jeudi 30 juillet 2020

Les voyages d'hiver de Hong Sang-soo




Prélude à l'étude: le "dernier" Hong.

Le 30 septembre 2020, si tout se passe bien, devrait sortir The Woman Who Ran (La Femme qui s'est enfuie, titre français, plus fidèle à l'original), le dernier film de Hong Sang-soo, qui marquera un tournant dans la carrière du cinéaste puisqu'il correspondra à son 24ème long métrage en 24 ans, mieux: son 15ème film en l'espace de dix ans (2010-2020), exploit majeur, d'autant que le rythme s'est trouvé ralenti cette année avec l'épidémie de coronavirus, et même si ça reste loin des "stats" de Fassbinder: près d'une quarantaine de films sur une même période, une trentaine de 1972 à 1982. Mais bon, peu importe, Hong Sang-soo n'est pas plus, en termes de productivité, le Fassbinder coréen, qu'il n'est, en termes de narration, le Rohmer coréen — ou alors seulement à considérer les imbroglios du discours et des situations, car si Hong est rohmérien, c'est surtout aujourd'hui au niveau production: économie de moyens et rapidité de tournage. Reste que cette légèreté dans la fabrication des films, couplée à la productivité (les deux sont liées, la première favorisant la seconde), est une donnée dont on ne peut faire, pour le coup, l'économie, quand on aborde l'œuvre. Expliquant que les films de Hong Sang-soo ne peuvent être analysés isolément, qu'ils sont à regrouper sur une période précise, parfois une année seule, mais le plus souvent deux ou trois ans, ce qui d'ordinaire, pour un autre cinéaste, correspondrait à un seul film.
C'est le premier point, qui fait qu'on s'attachera à un ensemble de films, davantage qu'à un seul, en l'occurrence le dernier sorti, pour parler plus généralement du "dernier Hong Sang-soo". Si l'on considère la période qui va du début 2017 à la fin 2018, ce sont donc 4 films à prendre en compte: On the Beach at Night Alone, The Day After, Grass et Hotel by the River. Y manque volontairement la Caméra de Claire, bien que le film avait sa place, pour des raisons disons d'homogénéité, que résume le titre: 1) la "caméra" (en fait l'appareil photo, un polaroïd) qui confère au film une dimension réflexive par rapport aux autres films tournés à la même époque; 2) la "clarté" incarnée par le personnage de Claire (Isabelle Huppert de retour chez Hong, après In Another Country, mais également chez elle, à Cannes, en marge du festival), véritable "contrepoint" (elle enseigne la musique) à l'harmonie hongienne, mélancolique, des quatre autres films, par son côté positif, lumineux, plein d'entrain et d'optimisme (De plus ça se passe au printemps, contrairement aux autres: films d'hiver ou d'automne). Caméra et clarté, ce que traduit la pensée, à la fois cézannienne et ozuesque, de Claire's Camera: "la seule façon de changer les choses, c'est de les regarder à nouveau, très lentement."
Il y a un deuxième point. On oppose souvent, de façon réductrice mais commode, les cinéastes qui font chaque nouveau film un peu contre le précédent, et ceux qui, au contraire, semblent creuser toujours le même sillon, donnant l'impression de répéter inlassablement les mêmes thèmes, les mêmes motifs, œuvrant en fait de manière plus souterraine, sous des formes qui empruntent à la musique (les reprises, les variations), la poésie (les rimes), mais aussi la peinture: Cézanne évidemment, dans le cas de Hong, et sa "Montagne Sainte-Victoire", pas moins d'une vingtaine de tableaux en vingt ans (1885-1905) — soit le même ratio auquel s'astreint Hong Sang-soo —, car, bien sûr, c'est dans cette seconde catégorie que se range l'auteur de Ha Ha Ha... Catégorie où, contrairement à la première qui pousse à chercher les points communs entre des films a priori différents, il s'agirait là de mettre en avant, parmi tous ces films qu'on croit interchangeables, ce qui, justement, change d'un film à l'autre. Pointer de même, dans le système Hong, un couple d'opposés, une vraie dualité, qui rompe le ronron du film bien huilé (celui de l'auteur passé maître dans "l'art de la variation"), pour quelque chose de plus tranchant, où se dévoileraient les arêtes de l'œuvre, ce qui la rend plus captivante encore, digne d'un film de cape et d'épée, alors qu'il ne s'y passe pas grand-chose. Quelles sont ces arêtes? Où sont-elles? J'y reviendrai. Contentons-nous pour l'instant de cette formulation: chez Hong, les arêtes sont le produit d'une drôle d'alchimie, qui mêle incongruités et congruence.
Et puis, troisième point: une présence, celle de l'actrice Kim Min-hee, mimi mais pas mini du tout, tant celle qui est devenue la muse (en même temps que la compagne) de Hong Sang-soo illumine l'écran, faisant de ces films qu'elle a tournés avec lui (collaboration qui a débuté avec Right Now, Wrong Then en 2015 et se prolonge aujourd'hui avec The Woman Who Ran) des Kim-films, comme il y eut dans le passé les Bergman-films de Rossellini ou les Karina-films de Godard...

à suivre

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire