Mods de Serge Bozon (2003).
Mods en mode majeur.
Mods raconte l’histoire d’un étudiant qui, atteint d’une maladie étrange, reste enfermé dans sa chambre, alors que les autres — par crainte de propager la maladie? — sont confinés à l’intérieur du campus. Une histoire d’actualité. C’était il y a 18 ans, le film a aujourd’hui atteint sa majorité et il est toujours aussi beau.
De quelle maladie souffre donc Edouard, le héros prostré de Mods? Si le personnage ressemble (même beauté angélique) au jeune homme mystérieux qui, dans Les Belles Manières de Jean-Claude Guiguet, restait lui aussi reclus dans sa chambre, il s’en distingue ici par un mutisme total. Geste de protestation? Caprice d’adolescent? Son état semble né du refus d’une fille, d’un "non" épistolaire et définitif, pas vraiment dit, ni même écrit (les caractères ont été accolés comme dans une lettre anonyme), mais dont on imagine volontiers qu’il vient sceller la fin d’une histoire, quitte à ce qu’il soit répété puisque — c’est la morale du film — "aux garçons, il faut toujours tout expliquer deux fois". On pourrait voir le film de Serge Bozon comme une version inversée et en creux du classique boy meets girl, une sorte de girl leaves boy, mais il s’agirait sûrement d’une fausse piste. Dans Mods, le mal paraît plus profond qu’un simple chagrin d’amour, du moins pour le collectif, au point d’ailleurs qu’on redoute qu’il se propage (la réclusion serait alors une forme de quarantaine). Que craint-on dans cet univers estudiantin qui puisse gagner tous ses occupants? Au-delà des peines de cœur qui viennent vous placer momentanément "en retrait du monde", il existerait une autre maladie beaucoup plus sévère: le repli studieux dans les livres. Edouard est atteint de boulimie littéraire. Il lit sept livres par semaine, soit un livre par jour, soit environ (j’ai fait le calcul) dix pages à l’heure, s’il lit sans pratiquement s’arrêter, même la nuit (ce qui est probable). Un record que d’autres, telle la fille de la cafétéria, aimeraient bien battre. Voilà où se situe la véritable contagion: se perdre dans la lecture comme dans un puits sans fond. Mais est-ce le temps passé à lire qui finit par vous couper du monde? Ou est-ce le livre lui-même qui parfois vous plonge dans un état quasi mystique ("mutique et mythique", dit-on dans le film)? Ainsi celui d’Eckhart Tollé, Le Pouvoir du moment présent, un guide d’initiation à la méditation, que la fille en question ne peut quitter des yeux et qui doit circuler (c’est une hypothèse) entre les étudiants du campus. Le pouvoir du moment présent… Est-ce la clé du film? Ce qui soulève une autre question (une de plus, le film n’en est pas avare): de quel présent s’agit-il ici? Peut-être de celui qu’on vit à l’adolescence, quand le sujet perd sa carapace — Dolto parlait du "complexe du homard" —, cette période si fragile entre le passé sous protection de l’enfance et le futur sans pitié de l’âge adulte. Un état de repli narcissique qui ne peut que favoriser l’isolement dans les livres, la musique (pop le plus souvent) et bien sûr le cinéma. N’est-ce pas cela le vrai pouvoir du moment présent? Quand, le temps d’un roman, d’un morceau de rock ou d’un film, le reste de la vie n’a plus d’importance. Moment privilégié, instant magique, que cherche à revivre, par la suite, tout féru de littérature, tout mélomane, tout cinéphile. En un sens, Mods pourrait participer de cette recherche: retrouver, par la grâce de la cinéphilie, ce pouvoir du moment présent.
Il existerait, selon Barthes, un fantasme de vie particulier: le "vivre-ensemble" de petits groupes, à l’intérieur desquels chacun vivrait à son propre rythme tout en respectant les règles de la cohabitation, "quelque chose comme une solitude interrompue d’une façon réglée" (1). S’appuyant sur le modèle religieux des monastères du mont Athos, Barthes qualifiait cet imaginaire d’"idiorrythmique"; il le retrouvait dans certaines œuvres romanesques mais aussi dans des situations de la vie courante, quand on cherche à s’isoler sans se couper totalement du monde. Le rapprochement avec Mods peut paraître hasardeux, d’autant qu’on y croise deux systèmes foncièrement opposés à l’idiorrythmie ("phalanstériens", dirait Barthes): d’un côté, la vie militaire (les deux frères du héros), et de l’autre, le pensionnat; des systèmes hiérarchisés autour d’un pouvoir (même s’il n’est pas représenté ou semble vacillant) et rythmés collectivement selon un timing très cadencé, métronomique. Or, tout le plaisir du film réside justement dans sa capacité à faire dysfonctionner l’ensemble. D’abord, en incorporant le premier système dans le second, ce qui permet de créer des situations burlesques — un burlesque poétique, très langdonien — tant les deux systèmes sont antinomiques. Ensuite, en faisant gripper lesdits systèmes, en leur insufflant ce petit grain de sable, de folie (toujours Langdon) qui, au détour d’un plan ou d’une réplique, viendra troubler l’aspect hiératique et un peu théâtral de l’ensemble. Tel me semble l’enjeu du film: introduire de l’idiorrythmie dans des systèmes a priori hostiles. Ce qu’on pourrait définir comme une esthétique de désaliénation, une façon quelque part de contester la loi — qui touche au règlement et non à la règle — et le pouvoir. Il y a toujours un petit côté asocial dans l’idiorrythmie. Les quatre mods sont là pour le rappeler. Mais c’est évidemment dans les chorégraphies que l’on perçoit le mieux la vocation idiorrythmique du film. C’est là, dans les scènes de danse dirigées par Julie Desprairies, que le film prend non pas son envol — nulle grâce aérienne dans ces mouvements saccadés et répétitifs de corps toujours prêts à tomber — mais une tournure qui, loin de contredire le reste de l’œuvre, vient au contraire renforcer son côté rock, ce goût pour la pose, à l’image encore des quatre mods, rappelant, par son mélange de provocation et de dérision, celles que prenaient certains groupes pop, au milieu des sixties, sur la pochette de leurs disques.
Dans Mods, l’espace est celui de la Cité universitaire. Il fait écho à l’espace intime de l’adolescence, voire de la post-adolescence, cet espace incertain où s’affrontent, aussi douloureusement que maladroitement, désir de liberté et tendance au repli. Au son d’un rock garage connu des seuls aficionados (ce qui est bien dans l’esprit mod), les chorégraphies nous montrent des personnages à la gestuelle mécanique et mal assurée, un manque d’assurance qui, évidemment, renvoie autant à l’inexpérience de l’adolescence qu’à l’énergie insouciante du garage américain (ces riffs enfiévrés, à défaut d’être techniquement maîtrisés, qui faisaient "cracher" les microsillons), mais qui, surtout, vient poser la question centrale de l’idiorrythmie, celle de la distance entre les corps. Une question qui, selon Barthes, conduit à une aporie: comment à la fois édicter des règles de distance, pour supprimer le trouble induit par le désir de l’autre, et ne pas tuer ce désir qui, on le sait, est le moteur de l’humain (l’homme est une machine désirante pour parler deleuzien)? Dans les séquences dansées, les corps semblent en permanence à la recherche de cette distance "idyllique" et, de fait, impossible. Confrontés aux éléments qui les entourent (les massifs d’un jardin dans lesquels on frappe du pied, les meubles d’une chambre dont on épouse les formes, les piliers d’un hall que l’on racle…), les personnages ne sont jamais à la bonne distance. Ils ne peuvent échapper à ce que Barthes nommait la "civilisation du rectangle" — dans la mesure où le rectangle n’existe pas dans la nature —, les limites d’un cadre à l’intérieur duquel ils restent prisonniers. D’où ce cadrage frontal, en plans généralement larges, seulement agrémentés de quelques travellings, témoin de l’"encadrement" rigide dont les personnages cherchent à se libérer. Comment? Par la danse justement, le mouvement des corps qui permet, en multipliant les poses, d’occuper pleinement l’espace. Déhanchements, balancements, flexions, contorsions... autant de courbes effectuées par les corps, car pour "subvertir" le rectangle, rien de tel — toujours selon Barthes — que l’arrondi. Mais ce n’est pas assez: il faut aussi prolonger la pose, la maintenir suffisamment longtemps pour qu’une présence s’affirme et finisse par rompre le cadre qui la contient. De sorte que ce sont, une fois encore, les mods qui semblent les plus aptes à subvertir le rectangle car également les plus proches de la distance idiorrythmique. Dans la pose mod, chaque corps est à la fois autonome, libre, et déterminé par celui des autres. Pour Barthes, la meilleure distance est celle qui maintient les corps en alerte. Le corps du mod n’est-il pas, à sa façon, un corps en alerte?
