C'est le feuilleton de l'été. L'histoire de Brian Wilson et des Beach Boys, racontée par Michka Assayas (texte paru dans Les Inrockuptibles n°38, été 1992). Première partie: 1961-1964.
Les Beach Boys ont toujours été démodés. Pas de mythologie, pas d'identification possible, rien d'existentiel qui fasse rêver: leurs photos étaient idiotes, leurs pochettes de disques moches ou anodines. Cinq boy-scouts chantant à tue-tête, empilés dans une jeep ou courant en bermudas sur la plage: les Beach Boys incarnaient ce qu'on était censé vomir le jour où l'on s'intéressait au rock. Pourtant, de Paul McCartney à XTC, en passant par John Cale, Prefab Sprout, Primal Scream, Teenage Fanclub, Fatima Mansions ou Elvis Costello, tous vous le diront: les Beach Boys, c'est ce qui reste quand on a tout oublié. Leur musique appartient au monde de l'enfance, avec ses ritournelles, ses comptines et son babil naïf. Elle est ce dont on a honte devant ses copains. De 1962 à 1966, des albums Surfin' Safari à Pet Sounds, Brian Wilson, leader, chanteur, bassiste et pianiste du groupe, mais surtout compositeur, arrangeur et producteur unique, réalise douze albums, soit près de cent cinquante chansons. A l'âge de 25 ans, sa carrière est pour l'essentiel terminée. Vers la fin de l'année 1967, après avoir créé une musique céleste, Brian Wilson est mort à lui-même. Détruit par sa quête effrénée, par la drogue, emporté par la maladie mentale. La légende naît. Elle correspond à la préparation, durant l'année 1966-1967, de Smile, un album jamais achevé, censé propulser l'œuvre des Beach Boys vers les étoiles. Mais la fusée explose en plein vol. En ce temps-là, Wilson se sentait gravir, degré par degré, une échelle magique. Et puis il ne sentit plus rien sous ses pieds: le vide, la nuit. Parce qu'elle est identique au destin de l'enfance - croître, s'épanouir et périr dans le naufrage de l'adolescence -, l'histoire de Brian Wilson et des Beach Boys est tragique.
La symphonie inachevée (I).
Les Beach Boys ont toujours été démodés. Pas de mythologie, pas d'identification possible, rien d'existentiel qui fasse rêver: leurs photos étaient idiotes, leurs pochettes de disques moches ou anodines. Cinq boy-scouts chantant à tue-tête, empilés dans une jeep ou courant en bermudas sur la plage: les Beach Boys incarnaient ce qu'on était censé vomir le jour où l'on s'intéressait au rock. Pourtant, de Paul McCartney à XTC, en passant par John Cale, Prefab Sprout, Primal Scream, Teenage Fanclub, Fatima Mansions ou Elvis Costello, tous vous le diront: les Beach Boys, c'est ce qui reste quand on a tout oublié. Leur musique appartient au monde de l'enfance, avec ses ritournelles, ses comptines et son babil naïf. Elle est ce dont on a honte devant ses copains. De 1962 à 1966, des albums Surfin' Safari à Pet Sounds, Brian Wilson, leader, chanteur, bassiste et pianiste du groupe, mais surtout compositeur, arrangeur et producteur unique, réalise douze albums, soit près de cent cinquante chansons. A l'âge de 25 ans, sa carrière est pour l'essentiel terminée. Vers la fin de l'année 1967, après avoir créé une musique céleste, Brian Wilson est mort à lui-même. Détruit par sa quête effrénée, par la drogue, emporté par la maladie mentale. La légende naît. Elle correspond à la préparation, durant l'année 1966-1967, de Smile, un album jamais achevé, censé propulser l'œuvre des Beach Boys vers les étoiles. Mais la fusée explose en plein vol. En ce temps-là, Wilson se sentait gravir, degré par degré, une échelle magique. Et puis il ne sentit plus rien sous ses pieds: le vide, la nuit. Parce qu'elle est identique au destin de l'enfance - croître, s'épanouir et périr dans le naufrage de l'adolescence -, l'histoire de Brian Wilson et des Beach Boys est tragique.
La symphonie inachevée (I).
