L'Adversaire de Satyajit Ray (1970).
L'idéaliste.
Réalisé juste après Des jours et des nuits dans la forêt, l'Adversaire (1), qui marque le retour à la "grande ville" de Satyajit Ray, en est le contrepoint (les deux films sont adaptés du même auteur, Sunil Gangopadhyay). Considéré comme secondaire, du fait surtout des procédés esthétiques (les souvenirs flashs, les pensées brutalement visualisées, les rêves "en négatif"...) utilisés par le cinéaste, qui aujourd'hui paraissent un peu datés, le film n'en est pas moins un jalon important dans l'œuvre de Ray. Et ce, même dans son approche politique qu'on a trop vite fait d'opposer à celle plus radicale d'un Ghatak. Ainsi du personnage de Siddhartha, héros idéaliste mais velléitaire - préfigurant à sa manière le "Michele" de Nanni Moretti, en plus timide et moins irascible -, dont les idées vaguement révolutionnaires (c'est l'Inde fiévreuse de 1970 - marquée par la nouvelle politique, plus à gauche, d'Indira Gandhi, après la scission de son parti, la contestation et les attentats perpétués par la rébellion "naxalite", mouvement maoïste cherchant à renverser le gouvernement - qui sert de toile de fond au film)... dont les idées, donc, se résument, lorsqu'il les exprime publiquement, à considérer la guerre du Vietnam historiquement plus importante que le premier pas de l'homme sur la Lune, parce que la résistance du peuple vietnamien face à l'ogre américain, personne ne s'y attendait, alors que la conquête de la Lune, elle, était prévisible (c'est le côté "non-aligné" de Ray qui s'exprime là, jamais appuyé mais bien réel). La révolution, il y pense mais ne se sent pas le courage de la faire, contrairement à son jeune frère. Devenu chef de famille depuis la mort du père - qui ouvre (en négatif) le film -, condamné dès lors à interrompre ses études de médecine pour trouver du travail, il traverse le film comme il traverse la ville et la vie, soucieux de l'avenir ("l'air toujours très sérieux, sourcils froncés et tête baissée", comme dit la future fiancée) mais incapable de le provoquer. Son idéalisme, au lieu d'être un moteur, à l'instar des grands révolutionnaires (qui par exemple l'aurait poussé à tuer autrement qu'en pensée le patron de sa sœur qu'il soupçonne d'exploiter, sinon plus), se trouve miné par une sorte de romantisme alangui (accentué par la chaleur qui règne durant tout le film), ce qui rend le personnage d'autant plus attachant qu'il y a sûrement du Satyajit Ray jeune dans cette image d'une jeunesse empêtrée dans ses refoulements comme dans ses contradictions. A la différence du roman d'apprentissage - à la Apu -, le film, ainsi ancré dans son époque, qui lui confère un côté Nouvelle Vague (notamment par son caractère urbain), brosse donc le portrait d'un jeune homme de la ville, en deuil de son père et de ses idéaux. Portrait plus rouchien que renoirien, si on le compare au film précédent. La scène, très belle, où Siddhartha et Keya se témoignent leur attachement —
Elle: Parfois on devine que quelqu'un est bon uniquement par ses yeux.
Lui: Oui mais on peut se tromper.
Elle: Il est préférable d'avoir raison.
—, ne prélude pas nécessairement d'un avenir radieux, mais, en plus de rappeler l'importance du regard dans les films de Ray, donne au jeune homme un peu du courage qui lui manquait pour se révolter. Car la révolte a quand même lieu. Certes à petite échelle, celle réduite, allégorique, d'un entretien d'embauche, quand Siddhartha, parmi des dizaines d'autres candidats forcés d'attendre leur tour pendant des heures sous une chaleur torride et pour beaucoup sans même pouvoir s'asseoir sur une chaise, finit par s'insurger en saccageant le bureau où se tiennent les entretiens. Il ne lui reste plus dès lors qu'à accepter le poste de vendeur (pour une firme pharmaceutique) qu'on lui avait proposé au début mais qui l'obligeait à quitter Calcutta. Quitter la ville, la vie "putride" qui lui est liée, mais qui relève quand même de la vie, comme il est dit dans le film, pour aller travailler à la campagne (thème récurrent chez Satyajit Ray), loin des siens et de celle qu'on aime (même si on s'est promis de s'écrire)... Avec l'impression de tout perdre. Sauf que non. Car c'est là-bas que Siddhartha finit aussi par retrouver ce chant d'oiseau, un souvenir d'enfance - comment on dit "madeleine" en bengali? -, qui l'avait poursuivi tout au long du film, sans pouvoir se rappeler le nom de l'oiseau. De sorte que "l'adversaire" du titre, c'était peut-être tous ces chefs arrogants qu'il rêvait de renverser, mais plus encore, et c'est là la grandeur de Ray, cette pensée sombre, mélancolique et paralysante qui, sous couvert de deuil, lui interdisait de voir l'avenir autrement que sous son aspect le plus "négatif". Jusqu'au chant de l'oiseau...
(1) L'Adversaire (Pratidwandi) constitue le premier volet de ce qu'on appelle "la trilogie de Calcutta", les deux autres étant Company Limited (Seemabaddha, 1971) et l'Intermédiaire (Jana aranya, 1976).
Alors il avance ce livre sur Satyajit Ray ?
RépondreSupprimerOui mais tout doucement je dois le rédiger en bengali.
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