dimanche 10 janvier 2021

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Les mains de Satyajit Ray.

L’aviez-vous remarqué? Sur les photos de Satyajit Ray, plus précisément les portraits, on y voit souvent ses mains, accolées au visage ou à proximité. Peut-être est-ce une tradition là-bas, dans l’art du portrait, d’adjoindre les mains au visage. Je ne sais pas, je n’ai pas vérifié. Mais chez Ray, c’est frappant. D’autant qu’elles sont immenses ses mains. Lui-même était immense, 1m 93, soit la taille des grands cow-boys du cinéma américain, de John Wayne à Gary Cooper en passant par James Stewart. Mais d’eux, on ne voit jamais les mains quand ils sont photographiés de près. Chez Satyajit Ray, elles sont là, et attirent le regard. Par leur taille, mais pas seulement. Par la position aussi que leur fait prendre Ray: tantôt main repliée contre la joue, ou sous la menton, tantôt posée sur la tête ou retournée au-dessus... Mais également, face à lui, paumes grandes ouvertes. Il y a bien sûr les photos de tournage, quand celui qui est cadré est lui même en train de visualiser, geste à l’appui, le cadrage de son plan. C’est l’image type du metteur en scène au travail. Reste que, même dans ce cas, les mains ouvertes de Ray avec les doigts bien écartés (comme sur cette affiche des Branches de l’arbre) semblent délimiter davantage qu’un champ de vision. Comme si importait autant que le champ, la grille du hors-champ que forment les doigts ainsi disposés. Comme si ce qui n’apparaissait que partiellement entre chaque doigt, donc invisible au spectateur, devait être pris en compte dans ce qui sera vu par ce même spectateur, soit le champ compris, lui, entre les deux mains. Ni champ ni hors-champ, une sorte de super hors-champ, à la présence si forte que le spectateur aura l’impression de l'apercevoir. Illusion que j’ai ressentie dans des films comme le Salon de musique ou la Déesse. Et puis il y a les autres situations, où les mains semblent parasiter l’image. Il s’agit le plus souvent de photos prises lors de conversations, et Satyajit Ray, à l’évidence, parle avec les mains, comme peut-être les gens de Calcutta. Pour autant, les mains, chez lui, quand il parle, en particulier à un interlocuteur occidental, ne se contentent pas d’accompagner ce qu’il dit (avec ce que cela crée parfois de théâtralité quand le geste vient scander chaque mot), elles dessinent dans l’espace de véritables figures, dont l’ampleur (proportionnelle à l’amplitude de ses bras, forcément immenses quand il les déploie), confère au discours qu’il tient une impression cette fois, comment dire... non pas d’autorité, ni de grandiloquence, mais... d'emprise, comme s’il tenait à réaffirmer non seulement à celui qui l'interviewe mais plus encore à tous ceux, occidentaux, susceptibles de l'entendre, en quoi il est le cinéaste de l'exception (à tout point de vue). De sorte que ses mains, de plus en plus grandes à mesure que grandit sa détermination à nous rappeler qu'il est un grand cinéaste, le seul vrai grand cinéaste en Inde (bien plus grand que l'édifiant Mrinal Sen - bon là, j'extrapole)... de sorte que ses mains, disais-je, pour se faire entendre de nous qui sommes si loin, lui servent aussi de porte-voix.

2 commentaires:

  1. Vous connaissez beaucoup de cinéastes indiens, Buster ?

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    1. Vous préférez que j'écrive "le seul vrai grand cinéaste en Inde"? D'accord.

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