dimanche 27 septembre 2020

Une balle au coeur


Une balle au cœur de Jean-Daniel Pollet (1966).

Le pays des dieux et des héros.

Une balle au cœur a le charme et la beauté des films de la Nouvelle vague dont il représente une sorte de "face cachée" (le film de Pollet qui n'a connu aucun succès à sa sortie - coïncidence amusante, il a été tourné entre le 24 mai et le 18 juillet 1965, soit, aux jours près, la même période que Pierrot le fou de Godard - est resté longtemps invisible par la suite), en même temps qu'il fait écho à ses précurseurs: le scénario a été co-écrit par Pierre Kast, alors que pour le précédent film, Bassae, un court-métrage sur le Temple d'Apollon, c'est Alexandre Astruc qui avait collaboré au scénario. Kast et Astruc, c'est la génération de Bazin, de Doniol, de Rohmer... le début des Cahiers. Pour l'anecdote, on notera que le personnage du réalisateur qu'on voit dans le film se nomme "Kastruc". Kast et Astruc, donc, le mixte est étonnant tant les deux cinéastes diffèrent: légèreté, si ce n'est désinvolture (très NV pour le coup) chez le premier; gravité et goût du lyrisme (plus proche du cinéma classique) chez le second... Pollet les intègre pour mieux les dépasser. Une balle au cœur, c'est ça: une tragédie grecque filmée comme une série B. Mixte que résument les deux personnages féminins que rencontre Francesco (Sami Frey), bel aristocrate sicilien - un petit "guépard" - qui a été dépossédé de son palais, son seul bien, par un maffioso revenu d'Amérique (dont il veut dès lors se venger, tout en échappant à ses sbires): Carla (Jenny Karézi), la chanteuse de bar (un faux air de Sylvie Vartan brune), côté Astruc; puis, côté Kast, Anna (Françoise Hardy), la jeune instit' fleur bleue (qui n'a pour palais qu'une salle de classe avec 28 têtes en rangs d'oignons), personnage pour le moins évanescent (c'est quasiment Françoise Hardy dans son propre rôle, s'essayant gauchement au cinéma), sans qu'on sache si l'interprète de "Mon amie la rose", devenue l'égérie de Courrèges, n'est là qu'en guest star, imposée par la production, ou si beaucoup de ses scènes ont été coupées au montage. Quoi qu'il en soit, c'est surtout sa plastique, se découpant sur les paysages, les décors naturels de la Grèce antique - à l'image des séminaristes allemands en soutane rouge -, qui semble justifier sa présence, conférant au film une grâce, certes artificielle (ah, le vert de la robe, la fuite éperdue à travers la dune, les oranges qui tombent du panier, puis le corps allongé dans l'herbe, telle "la dormeuse du val", au milieu des coquelicots), mais finalement très polletienne, pour contrebalancer l'aspect désabusé qui, à travers les autres personnages, imprègne le récit. S'y dégage une innocence qui, mêlée au tragique de l'histoire, à la majesté des temples visités, est celle du cinéma de Pollet, telle qu'on la trouve dans le reste de son œuvre (qu'il s'agisse de fictions ou de documentaires), celle dont témoigne Claude Melki, son acteur fétiche, innocence gravée à même le marbre (keatonien) de son visage. Si le film débute et se termine en Sicile, c'est bien la Grèce qui en est le cœur. La Grèce, du Parthénon à Skyros, "le pays des dieux et des héros", terre chérie par Pollet, berceau de notre civilisation et théâtre ici d'un monde corrompu dont on ne peut échapper, que l'on s'enferme dans sa chambre ou qu'on se réfugie sur une île... un monde dont il ne reste plus qu'à disparaître. 

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