Knock at the Cabin de M. Night Shyamalan (2023).
Les inconnus dans la maison.
Knock at the Cabin s'inscrit dans la lignée des "grands petits films" de Shyamalan. Sur l'échelle de Richter qui sert à évaluer ses films, je le situerais autour de 6, loin certes du maximum que représentent The Village, The Happening et Split, mais au niveau quand même, peu ou prou, de ces autres réussites que sont Signes, The Visit, Glass ou encore Old... autant de films auquel Knock... fait d'ailleurs écho à des degrés divers, qu'il s'agisse de la thématique (la croyance) ou du dispositif (le lieu unique). A propos du dispositif, le film amplifie même, en le concentrant, ce qui caractérisait déjà Old: encadrés par un prologue (ici côté jardin) et un épilogue (la "re-connexion" avec le monde, comme dans The Happening et surtout Split, que Knock... rejoue à l'identique), les deux films épousent la structure d'une pièce de théâtre classique (unités de temps: 24 heures; de lieu: une plage, un chalet; d'action: des vies en accéléré qu'on ne peut sauver, une vie qu'il faut sacrifier pour sauver le monde) et de façon encore plus littérale dans Knock... jusqu'à faire débuter le premier acte par les traditionnels "trois coups" — je ne les ai pas comptés, il n'y en a pas neuf comme au théâtre, peut-être sept comme dans le roman (le nombre de personnages et de sauterelles dans le bocal de la petite fille), en tout cas plus que deux, de sorte que le côté halloween ("knock knock, trick or treat?") qu'évoque le titre est vite oublié, orientant davantage vers un autre "Halloween", au trick autrement plus terrifiant, et tous ces films qu'il a inspirés, Scream en premier lieu...
Sauf que c'est du Shyamalan, adapté de The Cabin at the End of the World, un thriller horrifique (adoubé par le maître du genre, Stephen King) dont la particularité est d'être écrit comme un script, prêt pour une adaptation, avec force détails, certains pas très ragoûtants, dont surtout il apparaît que Shyamalan a modifié la fin. Rassurez-vous, je ne dirai rien (excepté qu'il n'y a pas de twist, ha ha), mais j'invite ceux qui ont vu Knock at the Cabin à comparer le résumé du film (là) à celui du roman (là). Outre le fait que Shyamalan a resserré l'intrigue, qui sur la fin tendait à s'emberlificoter (à l'image des cordes utilisées pour ligoter — faute de chatterton — les deux héros: papa Eric et papa Andrew)... et ce via le personnage de l'infirmière (à qui était dévolu le rôle d'expliquer son parcours et celui des autres illuminés du groupe que mène Leonard, une sorte de "bon gros géant" à la Paul Bunyan), ce qu'il ressort du finale c'est que Shyamalan l'a rendu... shyamalanien, en renforçant — au détriment de ce qui courait de façon peut-être trop évidente dans le roman, à savoir un portrait satirique de l'Amérique trumpiste (l'homophobie, les délires millénaristes, etc., largement entretenus par les réseaux sociaux) — l'aspect "familialiste" qui est propre à ses films (exemplairement The Happening), expliquant que le cinéaste ait dû supprimer un élément important, qui marquait la fin du roman, lui conférant une toute autre portée (non non je ne dirai rien). Expliquant aussi que si le film privilégie l'aspect eschatologique du récit, c'est dans un cadre plus personnel (les origines indiennes de Shyamalan y sont sûrement pour quelque chose), y développant ce que le finale de Old (avant l'épilogue) suggérait déjà, ainsi que je l'écrivais à l'époque, qui voyait le film s'ouvrir sur un "au-delà", via la barrière de corail et le seuil qu'elle symbolisait, au-delà duquel se devinait "la face cachée du temps" et l'idée de renaissance que cela sous-entend (comme si Shyamalan, maniant avec dextérité le sablier déréglé qu'il avait entre les mains, le retournait in extremis).
Dans Knock... tout cela est poussé à l'extrême, le "puritanisme pennsylvanien" de Shyamalan, à l'œuvre dans tous ses films, confronté à l'eschatologie délirante que les quatre inconnus incarnent, faisant basculer le film dans la pure folie (toc toc). Cet aspect eschatologique, exprimé de façon plus directe que dans The Happening et sous une forme plus cosmique que dans Old (le film se limitait dans son finale à la forme individuelle de l'eschatologie: la vie après la mort), ne se résume pas à une simple opposition entre croyance et rationalité (la question que se posent tout au long du film les personnages quant à la chronologie des événements vus à la télé et qui annoncent l'Apocalypse — avant ou après les visions?). Shyamalan la dépasse, non seulement par tout un travail de mise en scène, assez vertigineux, dans l'espace volontairement limité qu'il s'est imposé — la cabane avec son immense bibliothèque, disproportionnée par rapport au lieu —, mais aussi par la dimension franchement mystique qu'il confère à son film (cf. la silhouette de lumière), qui vient là surmonter le grotesque que représentent par ailleurs les quatre "cavaliers": rouge, bleu, jaune, blanc, avec leurs horribles armes-outils, d'aspect moyenâgeux, qu'ils se sont bricolées, et tout ce rituel dément qu'ils disent devoir appliquer... élevant le film sur le terrain de la foi, à travers les doutes qui gagnent peu à peu l'un des deux papas. Car c'est bien le conflit spirituel entre les deux pères de la fillette qui fait la beauté de Knock at the Cabin, plus que celui qui les opposent de manière frontale aux quatre intrus, à l'instar d'un Funny Games (Haneke) ou d'un Us (Peele) — la force du film naît aussi du contraste entre les deux types de conflit —, convoquant surtout, par ce biais, le Sacrifice de Tarkovski qui, rappelons-le, traitait d'un sujet similaire — une catastrophe nucléaire en marche et la promesse que fait un homme de "sacrifier" tout ce qu'il a de plus cher (sa maison, ses proches) pour que tout revienne comme avant. J'avais déjà fait, c'était sur Facebook, le rapprochement avec le film de Tarkovski, me basant sur le seul pitch, n'ayant pas encore vu Knock... qui de toute façon n'était pas encore sorti, et maintenant que je l'ai vu, cela paraît encore plus manifeste tant le cadre où se déroule le film (le chalet près du lac, le bois alentour, la maison en feu...) fait penser au Sacrifice, de sorte qu'on peut voir le Shyamalan, certes, à travers ces images, comme un simple hommage au maître, mais aussi, peut-être, plus profondément, comme une version disons profane de son film. C'est d'ailleurs pour cela également que la petite fille à la fin... ah oui, non, j'ai promis de ne rien dire.
PS. Je reviendrai plus tard sur le film, quand il sera davantage permis de le spoiler...
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