Il se dégagerait ainsi de Mods — au-delà de l’apathie qui progressivement envahit tous les personnages — une véritable tension. Tension à l’intérieur des corps. Tension à l’extérieur, entre les corps. Comme si les corps étaient reliés entre eux par un fil mystérieux, les confinant dans un même lieu, leur faisant vivre la même expérience, sans qu’ils éprouvent pour autant les mêmes sensations. Ce corps sous tension, en état d’alerte permanent, mobilisant dans sa seule pose toute l’énergie qui le conditionne, c’est celui du cinéphile. Si le groupe idiorrythmique ne peut exister réellement, son fantasme demeure et il est présent dans tous ces films dont la cinéphilie est au cœur. Il y aurait un "vivre-ensemble" de la cinéphilie, autrement dit un espace dans lequel s’inscrirait le corps cinéphile et son désir (2). Mods est tout entier porté par ce désir. Un désir qui vient de loin, ce qui donne au film ces allures de météorite dans le paysage cinématographique français. Il y a le désir proprement dit du film, celui qui a présidé à sa genèse et qui peut, déjà, venir de loin — Mods est né d'un ancien projet avorté: faire un film avec Bill Murray et Leonor Silveira, casting improbable où l'on devine l'envie de marier l'esprit du film de campus (Rushmore de Wes Anderson) et la "lettre" oliveirienne (le thème des amours frustrées). Mais il existe un autre désir, plus lointain, celui qui nourrit le film de toute une culture cinéphile. Schématiquement, la cinéphilie peut s'exprimer de deux façons dans un film: les citations, dont l'abondance risque de transformer l'œuvre en quiz pour spectateurs cinéphiles; et l'évocation, ce dont relève Mods, sorte de flux enchanteur véhiculant plus secrètement la mémoire cinéphile. Mods est traversé par un courant évocatoire, si ce n'est incantatoire, qui trouve sa source dans la cinéphilie des années 60. On connaît l'attachement de Serge Bozon pour une certaine cinéphilie, celle qui célèbre la passion "aventureuse" du cinéma. Pas la grande aventure qui s'inscrit au fronton de l'Histoire (du cinéma), mais la petite, l'aventure buissonnière, souvent négligée par les historiens: l'escapade cinématographique, ouverte à l'aléa. Un cinéma dans lequel il s'agit d'aller de l'avant, sans garde-fou, sans garantie sur le résultat final, et non de suivre la voie toute tracée d'un art sous contrôle, soumis aux impératifs de la réussite (commerciale ou critique) à tout prix. Bref, un cinéma de la tangente, on pourrait dire de la "diagonale", Serge Bozon se réclamant d'une famille de cinéastes, les cinéastes Diagonale, tels Vecchiali (le fondateur), Biette, Treilhou, Guiguet..., qui ont toujours cherché non pas à reproduire le cinéma qu'ils aimaient mais à "revivre" les conditions, souvent artisanales, dans lesquelles il avait été produit. Une famille héritée de la Nouvelle Vague, qui s'en distingue pourtant — outre une plus grande homogénéité, c'est pour cela qu'on parle de famille — par une approche moins "ambitieuse" de la notion d'auteur.
Derrière la culture mod et l’enthousiasme garage, c’est donc la cinéphilie qu’il faut voir, celle qu'on vivait dans un même espace — les premiers rangs de la salle de cinéma — et qui aurait disparu avec les utopies de Mai 68, sacrifiée sur l’autel de la critique idéologique et théorisante. C’est ce fantôme cinéphile que toute une génération de cinéastes a, par la suite, cherché à ressusciter. Par la forme qui s’y prêtait le mieux, la forme justement "fantomale" d’un cinéma défunt, celui de série B. Mods en porte la trace: temps ulmérien (le film dure juste une heure), espace dwanien (les personnages se fondent dans la géographie des lieux)… Mais c’est surtout la magie de Tourneur qui infiltre le film. Comment ne pas ressentir l’esprit de Vaudou dans cette histoire d’amour impossible et de malédiction? Edouard, le héros du film, est un zombi sur lequel une gouvernante-infirmière, sortie tout droit d’un roman de Henry James ou de Charlotte Brontë (Vaudou est inspiré de Jane Eyre), semble veiller. Et le groupe mod? S’il "commente" l’action à la manière d’un chœur antique (sauf qu’ici la tragédie se résume au rituel de la vie de collège, avec ses horaires implacables), il n’est pas sans évoquer le chanteur de calypso du film de Tourneur. Faut-il voir alors les chorégraphies comme des cérémonies vaudou, visant à sortir le héros de sa léthargie? Des échos qu'on aurait tort de prendre pour des citations. Mods n'est pas un film citationnel, on l'a dit, car l'inspiration qui l'anime se situe à un autre niveau, plus souterrain, peut-être même inconscient. C’est que Vaudou est bien plus qu’une simple référence (ce n’est pas un hasard si Jean-Claude Biette l’avait placé en couverture de sa Poétique des auteurs). A l’instar du Moonfleet de Fritz Lang, il est le film de cinéphile par excellence, une œuvre matrice qui ne peut qu’irriguer l’imaginaire de tout cinéphile. Plus encore, il est le film de la cinéphilie, le film-culte du cinéaste le plus emblématique de la cinéphilie. Autant dire un film sur la cinéphilie, sur sa croyance dans les pouvoirs du cinéma, le culte rendu à ses auteurs (fétiches, évidemment) et le transport quasi extatique que procure la vision de leurs films. Mods ne cherche pas à recréer un tel état de fascination, bien sûr, mais il le prolonge en quelque sorte, via le cinéma français des années 70, sous une forme plus somnambule qu’hypnotique, plus "enchantée" qu’envoûtée, car inévitablement affectée d’un manque: l’innocence du cinéma de série B, cette fameuse innocence qui conférait aux films de l’époque un charme inégalable. De sorte que Mods serait moins une tentative, fatalement vouée à l’échec, pour retrouver l’innocence de la série B qu’une réponse, parfaitement moderne — mod est l’abréviation de modern —, à la question de la cinéphilie aujourd’hui. Où il s’agirait de défendre ce qui, actuellement, est le plus menacé au cinéma, à savoir le personnage, de loin ce qu’il y a de plus fragile (car de plus exposé) dans un film. L’enjeu de Mods, c’est peut-être cela: "sauver" le personnage du repli autistique auquel semble le condamner tout un pan de la modernité (en gros, celle qui prône une approche plus "sensualiste" du réel). Et de voir les cinq chorégraphies comme autant d’étapes dans la (re)construction d’un vrai personnage de cinéma, qui plus est "héroïque". Dans la première chorégraphie, le personnage n’est qu’une idée de cinéma, un sujet dont on parle — les lettres que lisent les deux frères — mais qui n’a pas de réelle consistance sur le plan narratif (les massifs pas assez fermes du jardin); dans la deuxième, l’idée se développe, le personnage prend corps — les caractéristiques du héros —, ébauche du récit à venir (les marches de la résidence); puis il est couché… sur le papier, lors de la troisième chorégraphie, temps de l’écriture — on y évoque l’enfance —, qui donne au personnage toute l’épaisseur nécessaire mais pas cette dimension "rayonnante" qui est propre au héros de cinéma (la chambre trop exiguë); c’est dans la quatrième qu’il fait ses premiers pas, forcément hésitants, à l’occasion de ce qui pourrait être les répétitions (dans le grand hall), avant de se tenir enfin "debout", par la force d’une dernière séquence qui, elle, serait celle du tournage (autour du lit), ultime étape dans le processus d’incarnation qui permet à un personnage d’exister véritablement, cette incarnation que l’on chercherait en vain dans beaucoup de personnages du cinéma contemporain. Où il apparaît finalement que ces cinq chorégraphies — que l’on peut aussi interpréter comme les "cinq règles de l’héroïsme, ainsi qu’il nous l’est suggéré dans le film — ne seraient qu’une seule et même danse: la danse de la cinéphilie.
Comme on le voit, ce qui caractérise Mods, c'est son rapport à l’unicité, ce qu'on retrouve aussi bien chez le cinéphile que chez le mod. Cela porte un nom: le dandysme. Mods est un vrai film "dandy". Non seulement parce qu’il ne ressemble à rien de connu — ce qui fait son "exquise originalité" — mais surtout parce qu’il touche au paradoxe du dandysme, quand celui-ci se pose au-dessus des règles et, cependant, reste soumis à celles qui le gouvernent (les règles de son propre cercle). Paradoxe qui n’est pas sans rappeler l’idiorrythmie. C’est ce qui distingue le dandysme de l’élégance, au sens "mondain" du terme, ce qui sépare, par exemple, Bozon de son presque homonyme Ozon (sans B, le cinéma d'Ozon est un cinéma de "qualités", le contraire même de la série B), ce qui sépare Mods d'un film comme 8 Femmes (qui date de la même époque). Là où le film de Bozon vise à l’unicité, celui d’Ozon ne vise qu’à l’unité. Partant du principe (stendhalien) que "le beau est promesse de bonheur", 8 Femmes exalte, à travers l’harmonie de sa composition (cf. le travail sur les couleurs), la magie du beau qui vient reconstituer l’unité édénique du monde. Mais il ne façonne, au bout du compte, qu’un cinéma "chic", très haute couture, qui met en avant le savoir-faire de son auteur et revendique, par l’admiration qu’il est censé produire, sa place de modèle. Tout autre est le projet de Mods. Le film de Serge Bozon peut bien être un film mod, il n’est pas un film de "mode". Pour rester dans la métaphore vestimentaire, on peut dire que si 8 Femmes est porté par son costume, Mods doit sa singularité à la façon dont il le porte. A ce titre, il n’a rien d’exemplaire. Car le film "dandy" n’est pas là pour faire école même s’il suscite, malgré lui, l’imitation. Si certains ont perçu dans Mods des accents bressoniens, là où d’autres ont vu la théâtralité d’Oliveira, c’est avant tout parce que l’art de Bresson et celui du maître de Porto sont marqués au sceau du dandysme. Ce qu’on retrouve, en fait, dans le film de Bozon, c’est une sorte de "geste" aristocratique qui le singularise et, en même temps, l’introduit dans le club (très fermé) des œuvres authentiquement "dandy". Quel est ce geste? Difficile à dire, d’autant qu’il vise justement à échapper à tout discours. Disons que c’est un geste d’effacement. C’est le geste qui vient révéler, à travers le mutisme d’Edouard, les paroles "insignifiantes" des mods et les dialogues souvent surréalistes entre les personnages (ainsi les scènes avec le médecin ou avec la femme sur la terrasse), la vanité du discours où chacun, loin de s’adresser véritablement à l’autre, ne fait qu’exprimer son propre désir. Plus exactement, c’est l’impassibilité des personnages, soulignant encore plus le semblant du discours, qui finit par conférer au film cette espèce de détachement qui caractérise le geste "dandy". Détachement qui n’est bien sûr qu’apparent. Car si Mods ne se soutient d’aucune autorité, s’il ne délivre aucun message, s’il semble indifférent au monde, c’est qu’il touche, peut-être à l’indifférence stoïcienne, mais surtout à cette forme de sensibilité absolue, quand le dandy, tel le poète, tel le moine du mont Athos, trouve l’accord parfait avec le monde, l’accord qui lui permet de ne plus ressentir le monde. Le pouvoir du moment présent.
(1) Roland Barthes, Comment vivre ensemble, Cours et séminaires au Collège de France (1976-1977), 2002.
(2) La cinéphilie est d’abord une affaire d’espace (la salle de cinéma) et de cadre (l’écran de cinéma) que le cinéphile investit mentalement, et d’autant plus fortement que ce qu’il voit à l’écran — une séquence, un plan, voire un simple détail de l’image — l’attire irrésistiblement. Phénomène qui ferait du dispositif cinématographique une métaphore du coup de foudre amoureux, lorsque l’imaginaire recourt, comme le soulignait Barthes, à l’"image cadrée", quand il "engage le sujet dans des images coalescentes, auxquelles il colle" et qu’il "requiert impérieusement le cadre, la découpe rectangulaire, le cerne" pour faire apparaître l’objet aimé (Roland Barthes, op. cit.).
De gauche à droite sur la photo : Guillaume Verdier, Laurent Talon, Serge Bozon, Vladimir Léon, Chloé Esdraffo, Axelle Ropert, Benjamin Esdraffo.
RépondreSupprimerHé hé... merci Edouard!
SupprimerDites Buster, vous n'auriez pas joué dans le film par hasard ?
RépondreSupprimerPas du tout.
SupprimerVous ne publiez que les commentaires qui vous sont favorables ?
RépondreSupprimerNon, j'accepte volontiers la controverse, l'ironie aussi, même les sarcasmes, mais pas si c'est assorti d'une espèce de morgue qui rend le commentaire détestable, là c'est la poubelle direct...
SupprimerMods et Civeyrac, c'est pourtant l'antichambre de la morgue...
SupprimerLes mods c'était surtout une morgue de façade, une manière de se protéger... Dans les commentaires que je ne publie pas, ou que je ne publie plus (par rapport à Balloonatic où je publiais quasiment tout sauf vers la fin), c'est tout le contraire, on ressent l'assurance méprisante du type sûr de sa supériorité qui vient là uniquement déposer sa petite pique acerbe.
Supprimer