vendredi 15 septembre 2023

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Le Gang des Bois du Temple
de Rabah Ameur-Zaïmeche (2022).

Mon TOP 10 des films français au ¾ de l’année: (par ordre alphabétique)

Anatomie d’une chute de Justine Triet: Le comment et le pourquoi
Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand: De l'amitié
L’Eté dernier de Catherine Breillat 
Le Gang des Bois du Temple de Rabah Ameur-Zaïmeche
Lumière de Jeanne Moreau (1976, reprise): Notes
Mes chers espions de Vladimir Léon: Deux Léon, deux
La Montagne de Thomas Salvador: L'homme au bras d'or
Super-bourrés de Bastien Milheau
Voyages en Italie de Sophie Letourneur: On est comme on est
Yannick de Quentin Dupieux: Y'a un hic

A venir: textes sur le RAZ  (L'ultime Raz-zia) et le Breillat (Soudain l'été dernier).

En attendant, quelques mots sur Barbe bleue, le téléfilm que Breillat a réalisé pour Arte en 2009:

Dire d’abord que le film est visuellement magnifique. Beauté des lieux (ah le féerique Château de Val dont l'imposante silhouette, avec ses six grandes tours, a bercé mon enfance), splendeur des ornements (le bas-relief en or sur fond fleurdelysé qui ouvre le film, les grandes tapisseries, les étoffes brodées de perles et de pierres précieuses...), Breillat étale avec une gourmandise non feinte toute cette magnificence qui caractérisait la noblesse de l'époque, celle du XVe siècle (période charnière entre le médiéval et le renaissant), à travers ses représentations picturales (de Cranach l'Ancien à Holbein le Jeune), qui surtout est propre aux contes, à commencer par ceux de Perrault, via l’imagination des petites filles (suivra en 2010 la Belle Endormie).
C’est que le maniérisme du film n’a rien d’esthétisant. La somptuosité de l’image, avec son extraordinaire palette chromatique, c'est la richesse de l’imaginaire, de cette imaginaire, si fort, si intense, à partir d’où se construit l’univers d’un artiste, et ce dès le plus jeune âge. C’est pourquoi ce film de Breillat est aussi le "premier", le film qui précèderait Une vraie jeune fille, 36 Fillette ou encore A ma sœur! C’est le film des premières images, encore merveilleuses, des premiers plaisirs, à la fois innocents et pervers, quant à la peur, quant à l’amour, quant à la peur de l’amour. Tout le cinéma de Breillat est là, mais sous une forme disons proto-érotique (sachant que son cinéma n'est justement pas érotique), dans cette histoire de Barbe bleue.
Deux récits se superposent, se faisant écho, chacun étant le commentaire de l’autre: le conte proprement dit, dont Breillat atténue (à défaut d’évacuer) le caractère trop symbolique (le bleu de la barbe, la clef tachée de sang...), la portée psychanalytique (moins le sadisme que la féminisation du personnage-titre, appelé dans le conte "la Barbe bleue"), la dimension populaire (la fin de l'histoire, trop connue, est volontairement escamotée), pour s’en tenir aux seuls mécanismes d’identification, ceux qui jouent prioritairement au cinéma; un souvenir d’enfance, lorsque Breillat et sa sœur, réfugiées dans le grenier, lisaient Barbe bleue pour se faire peur (autant de scènes rompant régulièrement le charme du film par le jeu minaudier des jeunes actrices — les enfants, soit ils jouent faux et c’est agaçant, soit ils jouent juste, comme des adultes, et ça sonne faux —, mais nécessaires pour dépasser le côté "trop-belle-image" du film (l'imaginaire), cet aspect un peu borowczykien qu’on pourrait lui reprocher, même si, je l’ai déjà dit, ce formalisme luxuriant n’a rien de plaqué, évoquant même par instants le dernier Eisenstein, celui d’Ivan le Terrible (cf. la scène en haut de la tour, filmée en plongée, dans laquelle Dominique Thomas qui joue Barbe bleue fait penser à Nicolas Tcherkassov).
Deux niveaux qui finissent par se rejoindre au moment crucial — la découverte du cabinet interdit (soit la rencontre avec le Réel) —, où là, la petite fille qui lit le conte (Breillat donc) prend la place de l’héroïne, quand l’identification joue à plein, puis que le mouvement s'inverse (la projection), et que la pulsion devient plus forte que la peur, le désir plus fort que la loi, l’art plus fort que la mort...

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