samedi 19 septembre 2020

Une rouquine dans la bagarre

On continue. Guiguet, donc, il y a plus de quarante ans, parlait d'un art de la déflagration à propos du cinéma de Vecchiali. Soit, c'est aussi comme ça que je l'ai compris, un art qui à la fois "détone" et "détonne", puis enflamme le film... Et qui dit flamme dit Myriam Mézières dans Change pas de main, Myriam Mézières en privée nue sous son imper, voilà qui déto(n)e et enflamme. Justement, parlons-en de ce film, exemple parfait de "déflagration".



Change pas de main de Paul Vecchiali (1975).

C'est entendu: à côté de ses autres films, comme l'EtrangleurFemmes femmes ou Corps à cœur (pour s'en tenir à la production des années 70), Change pas de main, le fameux porno de Paul Vecchiali (quand l'ancien de l'X s'essayait au X), est une œuvre mineure - quoique ambitieuse, puisque visant à mêler comédie musicale, polar et pornographie -, dont l'originalité tient d'abord à ce mélange des genres, mélange difficile, sinon impossible, quand ça touche le porno, expliquant le choc ressenti à la vision du film, choc qui vient non seulement des scènes pornographiques, que Vecchiali incruste sans ménagement (1), de manière frontale (Jean-François Davy, ici producteur, les a utilisées pour son film Exhibition), mais aussi du fait que de telles scènes, quoi qu'on dise, ne s'intègrent jamais véritablement au récit... Car si l'érotisme se combine idéalement à la comédie musicale (ainsi le début du film, dans la boîte de nuit au nom sternbergien, Shanghai Lily, avec le strip-tease "enchanté" de Mona Mour) et au polar (un polar hawksien, à la Chandler - sans les crêpes -, quoique là c'est surtout à Mocky que l'on pense, à travers l'héroïne - Myriam Mézières en détective privée, nue sous son imperméable - et certains personnages comme celui, très poétique, que joue Marcel Gassok, ou encore, bien sûr, celui du colonel, interprété par Michel Delahaye, un ancien de l'OAS, cloué sur son fauteuil roulant, ce qui, avec ses bras trop longs, le fait ressembler à un grand singe malade - dixit Hélène Surgère, parfaite en bourgeoise politicienne)... le porno, lui, mécanique et sans humour, reste désespérément off. Une image conforme au regard que porte Vecchiali sur la pornographie (dans sa forme commerciale), le tout-voir que celle-ci représente, opposé à ce qui, dans l'érotisme (cf. la scène d'amour entre la détective et son assistante) et le film noir, demeure obstinément caché... Mais la grande force du film, c'est bien sûr l'inversion des clichés, qui voit les femmes tenir ici les rôles habituellement réservés aux hommes: figure politique, détective privé, réalisateur de porno, et même spectateur/consommateur, les hommes, eux, se trouvant réduits à l'état d'homme-objet, de pauvre pantin, voire d'handicapé. D'aucuns y verront un grand film féministe, je ne sais pas... Change pas de main est un film à la fois de son temps - nous sommes en 1975, l'an 1 de l'ère giscardienne, qui libéralise le porno (avant de le réprimer quelques mois plus tard avec la loi sur le classement X) en même temps qu'il propulse quelques femmes au pouvoir - et hors du temps, quand il rend ainsi hommage au cinéma d'hier. Sa beauté, que le porno vient souligner par contraste, est réelle. Elle tient à pas grand-chose (d'où sa valeur): le jeu inflexible d'un acteur, l'humour dévastateur d'une réplique (les dialogues ont été écrits, outre Vecchiali, par Noël Simsolo) - quand par exemple, à la fin, Hélène Surgère, en passe d'être nommée ministre, flingue son pervers de fils (Jean-Christophe Bouvet, "introduced"), partouzeur nécrophile et cause indirecte de tout ce cirque, et déclare: "il m'aura emmerdé toute la vie ce p'tit con" (2) -, la délicatesse, très jazzy, d'une musique (signée Roland Vincent et jouée par Marcel Azzola)... Il y a là une véritable alchimie qui finit par dépasser le caractère purement subversif du film pour atteindre, aux moments les plus inattendus, à la faveur d'un geste, d'une expression ou d'un simple regard, une émotion qu'on serait en peine de trouver ailleurs, dans des films disons plus confortables.

(1) L'autre titre du film (que préfère d'ailleurs Vecchiali, il l'a conservé en sous-titre) était "Le sexe à bout portant" (ça détone), qui mêle porno et polar, alors que Change pas de main joue sur l'ambiguïté de l'expression, évoquant à travers le mot "main" à la fois une pratique sexuelle (ce que renforce les trois points d'exclamation, normalement présents dans le titre, signe là aussi de détonation) et l'idée de "manipulation" qui est au cœur du film. Change pas demain, le titre d'exploitation imposé au départ par la censure ne veut évidemment rien dire.

(2) Clin d'œil au dernier plan du film Assassins et Voleurs de Sacha Guitry, lorsque Poiret tue Serrault et conclut:  "Cet homme-là, il m'aurait emmerdé toute ma vie".



BonusExtraits de Paul Vecchiali - La maison cinéma (textes de Matthieu Orléan), 2011.

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