En général, on fonde un groupe de rock pour fuir ce qui vous fait suer: la famille. Dans le cas des Beach Boys, ça a été le contraire. Les trois frères Wilson et leur cousin Mike Love ont créé les Beach Boys pour rester en famille. Tout au moins ne songeaient-ils pas qu'un jour, il leur faudrait la quitter. Quand ils enregistrèrent Surfin', leur premier disque en octobre 1961, ils étaient encore des enfants: Brian Wilson, l'aîné, avait 19 ans, Dennis 17, Carl moins de 15; Mike Love, le cousin, avec ses 20 ans, était le plus âgé de la bande, et Al Jardine, le copain de lycée de Brian, en avait, comme lui, 19. L'idée des Beach Boys était simple comme bonjour: superposer, sur un rythme de rock'n'roll inspiré par les chansons de Chuck Berry et Little Richard, des harmonies complexes que, par un don spécial, Brian Wilson, pourtant sourd d'une oreille, entendait dans sa tête. Son modèle était un groupe vocal très populaire du début des années 50, les Four Freshmen, pour qui il avait éprouvé une grande fascination dès l'enfance. C'était la "formule" des Beach Boys: joie de vivre, soleil, harmonies, rythme trépidant. Elle entraîna leur succès instantané, dès la fin de l'année 1962. Principalement auprès des filles: il y eut une "beachboymania" bien avant la "beatlemania".
Les frères Wilson avaient l'habitude de chanter ensemble dans leur chambre avant de s'endormir. A Noël, ils retrouvaient leur cousin et chantaient en chœur, déjà sous la direction de Brian. Quand ils passèrent professionnels, ils ne vécurent aucune rupture, au contraire, avec la vie de famille: leur manager, c'était leur père. La famille Wilson s'était installée à la fin de la guerre à Hawthorne, une banlieue de Los Angeles. Le père travailla une dizaine d'années à l'usine Goodyear. C'est là qu'il perdit l'usage de son œil gauche, brûlé par un jet d'acide. Puis il s'établit à son compte et fonda une entreprise de vente de matériel aéronautique. Dans l'autobiographie de Brian Wilson, parue à l'automne aux Etats-Unis [Wouldn’t It Be Nice: My Own Story, 1991] et dictée, de toute évidence, par son psychiatre-manager [le Dr Landy, ce qui fait que cette autobiographie, Wilson l'a depuis désavouée au profit d'une nouvelle, I Am Brian Wilson, plus authentique, publiée en 2016 - NDLR], la personnalité inquiétante du père est largement exposée. Compositeur et musicien frustré, auteur de chansons dont la réputation ne dépassa jamais le cercle familial, cet homme instable, qui frappait durement ses enfants et les tourmentait psychologiquement, ne supporta jamais qu'ils aient plus de talent que lui, et surtout qu'ils réussissent mieux - singulièrement son fils aîné Brian. La première fois que "Surfin'" passa à la radio, la réaction de Murry Wilson fut laconique: "Ce n'est pas assez bon." "Rien n'était assez bon pour lui, et en conséquence rien n'était assez bon pour moi. J'ai passé ma vie à essayer de lui prouver qu'il avait tort, mais il s'est révélé impossible d'échapper à ses critiques acerbes", conclut Brian Wilson, sur ce chapitre.
Père violent, Murry Wilson fut, naturellement, un manager à poigne, cognant allègrement sur ses fils devenus entre-temps idoles des jeunes. Il institua un système d'amendes destiné à discipliner ses troupes: 50 dollars de retenue pour être sorti avec des filles, 100 pour avoir dit des gros mots. "Surfin'", sorti sur le label indépendant Candix en décembre 1961, devint rapidement un petit tube local. L'ambition de Brian s'envola très vite. Un jour que le groupe répétait dans son garage, un voisin, Gary Usher, vint se présenter: il avait le prestige de l'âge, 25 ans, alors que Brian en avait 20. Surtout, il avait déjà produit deux disques. Il lui parla de ce qui se passait à New York: les équipes de compositeurs, Goffin et King, Mann et Weil, Leiber et Stoller, qui pondaient tube sur tube et gagnaient des mille et des cents. Usher et Wilson écrivirent ensemble 409, la première d'une longue série de chansons à la gloire des voitures de sport. Pour faire la demo, ils enregistrèrent scrupuleusement à 2h du matin le bruit du moteur de la Chevrolet de Gary Usher.
