La Désabusion, Nino Ferrer, 1993.
La Désabusion, le dernier album studio de Nino Ferrer (négligeons La Vie chez les automobiles), peut-être son chef-d'œuvre (le débat est ouvert mais n'a pas grand intérêt), enregistré là-bas chez lui, dans "le sud" (le Quercy, un nouveau Piémont), où il s'était retiré quinze ans plus tôt (fuyant le milieu professionnel qui l'avait déçu), là-bas, c'est-à-dire dans sa maison (il doit bien y avoir une fontaine pas trop loin), La Taillade, où il avait aménagé son studio, pour se consacrer à sa peinture - on pense à Captain Beefheart -, à sa musique... bref, y produire ses œuvres, "faites maison".
La Désabusion, où l'on retrouve cette ambiance typiquement ferrerienne, faite de multiples influences, notamment latino-américaines, avec ici salsa, mambo et même cha-cha-cha, après une entrée haute en couleur qui mixe le folklore russe à la "sauce" cubaine (les cuivres), le même fond bluesy et jazzy qui imprègne toute son œuvre, sans oublier bien sûr le style de la première période (moins les succès comme "Mirza" ou "Les Cornichons", bien que l'album les évoque par moments, que des chansons de face B moins connues, comme si de cette période, mais on s'en doutait, les titres les plus importants n'étaient pas les plus célèbres), écho aussi à toute une tradition de pop-rock à la française (le shellerien Trapèze volant, l'higelinesque Piano jazzy, qu'on peut voir comme une réponse à "Mirza"). Et comme toujours chez Ferrer, ce goût des mots, jusqu'à la pure et simple énumération (des noms russes dans Notre chère Russie, des prénoms dans Marcel et Roger), une gourmandise à la Bobby Lapointe (le désopilant L'Année Mozart, qui conclut l'album, sur l'air de La Marche turque), que viennent magnifier les solos de guitare de Mickey Finn (sur quasiment toutes les chansons, de "Notre chère Russie", qui donc ouvre l'album, chanson qu'il a lui-même composée, à Ma vie pour rien, une reprise - la version "rhythm'n'blues" de 1965: là, sur le maxi 45 tours Mirza, toujours elle, satanée Mirza - en passant par La Désabusion, Le Bonheur ou encore La Danse de la pluie — sur l'album l'ordre des chansons suit une ligne vaguement bipolaire qui monte et qui descend), Mickey Finn ou Micky Finn (rien à voir avec le batteur de T. Rex), un guitariste irlandais rencontré dix ans auparavant et avec qui Nino Ferrer va non seulement enregistrer la plupart de ses albums (à partir de Nino Ferrer & Leggs, du nom du groupe formé par Finn et quatre autres musiciens pour accompagner Ferrer), mais surtout nouer une profonde amitié, au point de lui rendre hommage sur l'un d'entre eux ("Micky Micky", Ex libris) et de le citer, ici, dans la dernière chanson ("Si Mozart avait connu Micky, ils auraient bu beaucoup de whisky"), l'album se terminant sur un échange entre les deux hommes (Ferrer: Tu viens Micky? - Finn: Où ça? - Ferrer: Dans un bar! - Finn: D'accord! - Ferrer: D'accord? - Finn: D'accord!...).
Tiens au fait, ils rouvrent quand les bars? qu'on puisse y noyer notre désabusion...
Bonus: la vraie dernière chanson de Nino Ferrer: Un homme à l'espace (sur l'album live Concert chez Harry, 1995).
PS. On connaît la suite. Le projet d'un ultime album, Suite et fin, restera sans suite et connaîtra une fin, malheureusement brutale. Nino Ferrer, d'un tempérament dépressif, très attaché à sa mère, Mounette, dont il était le seul enfant, ne va pas survivre à la disparition de celle-ci (à l'instar d'un Ozu ou d'un Barthes). Le 13 août 1998, il se donne la mort.
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