vendredi 4 septembre 2020

Le trio en mi bémol




Le Trio en mi bémol d’Eric Rohmer (1987).

Pièce de théâtre, vue à sa création, avec Pascal Gregorry et Jessica Forde.

"Le spectacle commencera par l'exécution, sur scène, du premier mouvement, andante, du Trio K 498, pour piano, alto et clarinette, de Mozart".

Mi bémol majeur n'est point ici la tonalité de la franc-maçonnerie, mais celle de l'étroite amitié, et ce caractère ne cesse d'être souligné dans le premier mouvement, un Andante plein de majesté et d'assurance, par un grupetto obstiné, par le recours à la sus-dominante et à la sous-dominante, ainsi qu'aux sombres régions de la tonalité d'ut mineur. (Alfred Einstein)

Si l'on songe à l'affinité de ce ton avec les œuvres maçonniques, si l'on se souvient aussi que, dans nombre d'œuvres précédentes de la même tonalité, les évocations de la jeunesse sont nombreuses et caractéristiques, on saisit mieux la signification exceptionnelle de l'œuvre: alliance, poussée à la plus intime fusion, de fraîcheur et d'idéal, dans l'épanchement de la plus confiante tendresse. (Jean et Brigitte Massin)


Le Trio en mi bémol est la seule et unique pièce d’Eric Rohmer. Il se comporte en "auteur amateur" attentif à désacraliser les conditions de son travail: "J’ai écrit ce texte sous la forme d’une pièce, mais sans penser au théâtre. Je pensais qu’il pourrait s’intégrer à un de mes films. Cela ne s’est pas fait, mais il se trouve que la direction du Théâtre Renaud-Barrault a eu le texte entre les mains, et m’a proposé de le monter. J’ai été ravi." Il est vrai qu’il s’agissait au départ, d’un cinquième épisode des Aventures de Reinette et Mirabelle. Ce qu’atteste une première version où le personnage d’Adèle se nomme Mirabelle, et se retrouve aux prises avec un vendeur de disques aussi irascible que le garçon de café du deuxième sketch. Ce qu’il faut préciser, c’est qu’après avoir fait évoluer son texte vers une forme théâtrale, Rohmer est parti en chasse d’un lieu susceptible de l’accueillir. C’est Pascal Greggory qui obtient l’accord de principe de Francis Huster, alors directeur artistique du Théâtre du Rond-Point - Renaud-Barrault. Un contrat est signé en août 1987 pour une série de représentations dans la petite salle du 28 novembre au 31 décembre. La durée prévue pour les répétitions est de trois mois, au cours desquels Rohmer va diriger ses deux interprètes en chef d’orchestre exigeant. Plus strictement que si il s’agissait d’un film. Il règle leurs déplacements au millimètre près, il insiste sur l’articulation du moindre mot, il multiplie les répétitions à l’italienne comme pour renforcer une connaissance mécanique du texte, qui permettra le moment venu de la redécouvrir. Il montre à Jessica Forde, son ancienne Mirabelle devenue Adèle, des films joués par Brigitte Bardot, en l’incitant à se faire cette tête et cette voix de bébé boudeur. Au risque de l’exposer aux railleries de certains critiques. Rohmer se soucie fort peu de ces couacs. Une fois les représentations commencées, il laisse toute liberté à ses comédiens et s’il revient les voir, c’est pour s’émerveiller de "la petite musique" qui se construit maintenant toute seule.Le thème de la réincarnation est au cœur du Trio en mi bémol, puisqu’il ne saurait être question d’égaler Mozart, laissons-le resurgir dans sa fraicheur première. Dans la redécouverte spontanée qu’en fait un jeune être. Le personnage masculin (Paul) est un mélomane cultivé, qui aimerait influer sur les goûts musicaux d’Adèle, son ancienne amoureuse et fidèle amie. On retrouve dans la bouche de Paul bien des motifs rohmériens: l’idée notamment, que l’affinité entre deux êtres passe d’abord par la musique. On retrouve aussi quelques traits de Loïc, le futur libraire de Conte d’hiver dans ses efforts désespérés pour "cultiver Félicie" (la pièce de Shakespeare est d’ailleurs citée, lorsqu’il est question d’aller ensemble au théâtre). Autre thème rohmérien. Celui du malentendu, qui inspire Conte d’hiver et qui s’épanouira tragiquement dans les Amours d’Astrée et de Céladon. Jusqu’au moment où Adèle, par une coïncidence miraculeuse, offre à son tour à Paul un cadeau. C’est ce miracle qu’il espérait de toutes ses forces. Cet instant où l’autre, comme par hasard, vient devancer son désir de profondeur. Tout cela, la pièce le met en scène à la manière d’un théorème. Il lui manque, peut-être, cette incarnation qui fait la beauté du cinéma de Rohmer (ce qui ne nuira guère au succès public et critique du Trio, ni à ses nombreuses reprises ultérieures par des compagnies d’amateurs). Mais il s’y révèle, ce fantasme de réincarnation qui traverse tout son travail: je m’évanouis dans la nature, et je laisse de jeunes créateurs à ma place. (Antoine de Baecque et Noël Herpe, Eric Rohmer, 2014)

Bonus:
La captation de la pièce par Michel Vuillermet (manque hélas les trois dernières minutes!)

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