Un beau jour, non sans être dûment chaperonnés par Wilson senior, Brian et Gary Usher obtiennent un rendez-vous avec Nick Venet, le tout jeune responsable du rock'n'roll chez Capitol. Celui-ci écoute le début de Surfin' Safari, la première demo du groupe enregistrée dans un vrai studio, et saute en l'air: "C'est un tube! C'est une chanson qui va révolutionner la musique de la Côte Ouest." Et c'est exactement ce qui se passe. Brian, intimement persuadé que la chanson va connaître un succès phénoménal, n'est pas surpris. La mégalomanie paternelle était passée dans les gènes: "Je ne voyais aucune raison pour qu'on ne soit pas en tête de la course."
Le groupe enregistre son premier album à l'été 1962. Les Beach Boys sont propulsés vedettes nationales en l'espace de quelques mois. Ils reçoivent la visite de fans qui assiègent la maison familiale. Les filles hurlent sans discontinuer pendant leurs concerts. Le père, qui garde la tête froide, rappelle à ses enfants que, jusqu'à nouvel ordre, le seul talent musical dans la maison, c'est lui: ce qu'ils ont fait jusqu'à maintenant, c'est de l'amateurisme; à présent, ils vont passer aux choses sérieuses, c'est-à-dire enregistrer les chansons de Murry Wilson. C'est le début d'une lutte terrible entre Brian et son père. Celui-ci ne manque pas d'ingéniosité pour tourmenter son fils aîné. Il exige que lui soit versé personnellement 50% des droits d'auteur des chansons: Brian cède. Par la suite, Murry Wilson en obtiendra la totalité. Puis il trouve un moyen de se débarrasser de ce gêneur d'Usher, à qui il ne veut pas donner un sou: un soir, il le chasse de chez lui, sous le prétexte qu'il a fourni de la bière à son fils.
Dans un premier acte de rébellion anti-paternelle, Brian quitte le domicile familial. Il s'installe dans l'appartement d'un ami, Bob Norberg, un futur pilote de ligne, rêvant alors d'une carrière musicale. Au moment du grand départ, le père fait une scène d'hystérie, fondant en larmes en pleine rue. Norberg écrit quelques chansons avec Brian. Calé en électronique, il bricole chez lui un studio de fortune qui permet pour la première fois à Brian de faire des overdubs sur ses demos. Mais surtout, Norberg va susciter chez lui un choc dont il ne se remettra pas: la découverte de la musique de Phil Spector. Spector tournera à l'obsession chez Brian Wilson. Dans son subconscient, il jouera tous les rôles: héros, dieu, modèle intouchable, mais aussi rival, ennemi, cherchant à lui nuire par des voies occultes. C'est pour mieux imiter Spector qu'il se tuera à la tâche. Pour l'heure, il écoute tous les jours He's Sure the Boy I Love.
Pendant ce temps, le succès des Beach Boys devient irrésistible. Persuadé que le surf est une mode passagère et qu'il faut vite ramasser la mise, Capitol met une pression infernale sur le groupe: l'album suivant, Surfin' USA, est enregistré en moins d'un mois. Le groupe part en tournée: quarante concerts dans le Midwest à l'été 1963. Dès qu'un album sort, Brian est censé avoir déjà écrit le suivant, qu'il faut enregistrer à la fin de la tournée. Quand le troisième album, Surfer Girl, sort en septembre 1963, le suivant, Little Deuce Coupe, prévu pour décembre, est déjà composé. Désireux de faire comme Phil Spector, Brian Wilson obtient de Capitol le droit de diriger lui-même l'enregistrement de Surfer Girl. Il choisit Western, un studio 4 pistes, pour avoir un son plus "couillu". Perfectionniste, obsédé, il passe neuf à dix heures par jour en studio. Il y découvre sa vocation. Et il sait déjà ce qui lui déplaît: la contrainte des tournées qui l'épuisent nerveusement et, surtout, lui