mardi 28 février 2023

The Fabelmans


The Fabelmans de Steven Spielberg (2022).

Sur la photo, le jeune Sammy (Spielberg) semble coiffé d'une kippa lumineuse: pure coïncidence ou faut-il y voir du sens? et dans ce cas: de l'obvie ou de l'obtus? (pour parler barthésien)

The Fabelmans est un beau film miroir (The Spiegelman), un super film aussi, qu'il soit en 8, en 16 ou en 35mm, c'est surtout un "film termite", comme aurait dit Farber (même si bien sûr, comme toujours chez Spielberg, il y a aussi de "l'éléphant blanc"), via non seulement les oppositions attendues pour qui connaît son Spielberg sur le bout des doigts: art/famille, imagination/angoisse, lumière/obscurité... ou encore ce qui constitue le cœur du film: la scène où Mitzi (Michelle Williams), la maman pianiste qui souffre en silence d'avoir dû renoncer à sa carrière, découvre le petit film monté par Sammy/Steven, le fils, dans lequel se trouve dévoilé son secret (la relation amoureuse qui existe entre elle et l'ami Bennie), se situe après 1h15 de film, soit exactement au milieu...

Mais aussi ce double mouvement où se dessine:

— derrière l'itinéraire artistique du jeune Spielberg, qui constitue la ligne principale du récit, depuis le choc que fut pour lui, enfant, la vision de l'accident du train dans The Greatest Show on Earth de DeMille (faisant pour toujours du futur cinéma de Spielberg un art du saisissement) jusqu'à son embauche par CBS et sa (brève) rencontre avec John Ford (David Lynch impayable) et le conseil que ce dernier lui donne quant à la bonne place de l'horizon dans un plan: en haut ou en bas mais jamais au milieu (en fait une blague typiquement fordienne, comme l'est l'arrivée de Ford dans son bureau le visage couvert de rouge à lèvres, et la vieille secrétaire qui se précipite derrière, les Kleenex à la main)
— une ligne plus complexe, pour ce qui est du rapport du cinéaste à son judaïsme, dont on sait qu'il a longtemps eu honte (jusqu'à prétendre avoir des origines allemandes), ligne marquée par trois temps forts qui correspondent aux différents lieux où vécurent Spielberg et sa famille, en fonction des promotions du père (Paul Dano), un génie de l'informatique, et selon un axe Est-Ouest:
1) la période RCA dans le New Jersey et la fête Hanouka, la fête des Lumières (forcément) au tout début, célébrée dans la foulée du "choc DeMille", c'est le judaïsme dans son vécu le plus intime (en famille)
2) la période General Electric dans l'Arizona, et le passage de l'oncle Boris qui jadis travailla comme dompteur dans un cirque (écho au DeMille), rappelant à Spielberg le "déchirement" qui existe entre les exigences artistiques et la vie familiale, avec cette idée (non exprimée dans le film, c'est une hypothèse) que le judaïsme pourrait aider à surmonter le conflit (même si ça n'a pas marché, loin de là, pour la mère)
3) la période IBM en Californie, où Spielberg découvre ouvertement l'antisémitisme, à travers les grands et beaux blonds du campus (qui le traitent de "Bagelman", l'homme-beignet) et la façon dont il y répond avec son film sur le ditch day où il glorifie le corps de celui qui l'a tabassé, une image qui fait craquer son "bourreau" car ne lui correspondant pas, façon pour l'ado Spielberg de prendre sa revanche (cela dit dans une relation seulement duelle, l'autre conservant son aura auprès de ses pairs et de sa copine), mais qui, reprise soixante ans plus tard, prend une tout autre dimension tant cette glorification évoque aussi le film de Riefenstahl, les Dieux du stade, qu'il y a là une forme d'ironie féroce, nous rappelant que sur la question de l'antisémitisme Spielberg, qui aujourd'hui assume totalement son judaïsme, ne saurait plus transiger, comme c'était le cas à 17 ans...

De sorte que si l'on reprend les lignes de force du film (comme des lignes de la main: succès, cœur, sagesse), on peut y déceler trois courbes, qui s'entrecroisent:

— une courbe disons demillienne, d'emblée à son maximum et qui se poursuit en plateau jusqu'à la fin, c'est l'amour du cinéma chez Spielberg, de 7 à 77 ans (du premier film vu au dernier réalisé, ça c'est l'aspect hergéen du cinéaste), qui fait de The Fabelmans une sorte de film-somme sur lequel tout a été dit ou presque...
— une courbe de Gauss, qui touche à la figure maternelle, avec sa partie ascendante, la mère omniprésente et fantasque, opposée en cela au rationalisme du père, et dont le côté "meshugge" (qui lui fait jouer du piano avec des ongles trop longs, cliquetant sur les touches comme si elle tapait à la machine, ou la fait danser la nuit dehors en chemise de nuit, éclairée par les phares d'une voiture, la lumière révélant impudiquement son corps) cache en fait un véritable malêtre (cause ou conséquence de sa carrière brisée de pianiste?), puis — après la découverte du secret par le fils, soit le pic de la courbe — la partie descendante, marquée par l'éloignement progressif de la mère.
— une courbe sigmoïde, en forme de S, qui concerne Spielberg et son judaïsme, qu'il vit donc longtemps comme un complexe, cette judéité qu'en dehors de la maison il préférait cacher, mais qu'il va lui falloir accepter, en réponse aux autres (l'antisémitisme dans une Californie sixties où les Juifs sont peu nombreux, comparée au New Jersey), ce qui passe d'abord par le compromis (le besoin malgré tout d'être accepté), avant de pouvoir enfin l'assumer, cette identité juive, et pleinement...

Soit, pour finir, une autre façon de considérer l'épisode fordien qui clôt The Fabelmans. L'horizon non plus comme ligne de fuite dans l'organisation de l'espace chez Ford, mais comme ce vers quoi tend/tendait le film de Spielberg. Selon que l'horizon est situé en haut, et c'est l'amour du cinéma et du spectacle chez Spielberg qu'il faut voir, le cinéma comme "plus grand spectacle du monde"; ou qu'il est situé en bas, et c'est alors la figure de la mère, essentielle dans l'itinéraire artistique de Spielberg, qui ressort. Quant au milieu, eh bien, c'est peut-être là que se pose la question du judaïsme chez Spielberg, au sens où, le film étant semble-t-il suffisamment explicite à ce niveau, insister rendrait, aux dires ironiques de Ford/Lynch, le discours "chiant comme la pluie"... "Bullshit!" en VO. Vraiment?

2 commentaires:

  1. Plutôt que la hauteur de la ligne d’horizon, c’est la position de la lumière dans le cadre qu’il faudrait étudier : en haut, en bas, entre les jambes, tenant dans les mains, derrière la tête, auréolant ou aveuglant les personnages.
    Très beau texte et belle image introductive !

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    1. Tu as raison, l'ubiquité de la lumière chez Spielberg ce serait un bon angle d'attaque pour parler du film

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