Orwellisons...
Bien sûr, on peut toujours s'interroger sur le bien-fondé — du point de vue sanitaire — de la fermeture prolongée des salles de cinéma, s'inquiéter des conséquences économiques d'une telle fermeture et se lamenter sur notre pauvre sort de cinéphile, dans l'impossibilité aujourd'hui de pouvoir simplement "aller au cinéma", voir des films, nouveaux ou anciens peu importe, mais sur "grand écran". Bien sûr.
Il y a pourtant plus grave. Que durant tout ce temps, s'installent de nouvelles habitudes qui viennent modifier les anciennes, à commencer par celles, justement, de voir les films en salle. Que l'interminable période qui nous "oblige" à nous rabattre sur d'autres supports pour regarder un film — processus déjà bien engagé avant l'arrivée de la pandémie —, finisse par entériner l'abandon plus ou moins programmé de la salle de cinéma.
Pire. Que notre soif de cinéma nous rende aveugle à ce qui se trame depuis deux ans et s'est accentué avec la fermeture des salles: la mainmise des plateformes de streaming sur l'exploitation (et de plus en plus la distribution) des films — exemplairement Netflix, qui, à l'instar d'Amazon ou de Facebook, profite de la situation pour étendre inexorablement son domaine, et ce sans trop rencontrer d'opposition, même de la part de la critique, vu le "réconfort" qu'elle apporte parallèlement, avec tous ces nouveaux films réalisés — le piège est là — par des "grands noms" (américains) du cinéma.
Et je ne parle pas du mécénat qui consiste à participer financièrement à la restauration de vieux films du patrimoine, comme le Napoléon d'Abel Gance.
On pourra toujours arguer d'une évolution inévitable que la pandémie de covid-19 n'aura fait qu'accélérer. La fin des salles. En tant que procédé classique, historique, pour voir les films, la salle ne survivant à l'avenir que comme vestige du passé, qui permette de voir, à la manière d'autrefois, les films sur grand écran. Qui ferait que les films, même conçus pour le grand écran, ne seraient vus, par la majorité des spectateurs, que sur leurs écrans de télévision ou d'ordinateurs, quand ce n'est pas des écrans plus petits, ceux des smartphones et des tablettes, inversant la formule de Godard qui voulait qu'au cinéma on soit obligé de lever la tête (là, au contraire, il faudra la baisser, de plus en plus, signe de soumission aux géants du web, GAFA et autres NATU...).
Il est bien là le danger, avec cette fermeture des salles qui se prolonge... Que seule une certaine génération de spectateurs (j'en fais partie), attachée depuis trop longtemps à la vision des films en salle pour pouvoir s'en passer, éprouve toujours, lorsque les salles rouvriront, le désir incoercible du grand écran. Mais que pour beaucoup d'autres, qui représentent le public de demain, public déjà largement biberonné au streaming, la pandémie aura surtout servi à les conforter dans leur façon de regarder les films. Perdant ainsi définitivement le goût de la salle.
Orwellisons même, en imaginant le cinéma de demain, arrivant du coup plus tôt que prévu, avec des films majoritairement conçus pour les petits écrans, et, de temps en temps, des films "pour la salle", forcément maniéristes, format XXL, qu'on irait voir comme nos aînés allaient voir un film muet au temps du parlant, ou un film argentique au temps du numérique... Une bizarrerie nappée de nostalgie.
Donc voilà. On se plaint que le cinéma, comme le reste de la "culture" (tout de suite les grands mots), ne soit pas reconnu comme essentiel, regrettant le cinéma du monde d'avant, sans trop se soucier de ce que sera le cinéma dans le monde d'après... Alors que la crise actuelle, à travers ce qu'elle révèle de pernicieux dans l'exploitation des films, aurait dû aussi nous mobiliser contre ce qui justement n'allait pas dans le cinéma, avant la crise. Profiter de la fermeture des salles, par l'arrêt brutal qu'elle provoque dans l'économie d'un système, semblable à un long mouvement de grève, pour revendiquer des changements. Ainsi, pour commencer, dans la manière de distribuer les films, qui nous fasse sortir du grand n'importe quoi qui, de plus en plus, accompagne la sortie des films, aussi pléthorique qu'anarchique, véritable jeu de massacre pour les petits films indépendants, condamnés à passer dans un minimum de salles (deux c'est Byzance), à des horaires de sieste et pas plus d'une semaine...
Mais non, les salles vont finir pas rouvrir (pas toutes), les gens vont s'y précipiter (réflexe normal après toute période de privation), les cartes "illimitées" vont chauffer quelque temps... et puis, comme rien n'aura changé, et que, pendant ce temps-là, le milieu se sera encore davantage "plateformisé" (Netflix mais aussi tous ses concurrents qui rêvent de se partager le gâteau), eh bien, les salles vont petit à petit se vider, à mesure que disparaîtra (progressivement) la "génération du grand écran" (oui, la mienne), jusqu'au moment où, dans un sursaut de lucidité, on se dira qu'il faut faire quelque chose pour sauver la salle de cinéma. Sauf qu'il sera trop tard.
D'ailleurs mais c'est quoi le "grand n'importe quoi" exactement ? Quelles sont les causes, qui sont les responsables, quelles seraient les solutions ? Parce que "yaka se mobiliser", ça ne nous avance pas beaucoup...
RépondreSupprimerJe suis d'accord avec le camarade Vladimir Ilitch, vous vous plaignez comme tout le monde mais vous n'apportez pas de solutions
SupprimerHé ho les gars, vous n'y êtes pas du tout, je n'ai pas rédigé une thèse ou un quelconque rapport sur la crise du cinéma, j'ai juste écrit un billet d'humeur où, fort de mon pessimisme habituel (le billet s'intitule "Orwellisons..." pas "Ce qu'il faudrait faire"), j'exprime, au-delà de l'inquiétude légitime exprimée par tout le monde, une autre inquiétude, plus profonde, qui ne sera pas levée avec le retour à la normale. Faire l'analyse des causes et proposer des remèdes ce n'est pas de mon ressort ni de mes compétences.
SupprimerOn dirait un édito de Stéphane Delorme.
RépondreSupprimerN'importe quoi.
SupprimerQuand quelqu'un se bougera, "il sera trop tard" comme vous dites.
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