donnent mauvaise conscience. En tournée, il n'a pas le temps de composer, ce qui porte au comble son anxiété: "J'aimais faire plaisir au public en jouant, mais je jouais aussi pour me séparer du monde. En tant qu'enfant battu, je savais que le fait de jouer m'aidait à tenir mon père à distance." A une distance, hélas, pas si grande: pendant les concerts du groupe, le père, comme un entraîneur au bord du ring, se tient aux aguets, hurlant et vociférant. Il s'en prend, évidemment, surtout à Brian: "Dégourdis-toi un peu! Intéresse-toi à ce que tu fais!" Dans les documents de l'époque, on voit un curieux spectacle: Brian, détaché du groupe, l'air totalement perdu avec son mètre quatre-vingt-dix, chantant avec la bouche de travers, atrocement gauche et timide, comme s'il s'attendait à une torgnole imminente. Derrière, on sent déjà percer les velléités de showman de Mike Love (celui, comme on sait, qui avait la voix de canard). Dennis, le sauvage de la famille, cogne comme un furieux sur sa batterie. Carl qui, à l'époque, est âgé d'à peine 17 ans, a l'air d'un baigneur joufflu, engraissé comme une oie. Quant à Al Jardine, il ressemble à ce qu'il a toujours été: le fils du voisin, sympa, toujours serviable, un peu bricolo, venu donner un coup de main. Durant ces tournées, les amendes pleuvent sur les membres du groupe qui, en bons enfants de l'après-guerre élevés à la trique, se comportent comme une bande de furieux intenables. Un jour, Murry Wilson, au cours d'un déplacement en autocar, frappe violemment Mike Love qui a refusé d'aider le groupe à installer le matériel sous prétexte qu'il ne joue, lui, d'aucun instrument. Les coups sont si violents que le car s'arrête: l'oncle et le neveu sortent et roulent à terre. Mike Love a le dessus.
Brian, pendant les tournées, s'enferme dans sa chambre pour boire. Dès l'été 1963, il ne s'intéresse plus qu'au travail de studio. Poussant à l'extrême son imitation de Phil Spector, il produit un trio vocal féminin, les Honeys, formé par sa future femme Marilyn Rovell, avec sa sœur Diane. Sans grand succès. Un jour qu'il se promène en voiture avec Marilyn, il entend à la radio Be My Baby des Ronettes. Il s'arrête sur le côté, abasourdi. Il fonce dans un magasin et en achète dix exemplaires, qu'il passe chez lui inlassablement. "J'ai appris chaque note, chaque son, la vibration de chaque sillon." Comme défié par ce morceau, il compose l'une de ses plus belles ballades, Don't Worry Baby, avec son nouveau parolier, le disc-jockey Roger Christian, responsable de son initiation à la culture automobile. Celui-ci le dissuade de mettre son idée à exécution: offrir le morceau à Spector. Exactement ce que Wilson voulait entendre: "Je parie que je peux faire cette chanson avec les Beach Boys aussi bien que Phil Spector." C'est à cette époque que le disciple rencontre pour la première fois le maître. Spector l'invite à participer aux sessions d'enregistrement du Christmas Album. Les choses se passent assez mal: Wilson, qui voulait juste regarder Spector à l'œuvre, est invité à collaborer. On l'installe au piano et on lui colle une partition. Mais il ne sait pas très bien déchiffrer. A la quatrième tentative, Spector le remercie. Wilson a le temps d'observer ses méthodes: "Sa personnalité aberrante était peut-être sa meilleure arme pour faire des disques. Elle lui permettait de manipuler les gens afin qu'ils fassent exactement ce qu'il voulait. Il ne s'adaptait pas au monde; c'est le monde qui s'adaptait à lui. Comme moi, le jour où il est devenu incapable de sortir ce truc de sa manche, Spector a dû quitter la scène musicale."
Au bout d'un an de ce régime, Brian ressent ses premiers troubles psychologiques sérieux. Il entend des voix pendant son sommeil. L'idée de partir en tournée le déprime de plus en plus. En janvier 1964, il accompagne le groupe en Australie. Dès qu'il est hors du studio ou qu'il ne compose pas, sa fragilité et son complexe d'infériorité remontent à la surface. Il confie à Al Jardine que tout le décourage: il voudrait ne plus avoir à prouver, ne plus avoir à lutter pour maintenir sa réputation. "Je n'aime pas toutes les choses qu'il faut traverser dans la vie", lui confie-t-il. Ses doutes vont être aggravés par un phénomène qui prend l'Amérique par surprise, une sorte de Pearl Harbor britannique: l'arrivée des Beatles. Il entend pour la première fois I Want to Hold Your Hand en Nouvelle-Zélande et livre son commentaire aux autres Beach Boys: "La chanson est vraiment simple, très simple, mais elle est accrocheuse, et il y a quelque chose." Son anxiété grandit quand il retourne à Los Angeles. Il est tellement complexé par la musique des Beatles qu'il veut annuler la sortie de l'album prévu, Shut Down, vol. 2; ce dont, naturellement, tout le monde le dissuade. Fun, Fun, Fun, le nouveau 45t, est détrôné par les Beatles et ne dépasse pas la cinquième place des charts. C'est le début d'une nouvelle période de défi et de compétition: cette fois-ci, le diapason n'est plus donné par Phil Spector, mais par les Beatles. Brian Wilson écrit ses nouvelles chansons - I Get Around, All Summer Long, Girls on the Beach, Wendy - seul, sans l'aide d'un parolier. Exaspéré par l'attitude de son père qui continue de venir au studio et à critiquer tout ce qu'il fait, "Brian le perdant", prend son courage à deux mains et le renvoie: Murry Wilson entre alors dans une dépression qui le cloue au lit pendant un mois.
"I Get Around", à l'été 1964, devient le premier n°1 du groupe. Mais Brian ne va pas mieux pour autant, au contraire. Il fuit le contact avec les autres, fixe des objets durant des périodes interminables, bref, s'enferme de plus en plus en lui-même. Il reproche aux Beach Boys de trop s'intéresser aux filles et à la rigolade, de ne plus se concentrer sur la musique. Le père, pendant ce temps, n'a pas déposé les armes. Il téléphone à Brian en pleine nuit, régulièrement, pour lui demander les 50% restants des droits d'auteur. Le groupe repart en tournée et, cette fois, Brian ne fait plus que se plaindre: il s'enferme dans sa chambre d'hôtel et n'arrête pas de boire. Contraint malgré lui d'aller en Europe fin 1964, il fait une dépression nerveuse. Dans l'avion qui l'emmène avant Noël, pour une série de concerts dans le sud-ouest des Etats-Unis, il a une véritable crise de nerfs: il exige que le pilote retourne à Los Angeles, veut descendre et doit être maîtrisé. Arrivé à destination, il est aussitôt emmené à l'hôpital où on le met sous calmants. Il est rapatrié. Son unique souhait, quand sa mère l'accueille à l'aéroport, est de retourner à l'ancienne maison familiale d'Hawthorne. Et qu'elle lui fasse des œufs à la coque.
1. Surfin' Safari (1962)
2. Surfin' USA (1963)
3. Surfer Girl (1963)
4. Little Deuce Coupe (1963)
5. Shut Down Volume 2 (1964)
6. All Summer Long (1964)
7. The Beach Boys' Christmas Album (1964)
Les frères Wilson avaient l'habitude de chanter ensemble dans leur chambre avant de s'endormir. A Noël, ils retrouvaient leur cousin et chantaient en chœur, déjà sous la direction de Brian. Quand ils passèrent professionnels, ils ne vécurent aucune rupture, au contraire, avec la vie de famille: leur manager, c'était leur père. La famille Wilson s'était installée à la fin de la guerre à Hawthorne, une banlieue de Los Angeles. Le père travailla une dizaine d'années à l'usine Goodyear. C'est là qu'il perdit l'usage de son œil gauche, brûlé par un jet d'acide. Puis il s'établit à son compte et fonda une entreprise de vente de matériel aéronautique. Dans l'autobiographie de Brian Wilson, parue à l'automne aux Etats-Unis [Wouldn’t It Be Nice: My Own Story, 1991] et dictée, de toute évidence, par son psychiatre-manager [le Dr Landy, ce qui fait que cette autobiographie, Wilson l'a depuis désavouée au profit d'une nouvelle, I Am Brian Wilson, plus authentique, publiée en 2016 - NDLR], la personnalité inquiétante du père est largement exposée. Compositeur et musicien frustré, auteur de chansons dont la réputation ne dépassa jamais le cercle familial, cet homme instable, qui frappait durement ses enfants et les tourmentait psychologiquement, ne supporta jamais qu'ils aient plus de talent que lui, et surtout qu'ils réussissent mieux - singulièrement son fils aîné Brian. La première fois que "Surfin'" passa à la radio, la réaction de Murry Wilson fut laconique: "Ce n'est pas assez bon." "Rien n'était assez bon pour lui, et en conséquence rien n'était assez bon pour moi. J'ai passé ma vie à essayer de lui prouver qu'il avait tort, mais il s'est révélé impossible d'échapper à ses critiques acerbes", conclut Brian Wilson, sur ce chapitre.
