eh oui, le dernier Shyamalan est aussi un beau mélodrame. C'est à mes yeux (rougis, qui l'eût cru), ce qui en fait le prix.

Post-scriptum:
On peut aussi voir le film comme un jeu de réflexion sur le thème de l'Apocalypse et le dilemme (qu'on commence à bien connaître): sauver le monde en sacrifiant un être cher ou ne rien faire et rester seul à errer après l'Apocalypse.
Situation 1: la fin du monde n'était pas imminente.
— A: il y a sacrifice
— B: il n'y a pas sacrifice
Situation 2: la fin du monde était imminente
— A1: il y a sacrifice mais l'Apocalypse a lieu
— A2: il y a sacrifice et tout s'arrête
— B1: il n'y a pas sacrifice et l'Apocalypse a lieu
(variante postmoderne: pas de sacrifice et incertitude quant à l'Apocalypse)
— B2: il n'y a pas sacrifice et tout s'arrête
(variante "Isaac": l'Apocalypse s'arrête à l'entame du sacrifice qui est donc annulé)

En termes de fiction, la situation 1 est à écarter, parce que trop cynique (A) ou parce que rien ne s'y passe (B).
Reste la situation 2 où l'on écarte A1 parce que trop négatif et B2 parce que trop facile.
Au final, le choix se fait entre A2 (l'efficacité dramatique, au risque de la roublardise) et B1 (le scepticisme moral, au risque de l'inconsistance).

14 commentaires:

  1. Vous fatiguez pas à vouloir nous convaincre Buster, KATC est une bouse infâme !

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  2. Vous n'êtes pas un peu toc-toc de continuer à défendre ce vendeur de sushis avariés ? Cf. https://www.youtube.com/watch?v=ax9BfXy7Ms8

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    1. Très intéressant, merci. Je regarde pas vidéos konbini d'habitude, on voit que c'est un réalisateur qui maîtrise son sujet (mais son storyboarding obsessif le montre).

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  3. Omniprésente dans son œuvre, la question de la foi se discute sans vertige dans un huis clos biblico-bébête, bavard et répétitif, ponctué par des flash-back laborieux qui tiennent du remplissage.

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    1. Pff.. vous n'avez rien d'autre à m'opposer que Marie Sauvion

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    2. Dites Buster vous seriez pas un peu misogyne ?

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    3. Pas du tout, seulement Sauvion ne compte pas parmi les meilleurs critiques hommes ou femmes actuels

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    4. Vous n'utilisez pas l'écriture inclusive ?
      Et quelles sont selon vous les meilleures critiques femmes ?

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    5. L'écriture inclusive non, pas de manière exclusive en tout cas

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    6. Les meilleures critiques femmes... je dirais Camille Nevers, Murielle Joudet, Laura Tuillier, Charlotte Garson, Alice Leroy

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    7. Ouais, toutes quoi. Macho !

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  4. "Au final, le choix se fait entre A2 (l'efficacité dramatique, au risque de la roublardise) et B1 (le scepticisme moral, au risque de l'inconsistance)"
    Voilà, c'est exactement ça, j'ai bien aimé le film mais la fin me pose problème. Je crois que B1 aurait été mieux que A2 ;-)

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    1. Peut-être, mais ç'aurait été un autre film pas seulement à cause de la fin mais parce que Shyamalan aurait orienté son récit dans une tout autre direction et cela très en amont, qui ne déplace pas comme ici le centre du film (au départ l'enfant) sur le personnage d'Eric (c'est ce déplacement dans le récit qui me fait aimer le film), justifiant la fin (pas l'épilogue, le finale avant)... ce qui me fait penser que dans ce film Shyamalan revient peut-être sur l'idée de twist tel qu'il le concevait jusque-là (à creuser)

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  5. Texte très juste et très raisonnable. Ça mérite d'être validé !

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