Père violent, Murry Wilson fut, naturellement, un manager à poigne, cognant allègrement sur ses fils devenus entre-temps idoles des jeunes. Il institua un système d'amendes destiné à discipliner ses troupes: 50 dollars de retenue pour être sorti avec des filles, 100 pour avoir dit des gros mots. "Surfin'", sorti sur le label indépendant Candix en décembre 1961, devint rapidement un petit tube local. L'ambition de Brian s'envola très vite. Un jour que le groupe répétait dans son garage, un voisin, Gary Usher, vint se présenter: il avait le prestige de l'âge, 25 ans, alors que Brian en avait 20. Surtout, il avait déjà produit deux disques. Il lui parla de ce qui se passait à New York: les équipes de compositeurs, Goffin et King, Mann et Weil, Leiber et Stoller, qui pondaient tube sur tube et gagnaient des mille et des cents. Usher et Wilson écrivirent ensemble 409, la première d'une longue série de chansons à la gloire des voitures de sport. Pour faire la demo, ils enregistrèrent scrupuleusement à 2h du matin le bruit du moteur de la Chevrolet de Gary Usher.
Un beau jour, non sans être dûment chaperonnés par Wilson senior, Brian et Gary Usher obtiennent un rendez-vous avec Nick Venet, le tout jeune responsable du rock'n'roll chez Capitol. Celui-ci écoute le début de Surfin' Safari, la première demo du groupe enregistrée dans un vrai studio, et saute en l'air: "C'est un tube! C'est une chanson qui va révolutionner la musique de la Côte Ouest." Et c'est exactement ce qui se passe. Brian, intimement persuadé que la chanson va connaître un succès phénoménal, n'est pas surpris. La mégalomanie paternelle était passée dans les gènes: "Je ne voyais aucune raison pour qu'on ne soit pas en tête de la course."
Le groupe enregistre son premier album à l'été 1962. Les Beach Boys sont propulsés vedettes nationales en l'espace de quelques mois. Ils reçoivent la visite de fans qui assiègent la maison familiale. Les filles hurlent sans discontinuer pendant leurs concerts. Le père, qui garde la tête froide, rappelle à ses enfants que, jusqu'à nouvel ordre, le seul talent musical dans la maison, c'est lui: ce qu'ils ont fait jusqu'à maintenant, c'est de l'amateurisme; à présent, ils vont passer aux choses sérieuses, c'est-à-dire enregistrer les chansons de Murry Wilson. C'est le début d'une lutte terrible entre Brian et son père. Celui-ci ne manque pas d'ingéniosité pour tourmenter son fils aîné. Il exige que lui soit versé personnellement 50% des droits d'auteur des chansons: Brian cède. Par la suite, Murry Wilson en obtiendra la totalité. Puis il trouve un moyen de se débarrasser de ce gêneur d'Usher, à qui il ne veut pas donner un sou: un soir, il le chasse de chez lui, sous le prétexte qu'il a fourni de la bière à son fils.
Dans un premier acte de rébellion anti-paternelle, Brian quitte le domicile familial. Il s'installe dans l'appartement d'un ami, Bob Norberg, un futur pilote de ligne, rêvant alors d'une carrière musicale. Au moment du grand départ, le père fait une scène d'hystérie, fondant en larmes en pleine rue. Norberg écrit quelques chansons avec Brian. Calé en électronique, il bricole chez lui un studio de fortune qui permet pour la première fois à Brian de faire des overdubs sur ses demos. Mais surtout, Norberg va susciter chez lui un choc dont il ne se remettra pas: la découverte de la musique de Phil Spector. Spector tournera à l'obsession chez Brian Wilson. Dans son subconscient, il jouera tous les rôles: héros, dieu, modèle intouchable, mais aussi rival, ennemi, cherchant à lui nuire par des voies occultes. C'est pour mieux imiter Spector qu'il se tuera à la tâche. Pour l'heure, il écoute tous les jours He's Sure the Boy I Love.
Pendant ce temps, le succès des Beach Boys devient irrésistible. Persuadé que le surf est une mode passagère et qu'il faut vite ramasser la mise, Capitol met une pression infernale sur le groupe: l'album suivant, Surfin' USA, est enregistré en moins d'un mois. Le groupe part en tournée: quarante concerts dans le Midwest à l'été 1963. Dès qu'un album sort, Brian est censé avoir déjà écrit le suivant, qu'il faut enregistrer à la fin de la tournée. Quand le troisième album, Surfer Girl, sort en septembre 1963, le suivant, Little Deuce Coupe, prévu pour décembre, est déjà composé. Désireux de faire comme Phil Spector, Brian Wilson obtient de Capitol le droit de diriger lui-même l'enregistrement de Surfer Girl. Il choisit Western, un studio 4 pistes, pour avoir un son plus "couillu". Perfectionniste, obsédé, il passe neuf à dix heures par jour en studio. Il y découvre sa vocation. Et il sait déjà ce qui lui déplaît: la contrainte des tournées qui l'épuisent nerveusement et, surtout, lui donnent mauvaise conscience. En tournée, il n'a pas le temps de composer, ce qui porte au comble son anxiété: "J'aimais faire plaisir au public en jouant, mais je jouais aussi pour me séparer du monde. En tant qu'enfant battu, je savais que le fait de jouer m'aidait à tenir mon père à distance." A une distance, hélas, pas si grande: pendant les concerts du groupe, le père, comme un entraîneur au bord du ring, se tient aux aguets, hurlant et vociférant. Il s'en prend, évidemment, surtout à Brian: "Dégourdis-toi un peu! Intéresse-toi à ce que tu fais!" Dans les documents de l'époque, on voit un curieux spectacle: Brian, détaché du groupe, l'air totalement perdu avec son mètre quatre-vingt-dix, chantant avec la bouche de travers, atrocement gauche et timide, comme s'il s'attendait à une torgnole imminente. Derrière, on sent déjà percer les velléités de showman de Mike Love (celui, comme on sait, qui avait la voix de canard). Dennis, le sauvage de la famille, cogne comme un furieux sur sa batterie. Carl qui, à l'époque, est âgé d'à peine 17 ans, a l'air d'un baigneur joufflu, engraissé comme une oie. Quant à Al Jardine, il ressemble à ce qu'il a toujours été: le fils du voisin, sympa, toujours serviable, un peu bricolo, venu donner un coup de main. Durant ces tournées, les amendes pleuvent sur les membres du groupe qui, en bons enfants de l'après-guerre élevés à la trique, se comportent comme une bande de furieux intenables. Un jour, Murry Wilson, au cours d'un déplacement en autocar, frappe violemment Mike Love qui a refusé d'aider le groupe à installer le matériel sous prétexte qu'il ne joue, lui, d'aucun instrument. Les coups sont si violents que le car s'arrête: l'oncle et le neveu sortent et roulent à terre. Mike Love a le dessus.
Brian, pendant les tournées, s'enferme dans sa chambre pour boire. Dès l'été 1963, il ne s'intéresse plus qu'au travail de studio. Poussant à l'extrême son imitation de Phil Spector, il produit un trio vocal féminin, les Honeys, formé par sa future femme Marilyn Rovell, avec sa sœur Diane. Sans grand succès. Un jour qu'il se promène en voiture avec Marilyn, il entend à la radio Be My Baby des Ronettes. Il s'arrête sur le côté, abasourdi. Il fonce dans un magasin et en achète dix exemplaires, qu'il passe chez lui inlassablement. "J'ai appris chaque note, chaque son, la vibration de chaque sillon." Comme défié par ce morceau, il compose l'une de ses plus belles ballades, Don't Worry Baby, avec son nouveau parolier, le disc-jockey Roger Christian, responsable de son initiation à la culture automobile. Celui-ci le dissuade de mettre son idée à exécution: offrir le morceau à Spector. Exactement ce que Wilson voulait entendre: "Je parie que je peux faire cette chanson avec les Beach Boys aussi bien que Phil Spector." C'est à cette époque que le disciple rencontre pour la première fois le maître. Spector l'invite à participer aux sessions d'enregistrement du Christmas Album. Les choses se passent assez mal: Wilson, qui voulait juste regarder Spector à l'œuvre, est invité à collaborer. On l'installe au piano et on lui colle une partition. Mais il ne sait pas très bien déchiffrer. A la quatrième tentative, Spector le remercie. Wilson a le temps d'observer ses méthodes: "Sa personnalité aberrante était peut-être sa meilleure arme pour faire des disques. Elle lui permettait de manipuler les gens afin qu'ils fassent exactement ce qu'il voulait. Il ne s'adaptait pas au monde; c'est le monde qui s'adaptait à lui. Comme moi, le jour où il est devenu incapable de sortir ce truc de sa manche, Spector a dû quitter la scène musicale."
Au bout d'un an de ce régime, Brian ressent ses premiers troubles psychologiques sérieux. Il entend des voix pendant son sommeil. L'idée de partir en tournée le déprime de plus en plus. En janvier 1964, il accompagne le groupe en Australie. Dès qu'il est hors du studio ou qu'il ne compose pas, sa fragilité et son complexe d'infériorité remontent à la surface. Il confie à Al Jardine que tout le décourage: il voudrait ne plus avoir à prouver, ne plus avoir à lutter pour maintenir sa réputation. "Je n'aime pas toutes les choses qu'il faut traverser dans la vie", lui confie-t-il. Ses doutes vont être aggravés par un phénomène qui prend l'Amérique par surprise, une sorte de Pearl Harbor britannique: l'arrivée des Beatles. Il entend pour la première fois I Want to Hold Your Hand en Nouvelle-Zélande et livre son commentaire aux autres Beach Boys: "La chanson est vraiment simple, très simple, mais elle est accrocheuse, et il y a quelque chose." Son anxiété grandit quand il retourne à Los Angeles. Il est tellement complexé par la musique des Beatles qu'il veut annuler la sortie de l'album prévu, Shut Down, vol. 2; ce dont, naturellement, tout le monde le dissuade. Fun, Fun, Fun, le nouveau 45t, est détrôné par les Beatles et ne dépasse pas la cinquième place des charts. C'est le début d'une nouvelle période de défi et de compétition: cette fois-ci, le diapason n'est plus donné par Phil Spector, mais par les Beatles. Brian Wilson écrit ses nouvelles chansons - I Get Around, All Summer Long, Girls on the Beach, Wendy - seul, sans l'aide d'un parolier. Exaspéré par l'attitude de son père qui continue de venir au studio et à critiquer tout ce qu'il fait, "Brian le perdant", prend son courage à deux mains et le renvoie: Murry Wilson entre alors dans une dépression qui le cloue au lit pendant un mois.
"I Get Around", à l'été 1964, devient le premier n°1 du groupe. Mais Brian ne va pas mieux pour autant, au contraire. Il fuit le contact avec les autres, fixe des objets durant des périodes interminables, bref, s'enferme de plus en plus en lui-même. Il reproche aux Beach Boys de trop s'intéresser aux filles et à la rigolade, de ne plus se concentrer sur la musique. Le père, pendant ce temps, n'a pas déposé les armes. Il téléphone à Brian en pleine nuit, régulièrement, pour lui demander les 50% restants des droits d'auteur. Le groupe repart en tournée et, cette fois, Brian ne fait plus que se plaindre: il s'enferme dans sa chambre d'hôtel et n'arrête pas de boire. Contraint malgré lui d'aller en Europe fin 1964, il fait une dépression nerveuse. Dans l'avion qui l'emmène avant Noël, pour une série de concerts dans le sud-ouest des Etats-Unis, il a une véritable crise de nerfs: il exige que le pilote retourne à Los Angeles, veut descendre et doit être maîtrisé. Arrivé à destination, il est aussitôt emmené à l'hôpital où on le met sous calmants. Il est rapatrié. Son unique souhait, quand sa mère l'accueille à l'aéroport, est de retourner à l'ancienne maison familiale d'Hawthorne. Et qu'elle lui fasse des œufs à la coque.
à suivre
1. Surfin' Safari (1962)
2. Surfin' USA (1963)
3. Surfer Girl (1963)
4. Little Deuce Coupe (1963)
5. Shut Down Volume 2 (1964)
6. All Summer Long (1964)
7. The Beach Boys' Christmas Album (1964)
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